Titre phare de l’écrivain français, La Part de l’autre réussit la délicate symbiose entre uchronie et fiction historique cohérente. Deux histoires parallèles, deux Hitler dont un a réussi à entrer à l’Académie des Beaux-Arts, deux destins qui ont changé à jamais la face du monde. Exercice complexe et correctement traité.
Il était une fois…
Le synopsis n’est pas mal du tout, ça donne envie de le délivrer tel quel :
« 8 octobre 1908 : Adolf Hitler est recalé. Que se serait-il passé si l’École des beaux-arts de Vienne en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, cette minute là, le jury avait accepté et non refusé Adolf Hitler, flatté puis épanoui ses ambitions d’artiste ? Cette minute-là aurait changé le cours d’une vie, celle du jeune, timide et passionné Adolf Hitler, mais elle aurait aussi changé le cours du monde… »
Critique de La Part de l’autre
Avec Lorsque j’étais une œuvre d’art, voici ce que j’estime être LE classique de Riri Manu Schmitt. Un ouvrage assez imposant certes (un demi-millier de pages), mais il n’en fallait certainement pas moins pour aborder un tel sujet.
Le scénario, original, se concentre sur la mise en exergue de la vie du dictateur telle qu’elle aurait pu l’être. D’un côté nous avons Hitler, le fanatique revanchard qui n’est que haine et mettra l’Europe (et le reste de la planète) à feu et à sang six longues années. De l’autre, bienvenue à Adolf H., artiste moyen qui n’a jamais songé à entrer dans la politique.
Bien évidemment c’est sur ce dernier Adolf que Schmitt est attendu au tournant, et il faut reconnaître que les sujets abordés (l’art, les sentiments qui font l’artiste en général) présentent un protagoniste crédible et terriblement humain. Quant à la biographie « historique » du nazi, Éric-Emmanuel s’occupe de façon crédible des motivations personnelles et traumatismes (plus ou moins infantiles) qui amèneront un individu à foutre autant le bordel dans l’existence des autres.
Cette œuvre, uchronie subtile (le point divergent est situé dès les premières pages) alliée à l’histoire « réelle », m’a semblé très bien travaillée. Il s’agit d’un projet ambitieux sur lequel l’auteur ne s’est pas planté, et en dépit des deux existences (les chapitres alternent immanquablement entre celles ci) le lecteur ne sera presque jamais perdu. La cohérence est notamment maintenue grâce à un style simple qui fait montre de quelques changements par rapport à l’évolution du « héros ». Tour à tour joyeux ou infiniment sombres (et voulant faire sombrer autrui avec lui), Adolf H. et Hitler se complètent, voire s’auto-référencent.
Pour conclure, si vous ne devez en garder qu’un de Schmitt, il n’est pas impossible que ce soit celui-ci.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’uchronie imaginée par l’auteur m’a semblé, d’un point de vue géopolitique, un peu légère. L’auteur raconte à la fin du titre comment il a travaillé sur cet aspect (demandant conseil à des amis mieux placés que lui), et la vision qu’il délivre ne soulève pas des montagnes. Peut-être est-ce la beauté d’une uchronie réussie, que de présenter un univers divergent sans grosses surprises ? Pas de Seconde Guerre mondiale, seulement quelques escarmouches provoquées par l’Allemagne qui étend un peu son territoire vers l’Est (Sudètes par exemple).
La Part de l’autre, c’est ce que dit Adolf H. lors d’une conversation épistolaire. En montrant comment un homme aurait pu devenir un individu normal (entendez : qui ne traumatisera pas le 20ème siècle), Schmitt nous invite à nous poser la question de la nature humaine : est-ce que cet individu était préprogrammé pour commettre de tels crimes ou est-ce juste un mauvais concours de circonstances ? Sommes-nous tous des dictateurs en puissance qui, placés dans les mêmes conditions, incendieraient de la sorte les idéaux de l’Homme ? Car si souligner la responsabilité de cet homme est logique, celle-ci ne suffit pas à expliquer l’Histoire.
…à rapprocher de :
– De Schmitt, Tigre a (notamment) lu et aimé : Lorsque j’étais une œuvre d’art, La secte des égoïstes, Oscar et la Dame rose, Milarepa, L’Évangile selon Pilate, etc. En fait j’ai l’impression de les avoir tous lus.
– Hitler qui n’est pas Führer mais artiste, c’est aussi Adolf écrivain dans Rêve de fer, de Norman Spinrad. Un exercice de style somptueux.
– En « SF pure », Reynolds a imaginé, dans La pluie du siècle, un monde sans Seconde Guerre mondiale.
Enfin, si votre libraire est fermé, vous pouvez trouver cette uchronie en ligne ici.
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