Voici la quintessence de ce dont est capable le bon Éric-Manu Schmitt : un ouvrage très court, d’une intensité sans pareille et à la portée potentiellement plus forte qu’une première lecture distraite laisserait suggérer. L’égoïsme élevé au statut de religion, l’auteur exploite presque toutes les conséquences d’une telle secte en un temps record.
Il était une fois…
Pour le père Schmitt, sortir de mon chapeau le quatrième de couv’ de l’éditeur est un tour de magie que Le Tigre affectionne (surtout lorsque cela m’évite de devoir rappeler le scénario) :
« A la Bibliothèque nationale, un chercheur découvre la trace d’un inconnu, Gaspard Languenhaert, homme du XVIIIe siècle, qui soutint la philosophie » égoïste « . Selon lui, le monde extérieur n’a aucune réalité et la vie n’est qu’un songe. Intrigué, le chercheur part à la découverte d’éventuels documents. Mystérieusement, toutes les pistes tournent court. Conspiration ? Malédiction ? La logique devient folle, cette enquête l’emmène au fond de lui-même, emportant le lecteur avec lui dans des vertiges hallucinants. »
Critique de La Secte des égoïstes
La Secte des égoïstes constitue la première rencontre du jeune Tigre avec EES. J’ai lu ce titre d’une traite et a globalement adoré. L’idée générale est fort sympathique, la dimension historique (faible certes) est encore bien abordée (cf. L’enfant de Noé), bref pour un peu plus de 120 pages on est pas très loin de la valeur sûre.
De protagoniste, il y en a en fait deux : un homme qui, de nos jours, recherche des informations sur un philosophe d’antan à l’origine d’une drôle de croyance (le monde n’est que le produit de notre imagination). Du coup vous imaginez le bordel, tout adepte pense être l’unique avatar réel et tous s’écharpent vite. Et Schmitt pousse la mise en abyme en rendant de plus en plus fines les preuves de l’existence de Languenhaert, comme si sa disparition entraînait celle de son univers.
Sur le style, ça m’a rappelé quelques titres d’Amélie Nothomb : chapitres courts, texte dense, d’où l’impression persistante que l’auteur aurait pu faire quelque chose de bien plus ambitieux. En effet, si c’est correct comme roman, il faut avouer que c’est bien court. Cette secte aurait mérité un traitement plus approfondi. Mais en même temps, c’est aussi au lecteur d’imaginer, seul, les implications de ce titre. Et créer l’histoire.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La déification à outrance. Gaspart, le sujet d’étude du bibliothécaire, a créé un courant d’idées assez simple et lourd de sens : tout ce qui nous entoure ne dépend que de nous, rien n’existe en fait en dehors de notre perception. A partir de là, Schmitt fait de subtils rapprochements avec l’essence de toute croyance. La question intrinsèque, telle que comprise par l’esprit borderline du Tigre, est du coup la suivante : est-ce Dieu qui créé l’Homme (comme les adeptes pensant être à l’origine de tout) ou l’Homme qui a créé Dieu (Gaspart s’érigeant en divinité) ? L’auteur, finement, répond ici que les deux peuvent coexister. Et que ça termine mal.
Le corolaire de ce premier terme est le relatif vertige que l’écrivain parvient à transmettre au lecteur (du moins à mon jeune âge ça m’avait marqué). La remise en cause globale de la réalité touche le héros qui recherche de la documentation sur ce mystérieux philosophe, jusqu’à péter une durite. A ce titre le fin mot de l’histoire peut autant surprendre que lasser, suivant l’état d’esprit du lecteur. En ce qui concerne Le Tigre, c’est bien passé.
…à rapprocher de :
– De Schmitt, Le Tigre a lu beaucoup. Sans doute trop, mais je peux vous conseiller : La Part de l’autre, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Milarepa, Oscar et la Dame rose, L’Évangile selon Pilate, L’enfant de Noé (ces cinq derniers portés sur la religion).
– Sur la religion, de la part d’un auteur « accessible », Van Cauwelaert et son Évangile de Jimmy se défend fort bien.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman sur Amazon ici.
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