VO : idem. Scénario original et fantastique, Le Tigre a bu du petit lait : les poulets ayant accédé à la conscience, l’Humanité s’est enrichie d’une nouvelle espèce. Intelligent et émouvant, ce roman assez court vaut largement le coup d’être lu. Dessin classique et vocabulaire parfois amusant, les thèmes abordés le sont évidemment un peu moins.
Il était une fois…
En 1979, les poules et coqs du monde entier sont devenus conscients et ensuite admis au sein de l’espèce humaine. 2003, Jake est contrarié : chômeur, père malade, frère star mondiale, sœur en passe d’épouser un humain. A la mort de son père Elmer, notre héros (qui est un coq au fait, je ne vous l’avais pas dit ?) va découvrir le journal de celui-ci, et découvrir comment la première génération de poulets conscients s’est débrouillée.
Critique d’Elmer
Ne jamais entrer dans une librairie dédiée aux BD sans savoir quoi acheter. On vous refilera sûrement un roman graphique. Sur ce coup j’ai eu de la veine, bien conseillé Le Tigre est tombé sur une petite pépite : ambitieux et réussi, Elmer a tout pour plaire. Un grand bravo à Gerry Alanguilan, auteur étranger qui a pris un gros risque en créant seul une telle œuvre.
En suivant un des représentants des nouveaux coqs et poules intelligents grâce à son journal intime, c’est toute un nouvelle ère que le lecteur va suivre, une période de transition intense : prise de conscience, évolution juridique, changements progressifs de mentalité, inimités résiduelles, rien n’est vraiment laissé de côté. Et raconté naturellement, sans pathos excessif.
En outre, nous découvrirons Jake Gallo, protagoniste principal un peu looser et caractériel sur les bords. Les écrits de son père l’assagiront pas mal à mesure qu’il découvrira ce qu’Elmer a pu subir. Le tout en moins de 200 pages assez denses au demeurant, superbe.
En guise de conclusion, j’ai été agréablement transporté dans cette histoire hors du commun qui ne laissera personne indifférent. Noir et blanc, dessin réaliste, régulier avec des lignes claires et droites, c’est tout ce que j’aime. Quelques lecteurs pourront néanmoins trouver cela peu fantaisiste et terne, même si le scénar’ l’est indéniablement.
L’auteur a pondu (excusez du jeu de mot très douteux) un bel ouvrage.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La discrimination. La présentation de Jack Gallo est géniale, pour un premier contact avec cette BD on ne saurait faire mieux. Le héros échoue à un entretien d’embauche et met cet échec sur le fait qu’il est un poulet et que la boîte discrimine les siens. Remplacez le poulet par un noir, hop c’est la même chose. D’ailleurs Le Tigre n’a cru voir aucune personne de couleur dans le roman graphique, hasard ?
Bien sûr le thème de la discrimination est bien plus poussé que dans le simple cadre de la recherche d’un boulot, et s’étend au racisme en général. Groupuscules extrémistes des deux côtés, brimades de jeunesse qui forgent le caractère,…l’auteur a pensé à pas mal de choses. La violence entre les minorités ici est reportée sur les animaux.
Les mauvais traitements faits aux animaux. Petit mot d’abord sur l’auteur, Gerry A. Philippin de nationalité, ce qui explique le choix des gallinacées pour son scénario. Pour être souvent allé aux Philippines, faut dire que le coq et ses poulettes sont surreprésentés dans le pays. Au point de se faire réveiller 4 fois chaque matin. Alors mettre en scène ces petites bêtes que le pays a à profusion, ça doit avoir son petit effet.
Les premiers souvenirs de la première génération « consciente » sont terrifiants : vus d’un poulet, il y a un petit arrière goût de camps de concentration. Ce qui explique l’état de la mère de Jake, passablement choquée et sujette à des crises assez proches de ce qu’on appelle le syndrome de guerre post traumatique. Alors imaginez le travail sur soi qu’ont pu effectuer les premiers coqs, le parallèle avec les juifs sortant des camps nazis est délicat à formuler : au moins ce roman graphique permet d’aborder une période sombre de l’Histoire de façon originale.
…à rapprocher de :
– Pour augmenter le rythme, roman à lire en écoutant Elmer Food Beat, rien que pour l’association d’idées.
– Sur les auteurs dits « solo », en version française, Come Prima d’Alfred tient bien la route – attention, jeu de mots.
– Maus, d’Art Spiegelman, bien sûr, sur la violence de la WWII avec en guise d’humains des animaux. Un chef d’œuvre.
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