Après s’être rendu à Leshan, y avoir passé la nuit dehors et puis payé son ticket pour visiter le Grand Bouddha (tout ça en lien), le puissant Tigre décidait de traverser, lentement mais sûrement, le parc menant à l’imposante sculpture. Entre menues considérations sur le monumental objet et quelques rappels historiques, je vous propose de visiter la plus grande sculpture de Bouddha assis au monde.
Le passage par le parc bouddhiste oriental
Une fois la visite du « rez-de-chaussée » du temple effectuée, je me dirigeais enfin vers le large escalier menant à d’autres réjouissances. C’était encore la matinée et le nombre de touristes rôdant aux alentours était, pour l’instant, relativement limité. Toutefois, malgré un temps néo-glauque qui aurait dû faire fuir toute personne sensée, j’avisais un groupe de Chinois s’éparpillant un peu partout dans les cavernes faisant office de temples. Il était temps de passer à l’étage supérieur.
La petite prise photographique pour la gloire. Cette photo a un double avantage : d’une part, vous pouvez remarquer les nombreux rubans, tradition largement rencontrée lors de mes pérégrinations asiatiques. Pour ce que j’ai compris, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une sorte d’escalier des lamentations, avec une liste de prières soigneusement rédigées à l’intention de je-ne-sais-qui. Vous remarquerez que quelques individus à l’esprit dérangé ont cru bon accrocher des cadenas, allez savoir comment ils ont pu avoir pareille idée…
D’autres part, l’état global de ces marches vermoulues vous donne une indication sur la difficulté à grimper vers le reste des joyaux de l’Empire du Milieu sans se casser la gueule. Ce fut en s’accrochant aux cordes comme un veau au pis de sa vache de maman que Le Tigre entreprit de gravir les marches – ce que j’avais bouffé le matin n’aidant pas à mon auguste équilibre. Je profitais de quelques secondes de repos pour jeter un œil sur ma droite, et prendre à la dérobée le cliché ci-contre. Je suis encore surpris que l’image ne soit pas de traviole.
Voici un aperçu de la vue de la première partie du parc bouddhiste. Je ne le répèterai jamais assez, cependant il me faut souligner un aspect particulièrement retors des visites en Chine : l’enfer, c’est les autres. Sartre savait de quoi il causait, en effet le but suprême de tout touriste qui se respecte est de pécho une image où les figurants sont absents. Pour la présente prise photo, je m’étais appliqué comme un gueux pour éviter que d’odieux connards ne figurassent sur ma pellicule. Je crois même avoir balancé une bordée d’injures en Mandarins pour qu’ils me laissent le champ libre. Quelque chose du genre « ta petite sœur se fait violer par un soldat japonais dans la grotte à ta gauche ! ».
Je m’égare. Continuons.
En route vers le Bouddha taillé dans la pierre
Au jugé, il devait bien me rester une quinzaine de minutes avant de rencontrer le fameux Bouddha. J’espérais vivement que, d’ici là, le temps se fût levé (ou se levasse), ce qui m’aurait permis de capter des images solaires, sinon dignes de qui je m’apprêtais à rencontrer – oh putain, je ne réponds pas de la concordance des temps. Hélas, mille fois hélas, ce n’était guère la saison pour ça. Après, les visites touristiques sont comme un contentieux judiciaire : il faut mieux une mauvaise transaction qu’un bon procès. C’est-à-dire que s’extasier tout seul comme un gland alors qu’il pleut des cordes est plus régalant que faire la queue sous un soleil radieux – c’est pourquoi les Voyages du Tigre à Venise ont eu lieu en décembre.
Histoire de vous faire patienter, je vais rapidement vous raconter ce que quelques brochures (dans un anglais assez sommaire) ont pu me dévoiler. 乐山大佛. Leshan Tafo. 大 = grand – pas duraille à saisir. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Objet de toutes les attentions. Érigé en plein 8ème siècle sous la dynastie Tang. Les seules sculptures à rapprocher du Leshan Tafo sont les Bouddhas de Bamiyan – ceux qui ont été détruits début 2001 par un bande d’enragés.
Encore un jardin avant un énième temple. Revenons à nos moutons Tang. Il s’agit d’une dynastie qui se situe le cul entre deux périodes assez troubles de ce qui allait devenir un empire uni – du moins sur le papier. Pour faire simple, les Tang ont succédé aux Sui, dynastie qui n’a pas régenté bien longtemps les provinces chinoises – campagnes militaires foireuses, paranoïa ambiante, etc. Pour être clair : les Sui ont fait de la merde pendant une vingtaine d’années. A l’inverse, pendant le règne des Tangounets le pays a connu une période très prospère où les arts et les sciences ont pu correctement s’épanouir. Une sorte de prélude à la dynastie des Song qui, deux siècles après, unifiait sans coup férir les Hans et d’autres peuples mineurs.
Si l’Histoire nous apprend quelque chose, c’est que la félicité ne dure jamais. Les Tang ont beau mené le pays pendant presque trois siècles (imaginez deux secondes l’UE qui existe encore en 2250), rien ou presque n’a pu empêcher la déréliction de leur règne. Après eux, le continent chinois est entré dans une quasi anarchie à la saveur guerrière, partagé entre une dizaine de royaumes et des dynasties qui n’ont pas pu asseoir leurs pouvoirs plus longtemps qu’un rototo de belle facture.
Au beau milieu de cette dynastie Tang bénie des dieux, un moine un peu jeté (Hai Tong de son p’tit nom si j’ai bien suivi) a eu l’idée de bâtir un énorme Bouddha à même la falaise. Le temps qu’a duré ce boulot et les raisons de cette titanesque entreprise sont légèrement flous, d’après ce qu’on m’avait raconté il s’agissait de calmer le susceptible flot de la rivière qui borde la ville. Et vous ne savez pas le meilleur ? Apparemment ça a marché : il semblerait que les tonnes de gravas jetés à la flotte à cause d’un telle sculpture auraient permis de stabiliser le lit du fleuve. Ainsi, un joli paquet de crues ou de vagues scélérates ont pu être évitées.
Après un siècle de dur labeur, voilà le travail ! Contrairement à ce que l’image suggère, notre ami n’était pas atteint d’une grippe carabinée. La couleur de son pif et la traînée verdâtre qui descendait à la commissure gauche de sa lèvre sont le résultat de la pollution et de l’humidité, un mélange de mousse et de suie qui aurait très bien pu irrémédiablement le détériorer – l’inscription en 1996 au patrimoine mondial a aidé à prendre conscience de ce problème. Pas de chance pour ma pomme, j’étais arrivé avant la partie la plus visible du ravalement de façade de Boubou qui avait commencé au début des années 2000.
Descente du Bouddha de Leshan
Comment reconnaître un Bouddha ? Le Tigre va encore radoter comme une vieille pute, néanmoins il est quelques traits distinctifs de Gautama S. Ici, du haut vers le bas :
1/ La protubérance au sommet du crâne, signe de grande sagesse.
2/ Les milles tresses en guise de coiffure.
3/ Les yeux larges et noirs, qui annoncent une intense réflexion.
4/ Les oreilles allongées, comme si son prof de Yoga les lui avait tiré – ça prouverait qu’il est un prince, un vrai.
5/ La bouche large et mince, exempte de botox.
6/ Les trois replis de chair/graisse au niveau du cou.
7/ La poitrine anormalement proéminente pour un mâle de l’espèce humaine – et oui, il est inspiré.
Et y’en a d’autres…
Par exemple, les doigts se doivent d’être longs, fins et ronds et ce sans manucure. Rien que ses mains dépassent les cinq mètres, néanmoins je n’ai pas pu vérifier si son zizi était dans le même ordre de mesure – jamais vous ne verrez la bite de Bouddha, toujours protégée par un vêtement.
Il faut savoir que les Asiatiques aiment les records, et pour chaque statue d’un bouddha il est possible de lui attribuer un laudatif que les autres n’auront pas. Concernant celui-ci, sa hauteur de 71 mètres en fait la plus grande statue (de bouddha évidemment, sinon la Corée du Nord et les States auraient tous les prix) jamais construite avant le 21ème siècle. Car le Boubou de Leshan a été dépassé, en 2008, par le Bouddha du Temple de la Source qui affiche fièrement ses 128 mètres de hauteur. Ce à quoi les Leshanais vous répondront que leur statue reste le « plus grand Bouddha assis au monde » – ce qui est une maigre consolation car s’il lui venait à l’idée de se lever, il n’est pas certain qu’il dépasserait les 130 mètre.
[ohhhh…je tiens une idée de film : le Bouddha se levant et marchant vers Pékin pour déposer le Bureau politique du PCC…main dans la main avec Godzilla, monstre issu des eaux territoriales de l’ennemi héréditaire de la République populaire]
Petite photo pour vous prouver que c’était bien moi qui m’amusait à mater la sculpture. J’avais demandé au seul péquin présent de bien vouloir me prendre en pleine action, celui-ci s’exécuta rapidement avant de me tenir sa carte de visite. Par politesse, j’en fis évidemment de même en lui refilant la carte que j’avais dans la poche – ici, ma carte de fidélité du Carl’s Jr, mais avec mon nom inscrit dessus.
Voici ce que j’avais descendu, un dénivelé d’à peu près 80 mètres. Comme vous le voyez, la falaise a été creusée à de nombreux endroits pour laisser place à des représentations notamment bouddhistes. Mais il n’y en a pas que pour cette religion qui, sous les Tang (surtout vers la fin de leur règne), avait progressivement fait l’objet de persécutions. Étant donné que la civilisation chinoise aime l’équilibre et l’harmonie, le Grand Bouddha est entouré de figures propres aux deux autres « arts de vivre » orientaux, notamment des guerriers censés être les aïeux protégeant la place – respect des anciens propre au confucianisme.
Derniers instants à Leshan
Après vingt bonnes minutes à admirer la chose, le félin se retrouva au bas du monument. Déjà que le voir de côté est impressionnant, alors à ses pieds Le Tigre s’est senti telle une insignifiante fourmi à la merci d’un gamin turbulent. Sur les côtés ont été sculptés deux statues représentant des guerriers, presque impossibles à immortaliser sur pellicule puisque ceux-ci sont gravés dans la falaise et donnent directement sur le fleuve.
Une dernière photo pour la route : en revenant sur mes pas discrétos, je suis tombé sur ce monument. Il s’agit de la pagode Lingbao, qui se trouve de l’autre côté du Bouddha – grossièrement, si j’ai bonne mémoire, sur sa gauche en le regardant de face. Celle-ci fait près de 40 mètres de hauteur et aurait été construite quelques décennies après la statue – en fait j’ai entendu tout et son contraire au sujet de cette construction.
Bon, c’était bien beau tout ça, mais deux heures étaient passées et je commençais à sérieusement crever la dalle. Heureux hasard, un vendeur de pastèques m’attendait à la sortie du parc oriental. J’en bouffais un sixième comme je lis un roman de Max Chattam : sans mâcher.
Pour conclure, à onze heures j’avais terminé. Trente minutes plus tard, un tacos me déposait à la gare routière. Avant 14 heures j’étais à Chengdu. Prêt pour donner mes cours – la tête et l’appareil photo pleins de souvenirs.
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