Gregory Mion nous emmène au pays de l’Oncle Sam, là où tout n’est qu’’excès (grandeur et décadence) et opportunités. En cinquante courts chapitres (un par État fédéré) soigneusement rédigés, ce sont plusieurs personnages aux destins imbriqués que le lecteur suivra – destinées dramatiques, drôles, et parfois extraordinaires. De la production du maïs aux orchestres symphoniques, bienvenue dans un monde où l’individu ne s’appartient plus.
Il était une fois…
Un détestable magnat du maïs boulimique, un restaurant français qui s’écroule avec fracas, une jeune femme pleine de talent qui sort avec un Chicano constructeur de labyrinthes, une famille endeuillée après un accident de voiture, etc. Des dizaines de saynètes qui se recoupent, s’auto-référencent jusqu’à former un tableau complet contant une certaine histoire de l’Amérique.
Critique de L’Amérique Cinquante et des Poussières
Deux petites choses à savoir avant d’entrer dans le vif du sujet. D’abord, en préface, l’auteur explique comment il a entrepris d’écrire un chapitre du présent ouvrage par jour. 2 mois de boulot acharné après son séjour aux States pour un résultat impubliable – il a l’honnêteté de l’avouer lui-même. Puis la volonté de ressortir des limbes numériques son projet pour le rendre présentable. Enfin, Gregory M. est une connaissance épistolaire du félin qui s’émerveille, à chaque fois, de sa prose. Voilà pour la subjectivité du billet.
Là encore, c’est le style du trentenaire qui fait de ce tour d’horizon de l’Amérique un voyage d’exception. Le vocabulaire est d’une richesse incroyable, c’est de la chirurgie de haute précision qui s’attache à plonger au plus profond de la psyché des personnages pour en tirer tout ce que le comportement humain a de reptilien, répugnant (et ce grâce à un personnage diabolique qui revient plus d’une fois sous le faisceau du projecteur de Mion) mais aussi grandiose. A un tel point que le lecteur ne sait plus trop si les descriptions physiques de certains expliquent leur psychologie ou s’il s’agit de l’inverse.
Bref, nous voilà face à un roman dense dont la couverture donne clairement le ton : c’est un roman mosaïque où le maïs, plus que les humains, est le protagoniste. Mosaïque car chaque chapitre apporte quelques indices, quelques fragments d’un scénario comportant une bonne dizaine d’individus dont les liens apparaissent progressivement. Certes Mion établit ces liens de façon certes un peu grossière au début (dix premiers chapitres), mais les allusions à tel ou tel individu se font plus fines, jusqu’à atteindre un niveau d’interconnexion si subtile que ça confine à l’art. Et, en prime, un dernier chapitre sis en Californie où la plupart des protagonistes se retrouvent, ignorant évidemment les liens les unissant – et, comble du bonheur, ça se termine mal.
Quant au maïs, celui-ci renvoie à la grosse industrie agro-alimentaire U.S. qui pèse des milliards. Un restaurateur français pète un câble après qu’un rat a été trouvé dans une boîte d’un produit créé par M. Collins, industriel aussi efficace que violent, ce qui déclenche une suite d’évènements. Lesquels impacteront (le félin n’aime guère ce verbe) des existences en apparence paisibles, de la jeune Laura suivie par un cabinet de recrutement sur mesure à quelques journalistes, en passant par des joueurs de Las Vegas ou un employé de zoo passé expert en labyrinthes végétaux. Rien de plus ne sera dit, parce que l’histoire prend une tournure trop intéressante pour que Le Tigre ici vous lâche tout.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le tour de force de Mion est d’avoir pu m’offrir une balade presque complète dans un pays diversifié et multiple. Ses capacités descriptives semblent infinies, le mec est autant à l’aise pour rendre compte d’un show politique au pays des Mormons qu’aux manœuvres politiciennes dans une université américaine. Et lorsqu’il s’agit de mœurs de prisonniers handicapés ou de dialogues à bâtons rompus entre WASP bien établis, il y a suffisamment de matière pour ricaner jaune (le chapitre 22, sur le Texas, est savoureux en diable). D’une paisible partie de pêche à la frénésie d’un restaurant ou d’une salle de rédaction, en passant par l’influence d’un moignon d’une conférencière sur l’histoire moyenâgeuse, l’écrivain maîtrise tout : rythme, vocabulaire, forces et faiblesses de chacun, logique du comportement, etc. Le fauve ne se risquerait pas à évoquer un quelconque rapprochement avec un essai publié par Tocqueville, toutefois BHL et consorts peuvent se coucher.
Quoique…si Tocqueville nous entretenait de la démocratie en Amérique, Mion serait plutôt du genre à dégoiser sur la tyrannie en Amérique.
En effet, Mion semble jouer avec ses personnages qui apparaissent tous être les marionnettes de quelque chose d’irrésistible. Les petites gens sont manipulées par plus fort (plus riche surtout) qu’elles, les mêmes plus forts trouvant toujours un obstacle insurmontable les forçant à emprunter une autre voie. Les êtres ne semblent ici guère maîtriser leurs trajectoires, lesquelles étant fortement suggérées par l’imprévisibilité ou le comportement d’autrui. Il en ressort une sensation de douce résignation qui se mue en injustice dès lors que le seul individu à être au-dessus de la mêlée appert être le pire connard du roman. La violence et la méchanceté, main dans la main pour contrôler l’Amérique et ses cinquante États. Pour les autres ? Les poussières du titre.
A rapprocher de…
J’ai parfois la faiblesse de penser que le père Mion est assez unique dans son genre, alors voici ce que vous pourrez trouver sur lui sur le modeste blog tigresque :
– L’arracheur des petites âmes, autre pépite même si quelques passages sont un tantinet longuets.
– Des nouvelles qui vous ouvrent (percent, plutôt) l’esprit sont à retrouver dans c La littérature nazie en France, ouvrage d’une rare violence. Pour un exemple du genre de nouvelles, il y a Bastien Gadenne (1971-1999) disponible sur le blog.
– Avec l’assentiment du reptile, grosse nouvelle (ou petit roman) qui fait état d’un style volontairement emphatique, jusqu’à une savoureuse boursoufflure.
Sinon, pour ce qui est des histoires dites « mosaïques », le félin pense davantage à certains films qui se doivent d’être vus, du genre Babel, Magnolia, etc.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pourrez trouver ce roman en ligne ici.
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