[Sous-titre : un road movie de Fabcaro]. Surprenante bande dessinée qui se dévore en une quinzaine de minutes, où il est question de la fuite d’un auteur de BD accusé d’un crime bien anodin… Ouvrage à l’humour burlesque et corrosif, esquissé de façon sobre mais précise, le tout avec une dimension sociologique qui interpellera quiconque.
Il était une fois…
La caissière d’un magasin demande au protagoniste s’il a sa carte du magasin. Fatalitas, il l’aurait oubliée dans un autre pantalon. Le suspect s’enfuit non sans avoir préalablement menacé un vigile avec un poireau. Il s’ensuit une cavale aux termes de laquelle les polices de France et de Navarre, après des jours de recherche, parviendront à appréhender le criminel. Et sa peine sera à la hauteur de son ignoble acte….
Critique de Zaï zaï zaï zaï
Mea culpa : le félin n’avait avant 2017 lu aucun ouvrage de Fabrice Caro. Il aura fallu attendre les recommandations d’un ami pour enfin découvrir un auteur qui en a sous la pédale. Les illustrations presque monochromes (jaune et gris omniprésents) et gribouillées, néanmoins empreintes de sérieux, détonnent particulièrement avec la manière j’m’en-foutiste et drôlatique d’une histoire qui se veut une caricature réaliste de notre époque – d’ailleurs, la répétition de certaines cases (seul le texte étant différent) colle bien avec les postures de nos édiles, lesquelles demeurent les mêmes à chaque élection ou évènement d’importance.
Organisé sous formes de strips d’une page (ou deux) mis bout à bout pour former un texte cohérent aisé à suivre, Zaï zaï zaï zaï (dernière fois que je l’écris en entier) conte les mésaventures d’un jeune homme normal empêtré dans une histoire abracadabrantesque qui se clôt aussi burlesquement qu’elle a démarré ; ainsi que des évènements clés des autres protagonistes de cette triste affaire : journalistes, policiers, passants interrogés par la TV, caissière traumatisée par l’indélicat client, famille éplorée du héros, etc.
Quelle faute a commis le personnage principal ? Aucune en apparence, mais sa condition d’auteur de BD va progressivement cristalliser sa délicate situation. Stigmatisé et en tête de gondole des journaux télévisés, il s’engage dans un road movie consistant à faire du stop et à se réfugier dans un département « arriéré » où il rencontrera une ancienne camarade de classe. Pendant ce temps, les forces de l’ordre et les médias s’agitent, provoquant dans le pays un début de débat aigri comme on en entend de nos jours lorsqu’il s’agit d’évoquer les assistés ou la radicalisation de telle ou telle population. Jusqu’à la sentence finale, une condamnation musicale que le lecteur voit aisément arriver, Joe Dassin aidant.
Il ressort de ce mini ovni une impression de s’être échappé, le temps d’un quart d’heure, de la morosité ambiante. Plutôt taiseux dans son ensemble (à une exception notable lorsqu’il s’agit d’évoquer un souvenir de jeunesse), Zaï x 4 demeure une mignonne pépite qui ne peut que faire du bien. Tout à fait le genre de roman graphique qu’il est difficile pour le fauve de ne pas adorer.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Comme je le disais, le fait divers prend des proportions délirantes et ce sont tous les travers de notre société qui sont mis à nus. Et la caricature peine parfois à se mettre au niveau de la réalité. Le journaleux qui fait dire aux riverains ce qu’il veut, des policiers aussi ignares qu’incompétents, des discussions terriblement à côté de la plaque, etc…le tout étant renforcé dès lors qu’il apparaît que le fugitif est un auteur de bandes dessinées : dans l’univers fantasmagorique de Fabcaro, le statut d’auteur de BD est l’équivalent de l’assisté honni / migrant / bref un untermensch qui titille le cerveau reptilien de toute la populace – laquelle se voit volontiers libérale et tolérante alors que, face à la confrontation avec l’autre, il en est différemment.
L’air de rien, le félin s’est demandé plus d’une fois à quel point cette œuvre est, symboliquement, autobiographique. Déjà, Fabcaro semble dénoncer les mesquineries du Français moyen prêt à juger et critiquer autrui, voire paniquer pour des foutaises – en l’espèce, être dépourvu de carte du magasin, artefact capitalistique extrême s’il en est. En un laps de temps extrêmement mince, le héros passe de la normalité à l’exclusion totale, et d’autant plus déconsidéré par ses pairs du fait de sa situation sociale. Il ressort de Zaï zaï etc. une forme de peur primaire du déclassement de l’auteur indépendant, incompris des masses et pris entre différents feux (éditeur qui renâcle à le financer, journaliste qui ne bite rien à son métier, et tutti quanti).
…à rapprocher de :
– Dans le même genre d’humour décalé qui tape consciencieusement sur les travers de notre civilisation, y’a quelques Canardo de Sokal qui s’en sortent plutôt bien, notamment Marée noire (en lien).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique en ligne ici.
Absolument génial mais tellement trop courte. Un petit bonbons de non-sens.
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