Sous-titre : quatorze ans de lutte contre la mafia. Une histoire vraie. VO : Un fatto umano. Storia del pool antimafi. Voici un lourd pavé dessiné traitant de la lutte antimafia entre 1978 et 1992, où la stupeur se mêle rapidement à l’indignation. Dessin adéquat, un vrai zoo de violence. Un travail d’orfèvre pour un résultat sombre et édifiant.
De quoi parle La Pieuvre, et comment ?
Un essai plus qu’un roman graphique avant tout. Cette BD commence avec la présentation du narrateur, Mimmo Cuticchio, qui s’apprête à conter une histoire (avec des marionnettes) sur un style ancestral de narration. S’ensuivent plus de 370 planches à vous glacer le sang. Rien que la couverture rouge, avec le vilain piaf qui pointe son gun vers le lecteur, annonce clairement la couleur.
Quatorze ans de lutte contre la mafia, c’est l’histoire de la Sicile (Palerme surtout) tenue par une bande de criminels sans foi ni loi (autre que la leur) et défouraillant à tout va telle une bande de psychopathes uniquement attirés par l’appât du gain. Et ce de la fin des seventies à 1992. Beaucoup de protagonistes, entre les procureurs, juges, mafieux, journalistes, politiques (Berlusconi y fait une courte apparition), membres du Vatican, c’est assez difficile à suivre parfois.
En effet, la première moitié de l’essai dresse un long tableau des criminels de la région et leurs exactions (souvent entre eux) faites de luttes de pouvoir et vendettas. Sur près de 200 pages j’ai cru que j’allais lâcher l’affaire tellement il y a de monde concerné. Et leurs biographies à la fin de l’ouvrage, ainsi qu’un index, ne m’ont pas vraiment aidé. Ensuite, on se concentre sur le rôle des « gentils », et plus particulièrement sur le boulot de messieurs Falcone et Borsellino. Plus aisé à suivre.
Au final, c’est une aventure dans les arcanes d’une partie de l’Italie que Manfredi Giffone nous offre, avec les révélations (du moins pour moi, car c’est maintenant de notoriété publique) choquantes sur les liens entre ces « hommes d’honneur », le monde économique, une partie de la franc-maçonnerie (le scandale de la loge P2) et la classe politique qui contrarie le boulot de nos procs et juges (constituer un pool dédié à cette délinquance).
Sur le dessin, c’est du très très solide. Longo et Parodi ont fait un minutieux travail, en noir et blanc, avec un encrage de qualité qui donne l’impression de regarder un vieux documentaire. Petit plus, tous les protagonistes ont été transformés en animaux tout en gardant leurs caractéristiques (on les reconnaît bien en fait). Bêtes plutôt rustres pour les méchants (taureaux, reptiles,…) contre « gentils » animaux pour les magistrats et flics. A ce titre, je m’insurge contre l’utilisation du noble tigre pour représenter un mafioso qui d’ailleurs se fait trucider au début de l’ouvrage. Mais ne dit-on pas que si le lion est le roi des animaux, alors le tigre en est indubitablement le parrain ?
Ce que Le Tigre a retenu
La façon dont fonctionne une mafia. Quelques repentis (Tomasso Busceta, Salvatore Contorno pour ne citer qu’eux) ont collaboré avec les autorités et dressé un portrait plus précis de l’organisation de Cosa Nostra (terme utilisé en Sicile). Les familles à qui sont attribués des quartiers, regroupés en cantons (huit) ; une commission qui gère plusieurs famille ; une autre pour superviser les commissions, présidée par le capo di capi qui peut être également le « boss des deux mondes ». Car les liens avec la mafia américaine, les trafiquants d’Asie (Singapour par exemple) sont plus que fructueux.
La (vaine) lutte contre la pieuvre. Ce que ce roman graphique décrit, ce sont les autorités de police passablement débordées, et souvent ne comprenant pas à qui elles ont affaire. Attendre les années 80 pour voir se mettre en place les grandioses « maxi procès » semble bien tardif, ladite pieuvre a depuis longtemps déployé ses tentacules sur le pays. Contre ces groupes qui polluent l’environnement politique, économique et social de l’Italie (et l’Europe), le lecteur assiste impuissant à des guéguerres politiques ou juridiques au sein de différents services. Quelques individus dans les plus hautes sphères du pouvoir (préfets, députés,…certains corrompus) ne souhaitent pas voir se développer une institution centralisée de lutte contre la mafia, invoquant le risque d’excès de pouvoirs.
Le dernier aspect, sans doute le plus choquant, c’est l’utilisation excessive de la violence par ces hommes du déshonneur : les attentats ont explosé pendant cette période (après ensuite hélas), signe que nos héros (il n’y a pas d’autres termes) progressaient. Voitures piégées, attaques à main armée, destruction d’une route entière, rien n’était fait dans la dentelle. Les commissaires de police, Falcone et son ami, on n’était pas loin de la guerre civile. Et de la tragédie hélas, les proches étant souvent atteints : femmes, enfants, policiers en protection, passants même.
…à rapprocher de :
– En essai romancé, Les nouveaux monstres 1978-2014 de Simonetta Greggio se laisse dévorer.
– Sur l’histoire des groupes criminels, il y a Confessions of a Yakuza de Junichi Saga.
– Sur la difficulté, à l’échelle personnelle ou d’un petit groupe, de lutter contre les grands groupes criminels, signalons le happy end de Vanilla Ride, par Joe R. Lansdale.
– Dans l’essai, un journaliste américain fait son entrée. Celui-ci a vite attiré l’œil expert du Tigre, puisqu’il s’agit de Nick Tosches, qui a entre autres écrit La religion des ratés et Trinités, deux polars qui se déroulent dans le milieu mafieux.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.
Ping : Simonetta Greggio – Les nouveaux monstres 1978-2014 | Quand Le Tigre Lit
Voici un titre alléchant qui vient s’ajouter à ma liste d’envies.
Je note également les références des lecteurs. Intéressant. Peut-être devrais-je moi aussi recruter des lecteurs alertes via La rue ?
C’est un formidable vivier…
Bon, la Rue c’est fini pour moi. Trop de comptes sacqués. Trop de bas du front sur ce site, qui est devenu la cour de récréation des trolls néo-libéraux et populistes en tout genre. La qualité des articles ne cesse de baisser, beaucoup des commentateurs les + intéressants sont d’ailleurs en train de la déserter. Et puis je ne peux pas supporter qu’un média qui se dit de gauche fasse une cour éhontée à la Murène et ses sbires, tout en démontant à longueur d’articles tout ce qui pourrait s’apparenter à la vraie « gauche » et qui pourrait nuire au parti « libéral-socialiste » qu’est devenu le PS. Sans même évoquer le rôle de kapo tenu par Yann Guéant. Trop c’est trop.
Mais je reste abonné à ton blog, le Tigre…
Ta décision me rend triste, c’est terrible d’en arriver à déserter un média pourtant prometteur. Tu es mieux au fait que moi sur ce qui ne va pas dans la Rue, je n’y passe pas assez de temps. Bon, on se retrouve où sinon ? Je pensais aller pourrir directement la mère, direction Nouvelobs 🙂
Merci de suivre Le Tigre en tout cas, je tâcherai de ne pas te décevoir. Nul risque de voir des pop-ups sauter ici, aucune pub (enfin presque) et encore moins le risque de me faire racheter.
Ah non pas le nouvel obs :-)) !!!
C’est vrai que le modèle de la Rue promettait. Mais les promesses n’ont pas été tenues. C’est à mon sens un terrible échec. Mais « c’est la vie! » comme dirait l’autre. Le combat doit continuer, à l’échelle de nos modestes vies : dans notre famille, notre cercle d’amis, notre quartier. La vie ne doit pas définitivement devenir une marchandise. Vivre ne doit pas se résumer à survivre et travailler. LA CULTURE EST LA CLE DE TOUT. Je pense que nos politiques l’ont oublié, malheureusement…
On ne donne pas de conseils de lecture à un Tigre, mais je ne peux m’empêcher de vous recommander deux ouvrages qui pourront vous permettre de parfaire vos connaissances sur Cosa Nostra (qui, beaucoup de gens l’oublient ou l’ignorent, est une organisation criminelle qui prend ses racines dans le 19ème siècle des plantations d’agrumes siciliennes et des Gabelotti – les gardiens de ces plantations) :
– Salvatore Lupo, Histoire de la mafia des origines à nos jours (Lupo étant LE spécialiste italien de la mafia)
– John Dickie, Cosa nostra : L’histoire de la mafia sicilienne de 1860 à nos jours (peut-être le bouquin idéal pour qui veut se lancer dans l’étude du sujet).
N’oublions jamais Falcone, Borsellino, Chinnici, Terranova, Dalla Chiesa, Giuliano, Cassara, Montana, La Torre, Di Mauro, la liste est malheureusement trop longue. Ils sont et resteront à jamais des héros dont on se demande pourtant aujourd’hui si le sacrifice aura servi à quelquechose…
Non seulement on doit donner des conseils de lecture au Tigre, mais en plus on peut le tutoyer.
J’ai seulement lu « Les hommes du déshonneur » d’Arlacchi, merci pour vos conseils !
Pas de soucis pour les conseils et ok pour le tutoiement…
C’est sur la Rue que j’ai eu vent de toi, le Tigre. Mais comme je me suis encore fait bannir par la modération poutinienne de ce site de la « gauche collaborationniste » (j’exagère, je le sais. Mais à peine…), j’aurais d’autant plus de temps à consacrer à la lecture de ton blog.
La Rue reste un média où je place allègrement, et de manière éhontée, quelques liens vers des billets que je juge pertinent (enfin selon moi). Je suis ravi d’y trouver des lecteurs alertes, aussi bannis soient-ils. Bonne lecture et commence par les Sutras !
Déjà parcourus 😉 Mais les Sutras sont comme les Evangiles du Tigre, on peut y revenir selon l’humeur et le temps qu’il fait…
Ping : Art Spiegelman – Maus : L’intégrale | Quand Le Tigre Lit
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