Suivi de L’inondation. Deux nouvelles originales qui se lisent étonnamment vite, impressionnant de la part de cet auteur. L’Homme dans tout ce qu’il a de sombre et désespéré, avec un style qui n’a rien à envier au grosses sagas, miam. Et quelques belles surprises qui, toujours, finissent mal. De quoi réconcilier tout lecteur fâché avec l’écrivain aux mille pavés.
Il était une fois
Dans Pour une nuit d’amour, direction Chanteclair. Julien est un honnête travailleur au physique ingrat. Depuis que la belle Thérèse de Marsanne est sortie du couvent et qu’elle habite chez ses vieux (qui lui cherchent un mari), juste devant l’habitation de Julien, ce dernier joue de la flûte pour attirer ses grâces. Sans succès, jusqu’à ce jour où Thérèse lui envoie, de loin, un baiser, et l’invite à (la ?) monter dans sa chambre.
Avec L’inondation, c’est la vie de paysans aisés qui vit sous l’égide de l’arrière-grand-père, Louis Roubieux, homme alerte de soixante-dix berges. La famille se porte bien et acquiert progressivement des terres de la commune. Hélas, une formidable crue de la Garonne va venir tout foutre en l’air.
Critique de Pour une nuit d’amour
Dans mon cerveau étriqué, le méchant Émile était associé à un écrivain dont les professeurs nous obligeait à lire les monstrueux romans. Ceux qui dépassent allègrement le quintal de pages. Et là, magie, deux nouvelles d’à peine 40 pages chacune, comment se peut-ce ? Avec le style excellent propre à l’auteur du XIXème siècle, bonheur suprême.
La fameuse « nuit d’amour » évoquée, c’est celle que promet la bonnasse (Thérèse) à Julien, en échange d’un petit service. Sans gâcher la fin, il s’agit d’un coup de main pour aller déposer un cadavre dans la flotte. Ce macchabée n’est rien d’autre que Colombel, frère de lait de la jeune femme et que Julien n’appréciait guère. Et dire que le pauvre gus pensait avoir ravi le cœur de la miss avec ses exploits de flutiste… Les descriptions des protagonistes sont de plus en plus envoûtantes, la montée en puissance fait oublier le début un peu terne.
Quant à la dernière nouvelle, disons que c’est l’inverse : la manière dont Zola présente la famille (heureuse et prospère) est d’autant plus délicieuse que le lecteur sait que ça va vite partir en quenouille. Et la crue de la Garonne prend la forme d’un tsunami rageur qui, en l’espace de quelques heures, va détruire Louis et ses proches. Hélas, mille fois hélas, les « scènes d’action » (quand les survivants se démènent) ne m’ont que peu parlé, on pourrait presque croire le père Zola peu rompu à cet exercice.
En conclusion, avec ces deux textes différents et touchants, Le Tigre a bu du petit lait. Si le premier est écrit dans un style relativement neutre avec un narrateur omniscient, le second est (chose étonnante chez Zola) rédigé à la première personne, changement salutaire.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le félin ne se foule parfois guère pour déceler deux thèmes assez proches, je vous prie de l’excuser. Mais, dans tous les cas, il faut bien convenir que la réalité est une belle salope :
D’une part, la première nouvelle fait la part belle à l’amour aveugle et ravageur. Deux chapitres livrent la vision naïve d’un Julien aussi cul-cul qu’une adolescente du Club des Cinq. Ensuite, Zola racontera l’histoire de Thérèse, ignoble manipulatrice dont les circonstances atténuantes peuvent se trouver du côté de la psychiatrie. Sa jeunesse n’est que domination et fierté mal placée, et l’esprit contraste vigoureusement avec son apparence virginale. Le héros, inconsciemment, sait que quelque chose ne tourne pas rond, et à ce titre refuse de continuer – et se laisse mourir.
D’autre part, il y a la nature ravageuse, à savoir l’inondation. Du haut de son inculture (qui n’est plus à démontrer), Le Tigre a cru faire voir une légère référence à ce pauvre Job, du livre du même nom. Le protagoniste principal loue excessivement le bon Dieu pour tous les bienfaits dont il est le récipiendaire (la sainte trilogie famille / tunes / santé) ; or Dame Nature déconstruit avec minutie tous ces avantages. Louis, à l’instar de Job, semble garder la foi et l’espoir, tandis que le lecteur assiste, impuissant, à un empilement de tragédies. Douce ironie de l’histoire, le clocher de l’église (qui affleure et restera intact), objectif primordial de la famille apeurée, ne sera jamais atteint. Zola aurait de l’humour.
…à rapprocher de :
Je ne vais pas vous faire la liste des Zola, en particulier ses œuvres avec les très fendards Rougon-Macquart, plus ou moins connue à cause de sombres années de scolarité.
– Toutefois, La Terre (un des derniers romans de Zola) évoque le monde paysan avec une violence certaine, et l’âge du protagoniste principal, Louis Fouan, est le même que celui du vieux dans L’inondation – même prénom au passage.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.