VO : ואלס עdם באשיר (en anglais : Waltz with Baschir). Pendant la guerre du Liban de 1982, Israël envoie ses soldats pour pacifier un pays passablement désorganisé. Des jeunes hommes sans réelle expérience sont confrontés à l’horreur de ce conflit, et beaucoup ont laissé au fond de leur mémoire quelques graves traumatismes. Ari Folman est l’un d’entre eux, et tâchera de se rappeler ces instants dans un documentaire poignant et sans fard.
De quoi Valse avec Bachir, et comment ?
C’est après avoir visionné le documentaire cinématographique que Le Tigre a découvert qu’une bande dessinée avait été réalisée par la suite. Un roman graphique plutôt, quelque chose de suffisamment puissant et beau (dans sa violence) pour rendre un fort correct hommage à l’œuvre sortie sur grand écran.
Et ce n’était pas gagné, car « transformer » l’histoire sous la forme écrite et illustrée constituait une difficulté de premier plan (cf. dernier paragraphe du billet). Comment, notamment, rendre compte de la mélodie de la valse avec le père Bachir ? Bachir Gemayel, justement, est malgré son absence au centre de l’ouvrage : porté à la présidence de la république libanaise par les Chrétiens, Gemayel n’aura guère le temps de savourer sa victoire. Son assassinat fut alors le prétexte aux pires vengeances contre les populations palestiniennes, en particulier le massacre au cœur de l’intrigue.
Sauf que de ces terribles évènements qui ont eu lieu au début des années 80, Ari Folman ne se souvient de rien. A peine quelques rêves sans queue ni tête, aussi le narrateur entreprend de retrouver quelques compagnons d’armes (voire des psychothérapeutes) afin d’éclaircir son rôle (et celui de ses camarades) pendant l’offensive dans le Sud du Liban jusqu’à Beyrouth. Si l’histoire est présentée sous une forme chronologique, plus d’un lecteur pourra hélas être un poil perdu entre les dialogues d’aujourd’hui et les faits d’armes du jeune soldat.
Le bon point suprême de ce roman graphique réside dans ses illustrations. Du dessin assisté par ordinateur (enfin j’espère) serti de couleurs chatoyantes (la palette entière y passe), chaque double page est un émerveillement. La profondeur de champ et les mille détails parsemant ce petit chef d’œuvre participent à une large immersion dans le quotidien des protagonistes, c’est comme si nous nous souvenons de chaque scène en même temps que le narrateur. Moins régalant, la fin est une inattendue embuscade : après être entré dans « l’esprit BD », les auteurs livrent des images (assez crues) du massacre de Sabra et Chatila, il n’en fallait pas plus pour nous rappeler la triste réalité du documentaire.
En guise de conclusion, il s’agit d’un essai illustré qui est un cas d’école de ce qui peut se faire de mieux en la matière : narration intéressante (malgré quelques digressions), admirablement illustré, bien dosé question taille (120 pages à tout casser), Tigre a été conquis.
Ce que Le Tigre a retenu
Tout d’abord, la façon dont est disséminée l’information fait corps avec la perte de mémoire consécutive à un stress post-traumatique…seulement, le héros n’a pas vraiment conscience de la raison pour laquelle son cerveau joue les filles de l’air. A partir de ce constat, Valse avec Bachir (sublime titre, le contraste est saisissant) est avant tout un intense travail de mémoire, une quête salutaire qui peut expliquer le « flou » scénaristique qui ressort du titre…jusqu’à l’horrible vérité. Car les entretiens avec Frenkel et les autres vont permettre de progressivement lever le voile sur un épisode odieux de l’opération « paix en Galilée » (sic).
Ensuite, en quoi consiste cet épisode ? Certes il y a les aléas de la guerre, lorsqu’on demande à un jeune homme de buter les chiens à distance afin que ces derniers ne donnent pas l’alerte. Certes il y a les villes en ruine, avec les snipers planqués et les irréelles équipes de télévision. Mais rien n’égale dans l’horreur la tuerie généralisée, par une poignée d’extrémistes pro-Bachir, d’une partie de la population palestinienne présente au Liban. Massacre dont avaient connaissance les autorités israéliennes qui ont laissé les milices phalangistes zigouiller femmes et enfants – et ne semblent pas s’en offusquer, à l’image d’Ariel Sharon. Les ennemis de mes ennemis sont ponctuellement mes alliés…
Enfin, les dernières pages, interview de David Polonsky (directeur artistique), permettent de se rendre compte de la gageure à faire, à partir d’une œuvre cinématographique, une BD. D’ailleurs, les auteurs ne sont pas partis des images du film, celles-ci n’étant pas exploitables (à l’inverse des dessins préparatoires originaux). Ensuite, tout doit être visuellement réorganisé, la logique du lecteur n’ayant que peu à voir avec celle du spectateur – qui, en plus d’être passif, est soumis à une bande originale enivrante. C’est pourquoi Polonsky s’est attaché à présenter un lieu ou une action par double page (unité par excellence), en plus d’adapter le roman graphique vers un format « comics » afin de ne pas brusquer les habitudes des lecteurs et libraires.
…à rapprocher de :
– Sur les atrocités commises contre les populations civiles pendant une guerre, expliquées en bandes dessinées, Tigre vous renvoie évidemment à Maus, d’Art Spiegelman.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique en ligne ici.
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