Livre mille fois résumé, analysé, passé au crible germano-pratin, Le Tigre apporte sa modeste pierre à l’édifice de la légende du bon Beigbeder. Lu il y a certes longtemps, le film éponyme a su entretenir mes souvenirs. Au-delà de la personnalité contestée de l’auteur, ce n’est pas si mauvais du tout. Sauf sur la fin hélas.
Il était une fois…
Octave Parrango est rédacteur publicitaire. Il vend du vent afin que la « mongolienne de moins de 50 ans » achète des trucs dont elle n’a pas besoin. Octave est riche, très même. Sans femme ni enfants, il mène une vie que de vieilles dondons du 16ème arrondissement de Paname qualifieraient volontiers de « dissolue » : drogue à outrance (cocaïne notamment), sexe débridé, foutage de gueule généralisé de ses contemporains, bref la vie décadente d’un mec qui croit faire la pluie et le beau temps.
Critique de 99 francs (6 euros)
Double problème avec ce titre. Déjà, je l’ai lu étant (relativement) jeune et ai à l’époque adoré. Pour les besoins d’un résumé un tant soit peu crédible, j’ai rapidement parcouru les 50 dernières pages, juste par curiosité (je n’aurai pas du). D’autre part, mon esprit critique est intensément pollué par le film qui est fidèle au roman. Et comme Jan Kounen (le réalisateur) s’est plus que correctement sorti les doigts du fondement pour produire quelque chose de valable, Le Tigre a tendance à mélanger les deux médias.
Revenons au bon Octave qui conchie son métier avec une verve et des descriptions qui sont d’une insolence rare. Il appert rapidement que le but de l’infâme publicitaire est de se faire virer. Entre les tournages à Paris, Miami et autres, il n’en peut plus de se sentir tel un imposteur. Sauf que ses tentatives ont l’effet inverse, chaque crotte artistique (ou comportement scandaleux) lui permet, à son insu, de monter en grade.
Frédéric B. a un style aguicheur, plus qu’aisé à suivre et où transpirent (c’est possible chez lui) la sincérité et l’indignation du métier exercé. Car cette histoire est grandement autobiographique, du moins la boîte américaine Young & Rubicam l’a pris de la sorte en virant l’écrivain après la sortie de son œuvre. Il a pris peu de risques, me diriez-vous.
Toutefois, la mise en abime devient progressivement décevante au fil des chapitres (racontés par un sujet différent). A un tel point que les délire finaux, notamment la séquestration d’une grosse américaine (qu’on ne retrouve pas dans le film d’ailleurs), ou le rattrapage brutal de la « réalité légale » (on ne peut pas gober impunément des amphèt’), m’ont agacé. Presque un roman dont il ne faut dévorer que la moitié pour être pleinement satisfait. Paradoxal, comme l’auteur.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Si vous avez vu le film, inutile de vous rappeler que le monde publicitaire en prend tranquillement pour son grade. Nos amis, presque en dilettante, gèrent leurs dossiers avec une nonchalance qui fait regretter qu’aucun code déontologique n’existe dans la profession. Bien intégré dans ce milieu, les acerbes critiques (les phrases choc font leur petit effet) de Beigb…euh Octave sont réalistes à souhait.
Les responsabilités sont partagées dans la mesure où le client, toujours frileux, apparaît comme l’étouffeur de la créativité des fils de pub. Si leurs premiers concepts sont drôles, créatifs, intellectuels, le vendeur final sous-estime toujours ses clients et nivelle par le bas. Tuer une bonne idée n’a jamais été aussi rapide dans un métier. « Ne pas prendre les gens pour des cons, mais ne pas oublier qu’ils le sont », comme le diraient les Inconnus. Ce que je dis est valable pour d’autres professions.
En corolaire, le dernier thème est à mon sens la perte de la pureté en général. Octave le drogué est loin d’être méchant (il le prouve à la fin, certes de manière larmoyante), toutefois il en a trop vu pour se départir de son cynisme. Tout ce qu’il touche semble se transformer en merde, une sorte de malédiction contemporaine. Comme le dirait la pétillante Mylène Farmer : ses idéaux (l’honnêteté notamment), envolés ; sa génération (du moins celle de ses cibles finales), désenchantées malgré ce que la pub leur fait miroiter.
…à rapprocher de :
– Le film, bien sûr. Dujardin est très bon dans le rôle, et je ne vous parle pas du boss d’Octave, grand habitué de la distribution des films de Kounen. Le gros des anecdotes est repris, comme le mannequin obligé de cracher sa bouchée de yaourt après chaque prise de vue, les réunions hallucinantes avec les marketeurs d’une grosse boîte, etc.
– La suite, Au secours pardon, ne m’a pas laissé une grande impression. L’auteur a aussi sorti Vacances dans le coma, qui consiste à raconter une nuit décadente en boîte. Chiant. Tout comme L’égoïste romantique.
– De Beigbeder, vous pouvez laisser de côté L’amour dure trois ans, Windows on the world pour lire Un roman français, roman de de la maturité. Ça fait certes un peu cliché mais c’est comme ça. Quant à Nouvelles sous ecstasy, faut aimer le genre (insupportable pour certains).
– Un publicitaire qui fait n’importe quoi, c’est aussi Augusten Burroughs dans Déboire. Plus profond, plus intimiste, plus autobiographique. Bref, plus mieux.
– Y’a un receuil de nouvelles de John Updike qui se nomme Publicité. Le texte principal n’est pas mal du tout.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.
Ping : Frédéric Beigbeder – L’Égoïste romantique | Quand Le Tigre Lit
Ping : Frédéric Beigbeder – Nouvelles sous ecstasy | Quand Le Tigre Lit
Ping : Frédéric Beigbeder – Un roman français | Quand Le Tigre Lit
Ping : Alain Wegscheider – Mon CV dans ta gueule | Quand Le Tigre Lit
Ping : Denis Michelis – La chance que tu as | Quand Le Tigre Lit
Ping : Frédéric Beigbeder – Vacances dans le coma | Quand Le Tigre Lit
On peut également passer à côté de la suite de « 99Fr » : « Au secours pardon » décevant…