Sous-titre: L’histoire vraie d’Enaiatollah Akbari. VO : Nel mare ci sono i coccodrilli. Très touchante histoire d’un immigré contraint à quitter son pays, l’Afghanistan, le lecteur va suivre les pérégrinations sur quatre années d’Enaiat. Du sud du pays des Talibans à Turin, à pied, en car, en bateau (ferry ou petite merde gonflable), le chemin est long. Le Tigre n’aime guère dire cela, mais c’est un must have.
Il était une fois…
Avant l’intervention américaine en Afghanistan, Enaiat vivait tant bien que mal dans le sud du pays. Âgé d’une dizaine d’années, le gosse est relativement mal parti dans la vie : il est hazara, ethnie d’ascendance mongole rejetée par la population qui majoritairement peuple le pays. Parce que ça sent le roussi pour lui, sa mère décide de lui offrir une vie meilleure. A savoir lui faire passer la frontière avec le Pakistan et le laisser mener sa vie, loin de la bêtise des Hommes. Sauf que cette denrée est inépuisable, et c’est une aventure presque sans fin qui va avoir lieu.
Critique de Dans la mer il y a des crocodiles
Cet ouvrage aurait pu être considéré, par le félin, comme un essai. Sauf que c’est bien plus que cela : à partir de l’histoire d’Enaiat rencontré dans un centre interculturel, Fabio Geda (certes journaliste, mais écrivain éprouvé) a pondu un roman exceptionnel. L’émotion y est violente, aidée par un style (j’y reviendrai) et quelques dialogues (peu au final) entre l’immigré et Geda, passages qui permettent une subtile mise en abîme.
C’est donc quatre ans d’immigration que nous allons suivre : le départ depuis son village (Nava) où il ne peut rester ; le Pakistan où il se fait vendeur à la sauvette, puis homme à tout faire chez un marchand ; ensuite travailleur dans des chantiers en Iran ; l’exode douloureux dans les montagnes vers la Turquie (violent) ; la fuite sur une embarcation de fortune vers la Grèce ; puis divers coups de chance pour arriver en Italie. Venise, Rome, Turin, où il trouve enfin une famille. Les religions, pendant ce dangereux voyage, occupent une place plutôt restreinte.
Deux aspects ont réellement étonné Le Tigre. D’une part, en 150 bonnes pages, la densité de l’aventure est exaltante. C’est certes intense de bout en bout, toutefois j’ai cru sentir que plus le chemin de croix avance, plus le héros « lourde » la description de ses pérégrinations. Comme s’il avait hâte d’en finir. D’autre part, le style dénote une sorte d’objectivité qui m’a semblé est choquante : le gars en prend plein la gueule, et pourtant il subit et pardonne souvent, parvenant même à nous offrir des passages d’une rare poésie – sans doute cela est dû à sa jeunesse.
Voilà, ce fut une petite claque dont, je le concède, les dernières pages ont failli ouvrir le barrage lacrymal de votre serviteur. Faut dire que l’artillerie lourde (la famille) a été allègrement pointée vers moi. Heureusement, j’ai lu pire, et ai su relativiser en me disant que ce n’est qu’une fiction. Ah bah non en fait. Merde. Snif.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce roman offre un aperçu de ce que les Hommes peuvent faire de pire. Il ne s’agit pas que des Talibans, même si ce groupe en tient une sévère couche : le début commence fort, avec les « étudiants » islamistes décidés à fermer l’école (à Quetta) où apprend le protagoniste principal. Parmi les vilains, peu d’Afghans en fait, mais une mosaïque de nationalités qui ont dépêché leurs fous furieux dans un pays malade. En outre, que ce soient les Iraniens (le camp de concentration de Sang Safid dont on parle), les Turcs (la police y est terrible), et même les Grecs (en pleine prépa du mondial, tristesse), les machines étatiques ne s’illustrent guère par leur respect des Droits de l’Homme.
Face à cette horreur, Enaiat est d’une simplicité et d’une rectitude dingues. Peut-être les ultimes mots de sa mère résonnent régulièrement dans son cerveau. Trois mantras qui sont en première page de l’œuvre : ne prend pas de drogue [l’Afghanistan étant un vaste entrepôt à opium, ne l’oublions pas] ; n’utilise pas d’armes [malgré l’institution de l’AK-47] ; ne vole pas. Et il s’y tient, ses seuls délits sont de vouloir aller vers un endroit où il peut étudier et travailler. Tout simplement. A sa place, Le Tigre serait sûrement devenu un délinquant de première. Comme Enaiat aurait pu être un jeune Taliban égorgeant les ennemis de son pays natal, s’il y était resté.
Enfin, si vous vous demandez d’où sort le titre, la (première) réponse doit être vers la page 122. Le héros, accompagné de certains acolytes, est sur le point de gonfler un canot pneumatique, sauf que dans la nuit l’accès à la plage est parsemé d’embûches. Comme c’est la première fois qu’ils rencontrent une mer salée, ils se disent que tout peut arriver. Tout, notamment que des crocos les attendent dans la flotte. Peu importe si ces bêtes là ne sont pas censées s’y trouver, ça ne les étonnerait guère au point où ils sont.
…à rapprocher de :
– Eldorado, du grand Laurent Gaudé, traite du même sujet. Très bon roman apparemment, je devrais sans doute le lire.
– Sur le déracinement et comment un individu peut gérer plusieurs identités, je vous renvoie vers Les Identités meurtrières, de Maalouf.
– Sur l’Afghanistan, et le voyage dans les déserts gelés, Tigre a eu les images du Photographe, de Lefevre.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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Merci pour la recension, mais non, pitié, non, pas Amazon !
EN AUCUN CAS !
Restez cohérent, quoi, merde !
(et je précise que je suis à plus de 15 bornes de la 1re librairie, qui est « ma » librairie).
De rien, et pour le partenariat le félin va répondre à la Charlton Heston : je propose le lien, et n’incite pas à aller dessus.
Plus sérieusement, vous pointez un sujet qui revient souvent dans mon esprit, et que j’évacue, sans doute par flemme. Je pense être relativement cohérent, si vous le souhaitez on en parle en mp.