VO : Reunion. Dans une Allemagne sur le point de s’en remettre à un certain Adolf, deux adolescents développent une amitié qui ne peut survivre au nouvel ordre à venir. Avec un roman aussi court qu’efficace, Fred Uhlman saura marquer n’importe quel lecteur normalement constitué. Un mini chef d’œuvre qui ne doit pas rester au fond de sa bibliothèque.
De quoi parle L’ami retrouvé, et comment ?
Commençons par les présentations d’usage. Uhlman, c’est un vrai cas. Une émeraude scintillante, de l’Allemagne où il envisageait d’étudier le droit jusqu’à l’Angleterre dont il maîtrise la langue en moins de temps qu’il faut à une V2 pour atterrir en plein Londres, en passant par les États-Unis où il est devenu avocat (en étudiant à Harvard, s’il-vous-plaît). Et on retrouve suffisamment d’éléments concordants dans son ouvrage pour que le félin s’est autorisé à classer le présent ouvrage en tant qu’essai.
Cette autobiographie romancée peut se découper en deux parties. La première, de loin la plus longue (plus des trois quarts), se concentre sur la douce année 1932 (si j’ai bien suivi) dans un Gymnasium à Stuttgart où étudie Hans Schwartz, fils d’un docteur juif [vous voyez arriver le souci ?]. La presque morne existence du bon Hans s’éclaire dès lors que débarque Conrad von Hohenfels, jeune aristocrate mystérieux mais doté d’une allure d’une classe folle. Le genre qui donne le tournis au protagoniste qui fera tout pour attirer son attention.
Forcément, Hans parvient, lentement mais sûrement, à gagner la confiance du bien-sous-tout-rapport Conrad avec lequel il devise des heures durant. Il l’invite même chez lui, c’est dire le degré d’intimité ! Hélas, mille fois hélas, la République de Weimar moribonde laisse la place à un régime que semble soutenir la mère von Hohenfels. Cette dernière vomit suffisamment les Juifs pour que Conrad ne puisse plus fréquenter le protagoniste et se fende d’une lettre à son attention. Dans cette missive, Herr Conrad ne manque pas d’ailleurs d’expliquer tout le bien qu’il pense du nouveau chancelier.
Et puis tout s’accélère. Hans est envoyé par ses parents inquiets étudier aux États-Unis (ses premiers pas dans une université allemande donnaient suffisamment de frissons) pour y étudier le droit. Il devient naturellement avocat, trouve une femme et s’installe en Angleterre. Jusqu’à ce que, par curiosité, il regarde un fascicule contenant la liste de quelques anciens élèves de son lycée…et ce qu’ils sont devenus. A cet instant, la tristesse est à son comble et l’auteur décide, intelligemment, de clore cette biographie.
Concernant le style, le félin se contentera d’ânonner ce que l’immense Arthur Koestler a dit de ce bouquin : il s’agit d’un chef d’œuvre mineur. « Mineur » dans le sens où votre serviteur a lu un « mini chef d’œuvre » qui tient en une centaine de pages. Les mots sont précis, la fluidité du texte est ahurissante (surtout quand on se rappelle que l’Anglais n’est pas la langue maternelle d’Uhlman) si bien que les chapitres s’enchaînent à une allure remarquable. Ni fioritures ni mots excessivement léchés, Fred U. va droit à l’essentiel. Il avait quelque chose à dire, et l’a fait de la manière la plus efficace qui soit – avec une honnêteté savamment dosée de quelques pincées d’intimisme.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce qui peut surprendre (sinon ennuyer) est la manière dont le héros se pose des questions sur le sens (et les signes) de l’amitié naissante avec Conrad. Car Hans a un idéal tout chevaleresque de l’amitié, un sentiment extrêmement puissant qui a l’air de le ronger – en bien, rassurez-vous. Il faut également savoir que les présences féminines se limitent aux mamans et quelques hideuses cousines, aussi Le Tigre se demande si l’absence de stimulation sensuelle (entendez : y’a pas de pépées) n’a pas entraîné chez Hans une forme de « report » vers un camarade dont la beauté est manifeste. Attention, je ne dis pas que notre ami est un gay un tantinet refoulé, seulement qu’il parvient à donner toute sa mesure à la phrase « j’aime mon ami ».
Même si on peut s’en douter, la violence du comportement de la vieille noblesse vis-à-vis de leurs compatriotes d’ascendance juive est frappante. Parce qu’il ne pourra jamais être accepté par les parents de Conrad (lequel ne cherchant pas à maintenir ses liens avec son pote juif), Hans a perdu un ami. Or, le titre français, loin de l’original, est judicieusement choisi : certains ont retourné leur veste au cours du conflit, et se sont même sacrifiés pour faire valoir leurs nouveaux idéaux. C’est notamment le cas de Conrad dont on apprend qu’il a participé à l’attentat manqué contre tonton Adolf. De personnage sans grande profondeur (du fait de sa jeunesse) dont on ignore beaucoup de choses, Conrad se mue, dans la dernière page, en héros recevant l’absolution la plus complète.
…à rapprocher de :
– Tigre a beaucoup de romans sur cette période trouble, s’il ne fallait en choisir qu’un ce serait Seul dans Berlin, de Hans Fallada.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Hans Fallada – Seul dans Berlin | Quand Le Tigre Lit