Sous-titre : La vraie vie [oui, parce qu’en ville, on ne vit pas réellement ]. Lorsqu’un citadin pur et dur quitte Juvisy pour s’installer dans la campagne dite profonde, l’acclimatation promet d’être aussi délicate que marrante. BD épurée mais complète sur les affres du changement, avec en prime quelques moments d’une rare émotion.
Il était une fois…
« Un jour, Mariette et moi on en a eu marre de la ville, alors a loué un camion pour mettre nos cartons et on est partis vivre aux Ravenelles… Les Ravenelles, c’est chouette, c’est la campagne et il y a des arbres, des fleurs, et des oiseaux… A l’arrivée, nous attendait Monsieur Henri. Il nous a gentiment tendu les clefs… »
Critique du premier tome du Retour à la terre
Après avoir eu le cerveau pété par quelques titres du sieur Larcenet (notamment Blast), le félin a souhaité en savoir plus sur les productions de l’auteur, présentement accompagné de Jean-Yves Ferri. Point de fantastique ou d’aventure épique, uniquement une expérience largement autobiographique et teintée de juste ce qu’il faut d’exagération pour rendre le tout profondément rigolo. Le tout via de courtes histoires, chacune occupant invariablement une demie-page – les liens entre les saynètes étant nombreux.
Commençons par ce qui a (relativement) déplu à votre serviteur. Les illustrations, qui ont ce quelque chose de plutôt brouillon au premier abord, savent se faire néanmoins apprécier lorsque Manu sort les grands tableaux où Dame Nature apparaît – trop rarement à mon goût. En outre, les personnages ont ce quelque chose d’enfantin, sans compter les réactions de certain qui, sans être excessives, restent assez stéréotypées – exemple du paysan taiseux. Aussi l’impression de lire quelque chose à destination des gosses est tenace, sans que cela ne soit un mal en soi.
Heureusement que les individus dépeints par Larcenet renforcent l’intensité de l’aventure. Le frangin Tip Top qui débarque et manque de mourir de trouille tellement la campagne ne lui convient pas, une vieille que le lecteur s’imagine aussi médisante qu’aigrie avant de changer son avis, les voisins accueillants, etc. L’auteur parvient à nous faire aimer les autochtones autant qu’il les apprécie. On frôle même le mystique avec un ancien maire (reconverti en ermite après un désespoir fiscal) ou Monsieur Henri, le taulier dont l’esprit reste insondable. Cependant, il est dommage que les protagonistes (en l’espèce, Manu et sa zouz’) paraissent les moins réussis – disons qu’ils ne suscitent pas la même sympathie.
En guise de conclusion, Le Tigre fut légèrement déçu. Avec un titre qui promet monts et merveilles, votre serviteur s’est retrouvé face à une histoire banale. C’est ce que j’appelle le biais de l’expérience : sans doute j’en attendais trop de la part de l’artiste, qui ici a posé ses préjugés de citadin pour nous inviter, le plus simplement possible, à revisiter la nature. Et rester dans son sujet (« mon expérience à la campagne ») nécessite une certaine sobriété – quitte à se faire offense.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Évidemment, Larcenet et Ferri se font plaisir à évoquer les mille petits (dés)agréments qu’on ne peut que rencontrer à la campagne – dans une ville, il faut s’accrocher. L’alcool du voisin qui arrache le gosier (c’est l’eau de vie qui explose la glotte, pas le voisin hein) ; la coupe des arbres (je vous laisse imaginer le désastre) ; la boulangère vis-à-vis de laquelle les fantasmes pullulent ; les fameux trois Anglais dont les fantômes planent dans l’esprit des protagonistes ; et surtout passer un rude hiver dans cette immensité qu’est la campagne. En effet, ce qui frappe Manu est avant tout la grandeur de l’espace dans lequel il évolue, ce qui ne manque pas de lui causer de fabuleuses crises d’angoisse – rêves bizarres ou se cacher dans un carton dès que ça sent le roussi.
In fine se pose ainsi la question de l’adaptabilité de l’être humain, lequel doit désapprendre certains réflexes de citadins (notamment le rapport à la technologie) pour mieux épouser la terre. Le résultat est, d’une part, une émotivité exacerbée couplée au légitime vertige de se sentir plus vivant, et d’autre part, la fierté de s’en sortir dans ce nouvel univers – y’a qu’à voir quand Manu invite ses potes à lui rendre visite. L’auteur pense ainsi être sur la bonne voie d’un retour à la terre dont la ville l’avait privé. [mode sociologue de comptoir on] C’est toutefois oublier que la terre, même si plus « naturelle » que le béton, n’est point la nature. La campagne n’a rien à voir avec cela, il s’agit d’une zone intensément traitée par l’Homme pour correspondre à ses besoins – certes, on y trouve de drôles d’oiseaux, mais pas plus qu’au salon du livre. A moins que l’expérience à la campagne ne soit vécue comme une forme d’étape régressive avant de vivre comme un sauvage à la manière d’un Thoreau.
…à rapprocher de :
– De cet auteur, le félin fut très souvent delighted : notamment l’immense Blast qui se doit d’être lu et relu.
– Plus généralement, la « redécouverte » de la nature est un thème souvent rabâché en BD, que ce soient Jojo et Grand Louis dans Un été du tonnerre, ou Vacances à Saint-Prix (en lien) de Chris & Julien Flamand, Paul à la campagne, de Michel Rabagliati..
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Chris & Julien Flamand – Vacances à Saint-Prix | Quand Le Tigre Lit
J’ai eu une lecture un peu different de cette BD, sans doute parce que j’avais devore Le Combat Ordinaire juste avant. Pour moi ces deux series se font directement echo, l’une sur le tom humoristique, l’autre sur le ton sentimental (avec quand meme du sentiment dans la premiere et de l’humour dans l’autre sinon c’est trop facile).
Mais du coup, je n’y ai pas vu que le simple retour a la terre mais a chaque fois le dephasage du personnage face a ce qui l’entoure: decalage a la ville comme a la campagne, decallage avec sa famille (frere, parents) et decallage avec sa compagne avec qui il a du mal a s’engager (vivre ensemble et faire un enfant). Un trentenaire « normal » quoi.
Tout ca pour dire qu’au-dela des petits gags du quotidien d’un citadin qui tente l’aventure de la campagne, ily a une seconde lecture qui transparait au fil des tomes de cette serie et de l’autre.
En effet, c’est un beau commentaire, merci CQ ! Pour ce qui est du déphasage, je t’avoue être passé à côté de cet aspect qui, j’imagine, ressortira dans les autres tomes – c’est toujours bien de laisser de la marge pour le blog.
Ping : Manu Larcenet – Blast | Quand Le Tigre Lit
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