Zachary Bannerman. Retenez ce nom. Un fou furieux qui, sous un verni BCBG typé côte Est américaine, détruit méticuleusement plantes et animaux. Tableau dense et parfois intolérable d’un odieux personnage, le tout dressé par un auteur à l’écriture généreuse et riche, il s’agit d’un roman étourdissant, trop sans doute, au point d’être content quand cela se termine.
Il était une fois…
Un tueur en série rôde dans Boston. Un homme issu d’une riche famille et à l’esprit malade. Fils d’avocats renommés, Zachary est un jeune homme brillant qui bosse dans la finance. Mais, pendant son temps libre, il organise et exécute ses plans implacables consistant à mettre à genoux et annihiler la nature (le végétal et l’animal). Voici l’histoire de sa jeunesse, ses œuvres morbides, sa famille (laquelle en tient une belle couche), et de sa presque chute.
Critique de L’arracheur des petites âmes
A titre liminaire, sachez que Le Tigre entretient des rapports amicaux avec l’auteur, aussi les billets concernant ses œuvres peuvent être empreints d’une certaine tendresse (que d’autres qualifiaient de cirage de pompes en règle) en plus de ne pas être aussi objectifs qu’attendu. C’est non sans gourmandise que votre serviteur a attaqué les presque 400 pages d’un bouquin dont la couverture annonçait de brillantes réflexions.
Peu de matière question sociologie, ce qui compte reste les descriptions d’un certain « mal moderne » constituant ce roman. Et, à son habitude, l’écrivain français se régale dans cet exercice. Il digresse, fait péter des flashbacks dans tous les sens, analyse, décrypte, décortique jusque dans les moindres détails les actions d’un anti-héros et de ses proches – de la jeunesse de Matthew Bannerman et Rebecca Shapiro, ses riches parents de Boston, au grand-père Bannerman, tout en passant par une cousine un peu fofolle.
Il ressort des pages un être immonde qui prend un incroyable panard à détruire et humilier tout être vivant, mais garde de s’attaquer directement aux humains (malgré l’hostilité qu’il leur porte) pour garder une certaine tranquillité. De sa tendre enfance à sa vie de jeune adulte, Zachary concentre ses pensées et moyens financiers dans un hobby destructeur – repérages nocturnes, constitution d’une immense pièce remplie de frigos, etc. La famille a également droit à de longs développements, certains membres étant relativement normaux, d’autres faisant montre d’une violence inouïe (plus par leur entregent et leur influence que physiquement) pour abaisser autrui. Dans tous les cas, l’impunité est totale.
A toutes fins utiles, si vous aimez la narration linéaire à la première personne du singulier, passez votre chemin. Sans être décousu, le récit peut frustrer dès lors que Gregory Mion se lance dans un énième souvenir de tel ou tel personnage ou s’attache à disséquer telle situation. Comme un documentaire savant dont la post prod aurait été confiée à un singe atteint d’un trouble du déficit de l’attention. Soit ça égaie et fluidifie les pages (la scène du « record » d’hamburgers dans le fast food est sublime) ; soit l’auteur part dans de complexes circonvolutions qui peuvent tantôt lasser, tantôt dégouter – le viol d’une petite fille noire par le frère du grand-père de Zachary et tout ce qui s’ensuit est assez hard, même pour l’esprit affûté du fauve.
Concluons : Mion, c’est l’abondance avant tout. Ad nauseam. L’excès dans une langue riche mais étonnamment limpide et percutante. L’arracheur des petites âmes, c’est en soi un correct pavé d’une rare densité (peu de sauts de ligne, une douzaine de chapitres à peine) dont certains passages peuvent salement ambiancer un diner de famille si vous vous mettez à les lire à voix haute. Par conséquent, si vous avez envie d’un feel-good book, quelque chose sans prise de tête avec des personnages sympathiques, oubliez ce billet.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La première chose qui peut surprendre est l’absence de profondeur de Zachary B. Peu de dialogues, une vie ascétique tournée vers l’annihilation, on dirait un robot. Un être sans animus dont on aurait aimé plus d’explications sur les raisons d’un tel épanchement haineux. Et c’est sans doute là l’astuce de l’auteur : le lecteur ne sait guère comment l’esprit du petit Bannerman a pu être corrompu (dès sa jeunesse le pire est déjà annoncé), le personnage apparaît dans sa splendeur et cristallise les tares de notre civilisation. Le protagoniste serait ainsi l’émanation du comportement humain à plus grande échelle : les immenses gâchis, la pollution, le mépris des espèces à un niveau tel qu’un observateur avisé pourrait aisément penser que l’intention criminelle y est.
Prenez les pires gouvernements, les multinationales les plus j’m’en-foutistes question environnement, et troquez la négligence et l’incurie contre la méchanceté d’un seul homme – l’inaction et le silence des autres étant tout aussi blâmables. Vous obtenez les ingrédients nécessaires (et hélas suffisants) pour réaliser un correct écocide, à la différence que, dans le strict cadre de l’œuvre, la culpabilité est concentrée entre les mains d’un seul individu, lequel avance à visage découvert. Bannerman, c’est nous tous.
Enfin, le titre est plutôt intéressant dans l’utilisation du terme « les petites âmes ». Parce qu’il existe des âmes plus petites que d’autres ? Attribuer aux ordres animal et végétal l’idée d’une conscience (surtout les plantes) permet, in fine, de placer ces objets (d’un point de vue légal) sur le même plan que l’Homme. De là, les actes commis par Bannerman seraient non moins grave qu’un crime contre l’espèce humaine (laquelle a besoin de ces petites âmes pour survivre au passage). C’est sans doute la raison pour laquelle Le Tigre a été aussi affligé des méfaits commis par Zachary à l’encontre des « sous-ordres » que ceux accomplis par d’autres individus contre leurs semblables – l’exemple de ce pauvre Dunlop, qui avait des vues sur la jeune Rebecca et se voit fermer toutes les portes universitaires grâce aux bons soins de la famille Bannerman, est tout bonnement édifiant. Rodéo nocturne de Zachary pour écraser des chats errants et balade en bagnole de son grand-père pour déposer des croix enflammées devant les maisons des Afro-américains, même degré de perversité ?
Dans les deux cas, les victimes sont bien démunies et inspirent la sympathie la plus profonde. (c’est à ce moment que, se demandant s’il s’agirait en fait d’un ouvrage écolo-humaniste, le félin décide d’arrêter les frais pour aujourd’hui)
…à rapprocher de :
Suivant Mion depuis quelque temps, le présent blog peut s’enorgueillir d’avoir la majeure partie des productions de l’auteur :
– Pour l’instant, un roman-mosaïque de grande qualité qu’est L’Amérique cinquante et des poussières.
– Des nouvelles qui vous ouvrent (percent, plutôt) l’esprit sont à retrouver dans c La littérature nazie en France, ouvrage d’une rare violence. Pour un exemple du genre de nouvelles, il y a Bastien Gadenne (1971-1999) disponible sur le blog. Avec l’assentiment du reptile, grosse nouvelle (ou petit roman) qui fait état d’un style volontairement emphatique, jusqu’à une savoureuse boursoufflure.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via le site de l’éditeur (en lien).
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