Dans une ville qu’on imagine éteinte, vivent deux hommes qu’une palissade séparent. Et lorsqu’un gars psychologiquement fragile fraye avec un ex-militaire porté sur le whisky, y’en a bien un qui va partir façon puzzle. Ce roman nerveux s’adresse au lecteur avec panache mais courtoisie et a tout de l’homme politique : ça fait rêver, laisse indifférent ou énerve sur les bords. Le tout agrémenté de références musicales pour mieux compléter les pérégrinations des deux amis.
Il était une fois…
Fred est un être un peu paumé dans la vie. Débarqué d’on ne sait où (le lecteur l’apprendra au fil des pages), il emménage dans un rez-de-jardin de trente-cinq mètres carré dans une petite bicoque. Derrière la palissade de son jardin, il y a Roland, ex légionnaire au phrasé limite ordurier et plus que disposé à partager un verre ou deux (bien plus au demeurant) avec Fred. Rapidement Roland s’invite chez son nouveau voisin, armé de boutanches d’alcools et d’une certaine sensibilité musicale aux fins d’escorter leurs discussions d’ivrognes. Face à un Roland davantage envahissant chaque nuit, que peut faire notre ami encore psychologiquement fragile ?
Critique de Palissade
« Fred est mort il y a six mois à peu près , une nuit de fin d’été 2014. Il allait avoir 40 ans. » C’est par ces quelques mots que commence une œuvre plutôt nerveuse et qui, du haut de ses 180 pages, pourra se lire en une bonne heure eu égard la faible densité de ses 30 chapitres – lesquels sont numérotés à l’envers, tel un compte à rebours ayant pour point d’orgue le décès du protagoniste.
Fred, d’abord : un pauvre hère sans emploi apparent passant ses journées à chasser la gueuse sur des sites de rencontre (et ça semble bien fonctionner), fumant et picolant le reste du temps. Le lecteur découvrira rapidement que Freddou sort d’un séjour en H.P. (hosto psy pour les intimes) pour une histoire de cœur qui aurait mal tourné. L’auteur relate les mésaventures de cet (anti) héros à la première personne, et la narration est émaillée de nombreuses remarques à l’intention du lecteur, et ce dans un registre familier malgré l’emploi du vouvoiement – selon votre état d’esprit, ça passe plus ou moins bien.
Roland, ensuite. Un personnage « brut » qui a tout de l’ancien militaire bourru qui aurait laissé tout bon sens lors de ses précédentes campagnes militaires. Un gars dont le franc parler oscille entre une certaine gentillesse maladroite et les gueulantes homériques pour un rien – le genre à s’exciter lorsqu’en quémandant du rock Fred passe du Blondie… Imaginez enfin la rencontre de ces deux individus désœuvrés qui ne jurent que par la nicotine, l’alcool et la musique. Jusqu’à ce qu’un des protagonistes pète une durite de trop et saccage un équilibre au départ aussi stable qu’une usine à briquets au beau milieu d’un entrepôt de feux d’artifice.
Sauf que, le temps que le dénouement pète dans les grandes largeurs, le lecteur habitué à des romans davantage policés et variés (plusieurs lieux, plus de deux personnages, etc.) pourra estimer l’histoire répétitive et le phrasé résolument « regarde comme c’est la déconne ici » un tantinet agaçant. Néanmoins, les éditions Taurnada ont cru déceler chez votre serviteur ce qui serait susceptible de lui plaire, et ont visé juste : non seulement il ne s’agit pas de littérature habituelle, mais les dernières pages, relativement inattendues, offrent un épilogue suffisamment original pour reconsidérer une bonne partie du roman.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le titre « palissade » renvoie, du haut de ma légendaire perspicacité, à deux (voire trois) sens particuliers. Basiquement, il s’agit de la clôture séparent Fred de Roland, un mur en bois faisant office de frontière poreuse entre deux personnages dont la compatibilité est rapidement questionnée. En outre, il y a dans ce mot l’idée d’une « glissade », que les évènements ne vont guère s’arranger, et ce jusqu’au drame. Le comportement de Roland vis-à-vis de Marie-Jeanne, amour sincère de Fred, annonce la couleur : l’amitié de Roland, mâtinée d’un reflux d’homosexualité, est exclusive.
[Attention SPOIL] A tout hasard, en apprenant le fin mot de l’histoire, le félin a tout de go pensé à une lapalissade, ou plutôt son contraire : une contradiction qui aurait pu être décelée dès les premiers mots du roman : un narrateur peut-il annoncer qu’il mourra dans six mois tout en contant son histoire ? Soit l’auteur se joue du lecteur, soit ce dernier aurait du gardé à l’esprit l’ignorance du narrateur pour ce qu’il ne peut voir – malgré un ou deux passages suggérant son omniscience.[Fin SPOIL]
Enfin, Palissade a la particularité de proposer, au moins deux fois par chapitre, des morceaux de musique pour accompagner la lecture – ce qui est en soi louable, d’ailleurs le félin en parle dans un billet (en lien). Franck Villemaud nous fait ainsi part de ses préférences musicales telles que John Zorn, Danny Chaimson & The Eleven hour, Sixteen Horsepower qui apporteraient une touche rock & roll (selon l’éditeur). Du coup, il ne faut pas hésiter à lire le roman à côté d’un ordinateur pour passer les morceaux suggérés. Pas vraiment du rock & roll, plutôt quelque chose de jazzy voire légèrement underground (eu égard ma proverbiale incompétence dans le domaine du vieux rock).
…à rapprocher de :
– Le fauve s’est dit que, tant qu’à numéroter les chapitres à l’envers, pourquoi l’auteur n’a-t-il pas fait de même avec les pages ? Par exemple, le compte à rebours est plus prégnant dans Survivant (en lien), de Chuck Palahniuk – même dénouement qui laisse en suspens la question de la survie du protagoniste.
– Du côté des éditeurs indépendants, il est quelques chouettes ouvrages avec des anti-héros passablement mal dans leurs peaux et passant leurs journées à consciencieusement se détruire : Monstres, de Mike Kasprzak ou Avant Terme de Serge Cazenave-Sarkis – d’autres exemples sont présents sur le léger blog.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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