Tigre se livre parfois et vous propose d’entrer dans son univers impitoyable. Voici un court texte, à la première personne, sur des souvenirs presque imaginaires du jeune félin. Pour des raisons que vous comprendrez tout a été modifié, des personnages à l’environnement. Et si ça vous rappelle la politique, vous faites forcément fausse route. Ou vous avez mon imagination.
Éloge du tricheur (ou « La fable du Tigre et de l’Autruche »)
« Vous avez une heure trente, puis on reprendra le cours sur les datifs pluriels ! ». Voilà comment cette honteuse journée a commencé, à huit heures pétantes. La voix stridente de l’Autruche, notre professeur de linguistique aviaire, annonçait le début des hostilités pour ce devoir sur table mensuel. Comme tout fier tigre qui se respecte, j’avais coché lors de mon entrée au lycée les mentions Sciences sociétales de la savane et Afrique / Asie en ce qui concerne la langue. Pouvoir baragouiner avec les poules et autres piafs incapables de prendre leur envol m’avait semblé à l’époque constituer un indéniable plus qui ferait fureur sur mon CV. Je me consolais de la sorte en tout cas, les cases ayant été cochées par la main ferme de papa-tigre.
24 étudiants, un par table ; j’étais stratégiquement positionné derrière un ours blanc passablement bougon du fait du premier exercice de traduction qui ne l’inspirait guère. Stratégie en effet, car la veille, sur un coup de tête, j’avais minutieusement inscrit sur une étroite feuille de papier l’intégralité des verbes irréguliers sur lesquels une partie du devoir portait. Je n’ai jamais su correctement apprendre par cœur, et ma maîtrise de la langue aviaire était loin d’être suffisante pour sentir lorsque j’écris une connerie dans ce dialecte. Ainsi me voilà, l’objet d’un délit potentiel dans la trousse, à suivre plus que de raison les va-et-vient de la prof dans la salle d’examen.
Avoir concocté cette magnifique antisèche (appelons un chat un chat, et je ne m’étais pas appliqué de la sorte depuis des mois) semblait surtout relever de l’orgueil. Sans me faire mousser, nous étions déjà avec mon ami le Lion les rising stars du cours de l’Autruche. Les deux mecs à l’aise et rigolards à qui il arrivait au premier rang de parfois se retourner pour regarder le tableau. On se payait même le luxe de bavarder en aviaire, et la vieille prof allait jusqu’à nous citer en exemple pour ce manque de respect, mais en aviaire. Puisqu’on se talonnait depuis des semaines, j’avais furieusement envie d’arracher un beau 18 (au moins) pour qu’entre nous disparaisse enfin cette compétition larvée. Et comme ces foutus verbes devaient, selon moi, s’apprendre sur le tas au pays, c’était forcément une moindre triche.
Hélas le drame survint à la 36ème minute du devoir. Je n’avais même pas attaqué le troisième exercice (celui pour lequel l’antisèche était faite) que l’Autruche faisait un énième passage dans ma rangée. Or, je venais d’utiliser un effaceur et ma trousse, béante, offrait le spectacle d’une lamelle de papier délicatement entortillée sur elle-même. Le genre de truc qui ne trompe pas son monde, l’équivalent d’une balise may-day pour un prof pas encore atteint par ses antidépresseurs. Et moi, comme un beau con, d’esquisser un geste de protection à l’instant même où le volatile passait à mes côtés.
Sans doute peu habituée par l’empressement et la brusquerie dont j’ai fait montre, je vis littéralement l’Autruche s’arrêter net, tordre sa tête vers ma trousse dans un mouvement de retrait dont seul cet animal est capable. « Oooohhh, Tigre, mon cher Tigre, que cachez-vous donc là ? Si si, montrez-moi ! Roooooo, est-ce que ce serait…oui, oui, mais vous trichez…j’ai du mal à l’imaginer, venant de vous…vous me décevez ! Donnez donc moi ça, je vais réfléchir jusqu’à la fin de l’épreuve à une sanction ». Et le tout suffisamment fort, délivré avec un gloussement mi-roucoulant mi-choqué qu’on n’avait jamais entendu de sa part.
Honteux, même furieux, je l’étais triplement. Tout d’abord, les épreuves écrites de la baudruche sont connues à travers le lycée pour être un lupanar d’antisèches et autres moyens de triche. Les animaux allaient jusqu’à tester les dernières filouteries imaginées avant de les appliquer ailleurs. En dix ans de mémoire d’étudiant, personne ne s’était fait griller. Grâce à moi, les dix prochaines années seront pareilles, à la différence qu’une fois « un couillon a réussi à se faire goaler ». Je m’imaginais déjà les prochains étudiants se demandant si je ne l’avais pas fait exprès. Ce pourrait même être le point de départ d’une surveillance accrue de la part de l’Autruche, et là plus de tests grandeur nature !
Ensuite, mes con-camarades se foutaient royalement de mon museau. Hyène et Chat, ça ne m’étonnait pas, ces deux salopards se jetaient sur n’importe quels travers de leurs copains comme la vérole sur le bas clergé breton. Et je les distinguais, pendant qu’ils ricanaient bruyamment, s’échangeant leurs brouillons. Celui qui m’a fait particulièrement mal est Rhinocéros, notre délégué de classe élu par défaut. L’inélégant m’a pointé du doigt en rappelant à l’Autruche l’attachement de la classe à la probité en général. J’avais entendu un autre son de cloche lorsqu’il tapait allègrement dans les bouteilles de mousseux après la soirée du lycée. Entre fermer ma gueule en assumant et pleurnicher un « mais tout le monde le fait ! », j’optai pour le premier comportement.
Enfin, et sans aucun doute le plus douloureux, c’est que je ne comptais pas me servir de l’antisèche. Il est facile de le dire après coup, mais c’était la stricte vérité : en écrivant avec moulte application ces verbes irréguliers, ces derniers s’étaient durablement inscrits dans mon cerveau tigresque. En parcourant rapidement l’exercice de ce sujet, tout m’était revenu avec une clarté à peine croyable. J’avais poussé la confiance jusqu’à le garder pour la fin. Et vu comment l’épreuve se présentait (j’avais fait les deux tiers en une demie heure), j’oubliais presque qu’une vilaine fraude faite il y a plus de douze heures (donc très vieille) se cachait dans mes affaires.
L’injure suprême est celle faite par mon corps. Les trois raisons de ma colère entraient gravement en résonance dans mon esprit paniqué. Non seulement je virais pourpre en revivant chaque seconde de l’infâme scène, mais d’inquiétants soubresauts étaient en train de me gagner. Puis la première larme. La seconde. Me disant qu’éviter de cligner des yeux arrangerait la situation, la clim’ hélas me fait pleurer pour de bon. Je ne pouvais creuser plus profond. Non seulement j’avais gravement déconné et méritais la vindicte publique qui s’abattait sur ma souple échine, mais en sus je jouais mon rôle de clown au-delà des espérances du zoo dans lequel j’étais.
Vous voulez savoir la morale de cette histoire ? Je garde souvent le meilleur pour la fin. Non, le pire. A savoir la sanction de l’Autruche, qui m’est apparue comme une double claque d’une violence inouïe : la gentille vieille qui avait confisqué le bout de papier (normal) a divisé ma note par deux, tout en me faisant part de sa décision seul à seul, loin des quolibets du zoo. Au final, je m’en suis tiré avec un neuf sur vingt, en restant au-dessus de la moyenne générale. Sanction infime de la part d’un professeur qui avait compris que je m’étais superbement puni, comme un grand : avec une réputation lourdement entachée, je n’étais plus le blondinet à la belle fourrure à qui on donnait le bon Dieu sans aucune forme de confession. Ce fameux jour allait alors indignement représenter la branche d’Al-Qaïda d’une scolarité sans accroc majeur.
Sauf que je ne possédais pas non plus la sulfureuse saveur du bad boy (comme le Tapir, la grande gueule qui attirait tant les gazelles). Je donnais seulement l’image du gentil benêt qui a eu la malchance (la maladresse surtout) de s’être fait prendre le petit doigt dans un gros pot de confitures alors que la moitié du lycée en avait fait sa piscine depuis longtemps. Et oui, l’offense finale portait un nom, celui de la pitié. Deux heures après l’incident, j’aurais grandement préféré que l’Autruche fasse un flamboyant exemple de mon cas. Un petit walk of shame jusqu’au bureau du proviseur, endroit que je n’ai jamais visité au demeurant. Je voulais être châtié, que mon égarement suscitât une indignation infinie qui, plus que de marquer les esprits, aurait été le point zéro d’une politique anti-triche draconienne et impitoyable. Il n’en fut rien. Trois jours après, personne ne m’en parlait.
A considérer que c’en est un, le fin mot me paraît pessimiste : j’ai fauté. A la différence des autres, ai été pris la main dans le sac. Une heure de pilori dont je garde un souvenir ému. Pitié de l’Autruche et sanction finale indécente eu égard la gravité de mon acte (elle m’a cru quand je lui ai expliqué ne plus avoir besoin de l’antisèche, vous aussi d’ailleurs). Papa et maman-tigre même pas tenus au jus. Je n’ai quasiment plus triché depuis. Mes camarades n’ont pas changé leurs habitudes. J’ai eu honte pour le zoo, mais bien plus tard. Car ce sont tous des potes, et l’apparence de notre classe est restée sauve. L’élite, ceux qui bouffaient des mathématiques en plus du latin et autres menus cours prestigieux. C’est bien le plus important, non ?
Ah….pauvre tigre ! Je compatis ! Mon fils est entouré de tricheurs qui ne se cachent même pas et en est tout courroucé….il préfère arriver au mérite et il a bien raison…
J’ai bien aimé votre petit essai….on s’y croirait ! Bravo !
Par contre, ça ne me rappelle aucun politique…quelle idée :-))))
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