La Révolution française fut une épopée certes passionnante mais un tantinet bordélique. En s’intéressant au destin d’une poignée d’individus pris dans la tourmente des guerres (civiles y compris), les auteurs ont tant tenté de divertir que d’instruire. Raté. Dessins platement esquissés (à part quelques notables exceptions), personnages dont le charisme dépasse à peine celui de mon chat, fuyez mes amis.
De quoi parle Citoyen liberté, et comment ?
De 1789 à 1795, la France a vécu une période un peu foutoir avec des évènements qui ont fait un peu paniquer toute l’Europe monarchiste. Des légitimes cahiers de doléances aux exactions commises par la Terreur (et la Terreur blanche qui a suivi), la présente bande dessinée a pour objectif de rendre compte des étapes d’une révolution qui s’est étalée sur plus de cinq années, et ce en suivant quelques protagonistes.
Outre les grandes figures historiques telles que Marat, Robespierre ou ce bon Louis (dont la partie supérieure du corps s’est brusquement détachée un beau jour), le lecteur suivra un certain Jean-Jacques Perrault, journaliste de son état qui ira à la rencontre d’acteurs plus « anonymes », notamment Jean-Baptiste, chargé de recueillir les doléances à Ivry ou Émile, jeune impétueux qui traînera ses guêtres de Versailles à Paris, en passant par la terrible Vendée – sans parler d’un certain Pava, jeune Indien passant du statut de serviteur taiseux d’un noble à celui de sans-culotte.
Passons à ce qui a fait tilter le fauve. D’une part, Ivry par ci, Ivry par-là, son château, son Port-à-l’Anglais,…bref, le lecteur aura vite compris que la mairie a lâché quelques espèces à l’éditeur pour faire d’Ivry le point de départ et d’attache par défaut du bouquin. Sans cracher un injuste venin sur cette ville, et pour avoir régulièrement foulé les tribunaux sis à Ivry, Le Tigre a trouvé que ces nombreuses références à cette ville, associées à un titre qui ne veut pas dire grand-chose, font un peu trop « BD-cheap-payée-par-conseil-municipal-destinée-à-distribution-dans-écoles-de-glorieuse-ville ».
D’autre part, Forni et Camano, les vaillants scénaristes, semblent avoir produit le strict minimum concernant l’adaptation des étapes révolutionnaires. Certes, ces dernières sont fidèlement restituées, toutefois certaines transitions paraissent avoir été réalisées à la truelle, et les dialogues relèvent davantage de doctes remarques à l’attention des écoliers que d’échanges entre êtres humains. Heureusement que celui qui a fourni le gros du boulot, Lucien Rollin, a sauvé quelques meubles : bien que la gueule des intervenants soit peu vivante (y’a du faciès de sculpture, on sent l’inspiration prise au Louvre), le trait et les couleurs demeurent correctes et l’immersion satisfaisante. Néanmoins, le dessin demeure trop chargé et il manque des tableaux d’envergure que le lecteur aurait pu admirer.
Ce que Le Tigre a retenu
Comme si les auteurs avaient pressenti ma proverbiale inculture, ceux-ci ont cru bon rappeler la chronologie de la Révolution en plus de donner des éléments historiques sur l’état de la presse et un aperçu d’Ivry (encore et toujours…) à cette époque. Ce sont ces presque dix pages qui m’ont décidé à traiter cet illustré comme un essai, et non en tant que bande dessinée classique.
Pour faire simple, voilà ce que je répondrai désormais si un professeur un tantinet zélé venait à m’interroger sur la Révolution : doléances, États Généraux, Jeu de Paume, Prise de la Bastille, Grande Peur (destruction de tout ce qui a trait à l’Ancien Régime) ; Constituante ; guerre contre l’Autriche et la Prusse désireuse de sauver le cul de Louis XVI, puis contre l’Angleterre et la Hollande ; rébellion en Vendée, etc.
En revanche, les luttes entre Indulgents, Fédéralistes, Jacobins et autres Girondins m’apparaissent tout aussi obscures…
Sinon, il est toujours aussi fascinant de remarquer comment l’Homme s’adapte à ces profonds changements de régime. Certains nobles décident opportunément de « citoyenner » leurs noms, d’autres rombières épousent leur intendant pour préserver leurs possessions, bref le patrimoine ne change pas toujours de main. Quant aux plus indigents, bah rien de nouveau pour eux. Une révolution, c’est un tour pour revenir au point de départ, comme une volte-face des institutions à 360° ?
Enfin, le félin a appris l’influence d’alors des gazettes et autres quotidiens. La plupart des révolutionnaires de renom avaient leur propre feuille de choux, publiées cahin-caha à un rythme soutenu et en format tabloïd. Dès lors, une poignée de personnes (quelques milliers tout au plus sur les 21 millions d’habitants composant le pays) se branlait le cerveau comme jamais sur les évolutions du pays, la révolution, la liberté, les moyens pour la combattre, etc. Marat et son Publiciste parisien (devenu L’Ami du peuple), Purdhomme et Les Révolutions de Paris ; Desmoulins et son Révolutions de France et de Brabant, autant de vecteurs d’idées qui, souvent, ont précipité leurs auteurs vers leur perte – et ce grâce aux nombreuses restrictions à la liberté d’expression, laquelle devra attendre un petit siècle avant d’être assurée.
…à rapprocher de :
C’est à ce moment que votre serviteur s’aperçoit que sa bibliothèque est désespérément pauvre s’agissant de la chose révolutionnaire. Et qu’il n’a strictement rien d’autre à vous proposer. Plus généralement, et au risque de se répéter, le félin accuse une relative méconnaissance de la période révolutionnaire en France.
D’ailleurs, et mis à part la balade napoléonienne d’une quinzaine d’années, il existe un grand flou artistique sur ce qui a bien pu se passer en Europe de 1815 à 1914 – néanmoins, incollable je suis sur l’Asie pendant ce même laps de temps. Un siècle au cours duquel la logique des évènements ne me saute vraiment pas aux yeux.