Proposez à un homme de changer de voie, et il y a fort à parier qu’il vous pète une durite. C’est ce qui arrive presque au protagoniste principal, écrivain à ses heures. Ce roman, plus que correct, mérite définitivement sa place dans la cour des grands. Après lecture, le titre ne contredirait-il pas le chemin que choisi, en fin de compte, le héros ?
Il était une fois…
Jean Martinez, professeur vers Limoges, n’a pas à se plaindre. La cinquantaine approche tranquillement, sa femme ne le fait pas trop chier et ses gosses ont quitté le nid familial. Cerise sur le gâteau de son contentement, il est un modeste écrivain à succès dans la catégorie (un peu cheap selon certains) des « romans de terroir ». Un beau jour, son éditeur l’incite à rédiger une œuvre complètement différente susceptible de faire furieusement parler de lui. A partir de ce moment, tout ne sera que découvertes et remises en question dans sa vie bien rangée.
Critique de Il faut croire en ses chances
Je ne sais pas comment se démerde le bon Szabowski, mais il réussit à laisser chez Le Tigre d’intenses sentiments mitigés. Un auteur qui ne laisse pas indifférent en raison de la structure de son scénar’ et à la fois de sa prose, c’est plutôt rare.
Le roman a très bien débuté, disons que je me suis régalé avec Picard, l’éditeur qui convainc le héros de sortir de ses sentiers battus pour pondre un récit limite porno qui se déroulerait dans un camp de concentration, tout ça sous l’égide de Faust. La logique du business man est parfaitement rendue et hilarante, annonçant un titre jouissif et profondément original. La suite est dans la même veine, notamment les petits à-cotés de Martinez : son renouveau en tant que tennisman de talent, quelques escapades avec une belle bibliothécaire, la manière dont il enrage face à la page blanche ou les rencontres avec son éditeur.
Hélas, et il me semble que Szabowski est un maître en la matière, le lecteur cartésien pourra reprocher à l’auteur de le laisser en plan et passer, d’un chapitre à l’autre, du coq à l’âne. C’est ce que j’ai ressenti dans le dernier tiers où des péripéties ne connaissent aucun dénouement, tandis qu’un simple partie de tennis peut prendre de monstrueuses proportions. Quant au style, j’ai trouvé le verbe précis et l’architecture générale de l’œuvre (taille des chapitres, dialogues) étonnement mature et cohérente.
Pour conclure, Tigre a apprécié l’humour subtil mais corrosif, toutefois le roman accuse quelques baisses de régime (il faut dire que ça démarrait fort). Grâce à la taille de cet ouvrage, on n’a pas le temps de s’en rendre compte. L’ultime bonus à savourer concerne les titres des chapitres, instructions en cas d’arrêt cardiaque d’un proche – équivalent de la musique angoissante dans un film, on s’attend à quelque chose de terrible.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La première question me venant à l’esprit est le degré de mise en abîme. S’il n’y avait pas le narrateur pour rajouter une couche d’autodérision qui fait mouche, les actes et pérégrinations de Martinez sont désespérément banales : femme doucement aimante ; Sébastien et Camille (ses enfants), étudiants à la capitale et peu pressés de descendre voir leurs parents ; participation et organisation de tournois de tennis,…la vie paraît bien lisse. Jusqu’à ce que l’écriture d’un nouveau genre le pousse dans ses retranchements.
A ce titre, l’éditeur annonce sobrement dans la couverture qu’il s’agit d’un roman sur « l’égarement qui nous guette tous ». Tigre ne parlerait pas d’égarement, mais d’évènement catalyseur qui contraint à décider si une étape sera franchie ou non. L’anti-héros s’égare certes, mais après quelques avancées notables il semble surtout louvoyer. Face à des problématiques nouvelles, il fait même preuve d’une certaine lâcheté pour revenir à une sorte de statu quo ante : rester simple, se contenter de ses collègues et camarades de sport (avec qui les échanges sont convenus) et approfondir son jeu de cour – plutôt que son jeu d’écriture.
A bien y réfléchir, François S. n’a pas tord, chaque lecteur trouvera dans le cas de Martinez un écho à son existence : Tigre s’est souvent oint d’huiles parfumées en imaginant son modeste blog atteindre des orbites dignes d’un grand site internet, avant de finalement se rendre compte qu’il y a des choses plus importantes à faire.
…à rapprocher de :
Vous l’aurez compris, Tigre est plus ou moins un habitué de François Szabowski :
– Déjà, il y a Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent. J’ai eu beaucoup de mal avec, néanmoins la suite, Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur, est délicieuse. L’écrivain y donne une profonde analyse de lecture de Il faut croire en ses chances, adaptation de Faust avec l’éditeur dans le rôle du diable et la luxure en la personne de la bibliothécaire.
– Ensuite, certains romans sont plus intimistes, à l’instar de Silhouette minuscule, coécrit avec Anna Reese. Même souci concernant le mystère effectif. Quant au recueil de nouvelles Une larme de portor pour les pensées tristes, ça mérite le détour.
– La fine imagination de l’auteur se retrouve dans le recueil de désopilants proverbes dans La famille est une peine de prison à perpétuité (illustrations d’Elena Vieillard).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Ou, mieux, via le site de l’éditeur.
Ping : François Szabowski – La famille est une peine de prison à perpétuité | Quand Le Tigre Lit
Ping : François Szabowski – Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent | Quand Le Tigre Lit
Bonjour Le Tigre ! Je découvre ton blog avec cette chronique, et pour ma part je ne suis pas d’accord avec le choix final de Martinez (d’ailleurs tu en as trop dit !) J’ai aimé cette auto-dérision, à chaque instant, sur le quotidien de cet homme et de son entourage, et le style qui créait cette mise à distance était parfaitement maîtrisé, très fluide et naturel (par rapport à d’autres romans d’auteurs français que j’ai trouvé trop léchés) – alors qu’en fait l’auteur retravaille beaucoup. Quoi qu’il en soit, je me plonge incessamment sous peu dans Les majorettes… 😉
Et j’apprécie particulièrement ta conclusion qui me remet les pieds sur terre 😛
Aurais-je commis le pêché du spoil non annoncé ? L’autodérision est presque parfaite, et l’auteur a tout du moine copiste qui besogne son travail encore et encore il est vrai. La conclusion s’adressait surtout à moi ^^
On ne lit pas forcément la 4e de couv, alors il vaut mieux pas trop en dire 😉 Quant à ta conclusion, je la reprends à mon compte aussi 😛
Ping : François Szabowski – Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur | Quand Le Tigre Lit
Ping : François Szabowski – Une larme de porto contre les pensées tristes | Quand Le Tigre Lit