Deux jours en garde à vue dans des locaux pourris à Paname vous changent un homme. Et lorsqu’il s’agit de Frédo Beigbeder, le résultat est (étonnamment) bon. Excellent même : l’auteur se raconte, sa famille, son environnement, et fait preuve d’une maturité bienvenue dans un ouvrage sérieux et agréable à parcourir. Chouette. Il était temps.
De quoi parle Un roman français, et comment ?
Le félin consent avoir été sacrément surpris : sachant que Beigbeder entreprend de faire plonger le lecteur dans son enfance (celle de Beig’, pas la vôtre) tout en discourant de ses problèmes de drogues, il y avait fort à craindre de se taper un roman nombriliste. Il n’en fut rien de mon côté, c’est plus une pierre apposée à l’édifice de toute une génération (avec en prime les travers du système judiciaire français) qu’un énième coup de com’ pour faire marrer le microcosme parisien.
Parce qu’il s’est fait pécho en train de sniffer de la coco sur le capot d’une belle cylindrée, Beigbeder a eu maille avec la flicaille et a passé 48 heures en garde à vue. Pauvre petit, tellement traumatisé qu’il s’est alors juré de pondre un titre sur lui, sa vie, son œuvre. Et celle-ci est parfaitement fournie, complète, voire limpide dans le style. Rien à voir avec les daubes un peu légères et surchapitrées que Fred nous a pondues parfois, il fait preuve d’une prise de recul et d’une autodérision renouvelée qui tend à le rendre sympathique – si si.
Maintenant, les bémols. Un roman français, dense, aurait peut-être mérité une centaine de pages de plus – gageons que le mec écrira des mémoires au crépuscule de sa vie. Ensuite, il est dommage que l’auteur français se soit sorti les doigts du postérieur seulement parce qu’il s’est fait goaler et poursuivre. Des mauvaises passes au taf ou des échecs sentimentaux n’ont donné lieu qu’à des titres décevants, comme si ne parler que de lui est une motivation supplémentaire – heureusement qu’il tend plus à faire amende honorable que se justifier. Enfin, Le Tigre n’a pu s’empêcher de trouver que la partie en GAV et au dépôt fait petit bourgeois qui, à la suite d’une encanaillerie de trop, découvre la triste réalité qui le fait relativiser ses petites misères – oui, je verse dans le subjectif le plus odieux.
En conclusion, si vous ne devez lire qu’un roman de cet auteur, il n’est pas impossible que ce doit être celui-ci. S’agissant d’un essai (la plupart de ses romans sont à forte charge autobio me direz-vous), la sincérité d’un Roman français mérite de s’y arrêter même s’il est dommage d’attendre un coup de pied au cul pour publier un tel résultat. Pour info, j’ai lu la première édition, sans la préface de cet alcoolo de Houellebecq – me demande bien ce qu’il a gazouillé.
Ce que Le Tigre a retenu
On va la jouer classe et reprendre les termes même du titre.
Un roman français, c’est l’histoire d’une personne et de sa famille dans un Paris bourgeois assez catho mais ouvert au monde globalisé. Frédéric y raconte les soirées organisées par ses parents (ou son père seul, car leur mariage n’est pas au plus haut) dans l’appartement tapissé de moquette ; sa relation compliquée avec un frère idéalisé et aussi détesté (car si différent de lui) ; puis ses questions existentielles sur la signification du mariage et comment ça a pu déraper de son côté ; ou encore les évolutions sociétales vues par un garçon devenu homme. Bref, c’est le parcours d’une famille qui est, au moins sur un point, pas si différente de la nôtre.
Un roman français, c’est aussi un ouvrage sur la France, sur sa capacité à se régénérer après deux claques (une démographique, une morale) prises dans le cours du 20ème siècle. Mais le moteur de l’œuvre, le pourquoi de cette prise de plume est la nuit (la seconde si je ne m’abuse) passée dans le tristement célèbre « dépôt » de la préfecture de police de la capitale : Beigbeder y crie son indignation (en lettre capitale, oui) de voir exister un tel endroit dégueulasse – il ne souhaite pas à son pire ennemi de devoir y passer une heure. M’est avis que s’il visitait tous les lieux de détention du pays, Beigbeder aurait de quoi taper vingt volumes à la Zola. En outre, d’autres aspects du système judiciaire sont décrits, entre les discussions (qui volent haut) avec le commissaire ou l’intransigeance d’un procureur en apparence aussi froid qu’une cellule de zonzon – procureur sans lequel ce roman n’aurait pas vu le jour.
…à rapprocher de :
– Chez Fréd’ B., y’a du bon (enfin c’est selon) comme du mauvais. Pour l’instant, sur QLTL : 99 Francs (pas mal, vraiment) ; Vacances dans le coma (ça se gâte) ; Nouvelles sous ecstasy (beurk) ; L’égoïste romantique (à lire si vous ne connaissez pas l’écrivain).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.
Ping : Frédéric Beigbeder – Nouvelles sous ecstasy | Quand Le Tigre Lit
Nouvelles sous extasy c’est vraiment de la merde. Mais je suis pas super douée pour les critiques de livres.
Ping : Frédéric Beigbeder – 99 francs | Quand Le Tigre Lit
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