VO : Crónica de una muerte anunciada. Marquez est un immense auteur qui en une centaine de pages parvient à produire une œuvre d’une rare densité. Ne vous fiez pas au nombre de pages, c’est plus long qu’il n’en a a l’air. Sur fond d’une histoire de vengeance révoltante car évitable, c’est autant la fatalité que l’insondable bêtise de l’Homme qui sont abordées.
Il était une fois…
Tout commence par le mariage entre Angela Vicario et le vieux Bayardo San Roman dans un village en Colombie. La nuit de noces ne se passe pas vraiment comme prévu, en effet l’époux ramène la belle chez sa famille sous prétexte qu’il n’a pas trouvé son hymen – ce n’est pas faute d’avoir cherché. Miss Angela, honteuse, avoue que Santiago Nasar l’aurait déflorée. C’est alors que ses frères annoncent qu’ils vont occire le vilain Santiago. Tout le monde est au courant, pourtant un jeune homme sera découvert poignardé le lendemain matin.
Critique de Chronique d’une mort annoncée
Eu égard l’histoire et la presque atemporalité du sujet, Tigre a été étonné de découvrir que ce bouquin a été publié au début des années 80, soit juste avant que l’auteur ne reçoive son prix Nobel.
Deuxième surprise, la taille du livre. Celui-ci paraît court mais il n’en est rien, ça ne se lit définitivement pas comme un Amélie Nothomb (ou Fric-Emmanuel Schmitt). C’est même plutôt dense et exige d’ouvrir tout entier son cerveau, au risque que l’’histoire vous échappe au début – ce qui m’est arrivé, heureusement je suis rapidement entré dans le jeu et les personnages. Car les premières pages peuvent sembler bien déroutantes : s’il s’agit d’une « mort annoncée », c’est que le narrateur annonce le nom de la victime, et celui de ses assassins.
En outre, Pedro et Pablo Vicario (les tueurs), déclarent à qui veut l’entendre qu’ils vont s’occuper de Santiago. Si, en France, ce genre de déclaration suffit à condamner quelqu’un, dans le petit village à peine si les flics confisquent quelques armes. D’autres éléments auraient pu empêcher l’irréparable, toutefois le narrateur, omniscient, s’amuse de rendre compte des impondérables (souvent tirés par les cheveux) qui feront que le meurtre aura bien lieu.
En conclusion, cela se lit comme une plaisanterie douce-amère. Malgré certaines situations invraisemblables (l’évêque qui bénit de très loin, ou les flics notoirement incompétents), le déroulement de la mort d’un innocent n’a jamais été aussi prenant.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le destin, bien évidemment, s’impose tranquillement dans la narration. L’écrivain colombien a fait le pari de dire ce qui va arriver, et le récit ne sera qu’un compte à rebours (parfois inversé, ce qui n’arrange rien), avec les deux dénouements que l’on connaît : 1/ la fille qui explique qui l’a dépucelé (et encore, le narrateur paraît douter de la responsabilité de Santiago) ; et 2/ le poignardage (ce mot n’existe sûrement pas) qui en découle, juste devant la baraque du pauvre don juan. Les occasions d’éviter cette mort sont nombreuses, toutefois Marquez les fait sauter, une par une, et non sans humour.
La stupidité humaine en vase clos. Gabriel Garcia M. dresse le tableau d’une populace éloignée de tout et qui se tourne immanquablement (par réflexe en fait) vers ses petites croyances qui fleurent bon le rance. Ces coutumes ancestrales (sur l’honneur et la réparation de la soi-disant perte de celui-ci) sont en opposition complète avec la règle de droit la plus basique, voire un minimum de rationalisme. Le narrateur en rajoute une couche en doutant que Santiago soit à l’origine du dépucelage ; sans compter qu’il apparaît que les frères se sentaient comme obligés de réparer l’affront. Une opportunité de briser un cercle vicieux de crimes d’honneurs était présente, mais les conditions pour la saisir se sont encore fait porter pâle.
…à rapprocher de :
– Du bon Garcia Marquez, Mémoire de mes putains tristes et Cent ans de solitude doivent être lus. Je le dis avec d’autant plus de ferveur que je ne les ai même pas dans ma bibliothèque.
– Sur la bêtise humaine et le destin tragique (qui aurait pu être évité) d’un individu, je vous renvoie vers Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, de Didier Decoin.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Merci le Tigre de parler de cette oeuvre que j’ai egalement particulierement aime.
Comme tu le dis, contrairement a ce que pourrait annoncer la taille du bouquin ce n’est pas quelque chose de très facile a aborder. Peut-être a cause du style, peut-etre a cause de la tenu hachée du scenario dans lequel le narrateur raconte son enquête, au lecteur ensuite de rassembler les morceaux d’histoires.
L’intéressant c’est qu’on a enfin un auteur qui cesse de prémâcher le boulot au lecteur.
L’histoire ensuite nous emmène dans un lieu recule, un monde inconnu pour moi, avec des conceptions de l’honneur et de la femme qui semble venir d’un autre age tant elles sont rétrogrades.
— Spoiler Alerte—
A propos du titre « Chronique d’une mort annoncee », je ne l’ai pas compris comme le fait que l’auteur parle de but en blanc du crime. Selon moi le titre fait référence au fait que les assassins prennent garde a mettre tout le monde au courant, qu’ils prennent bien leur temps, qu’ils montrent leurs armes etc. Et pourtant, ou bien justement parce que du coup personne ne les prends au sérieux, le drame se produit.
J’aime assez l’image du compte a rebours parce que c’est clairement le sentiment offert par l’auteur, et avec un immense talent. Le sensation d’oppression créée est fantastique considérant qu’on connait pourtant très vite quasiment tous les éléments.
Merci pour la « Spoiler alert », c’est infiniment classe de ta part. Tu as raison sur le titre, et je rajouterai que l’auteur fait corps avec les deux assassins en annonçant cette mort. C’est parce qu’il est intéressant d’étudier l’inéluctabilité d’un meurtre qu’il n’y a pas de raison de faire la fine bouche sur l’identité des coupables, au moins le tag « polar » ne sert à rien.
Pour la ‘tite histoire, j’avais, après première lecture, trouvé le tout assez décousu, et avais du reprendre en me concentrant davantage (la taille du roman est, en effet, trompeuse).
J’ai eu la chance de le trouver dans « l’elitique » bibliothèque maternelle. C’est moins trompeur que l’épaisseur.
A noter que sur ma vieille édition figure en fait la photo d’un film, apparemment avec Anthony Delon et Ornella Muti
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