Dans un Paris gouailleur et pittoresque, un homme va suivre la femme qu’il aime, jusqu’à changer de paradigme. D’amoureux des livres, il se métamorphosera en pirate écumant le ciel d’un Paris sur les dents. Scénario d’une rare originalité serti par des illustrations sobres mais envoutantes, voici une gentille claque venue de nulle part.
Il était une fois…
Capitale de la France, début du XXème siècle. Des artisans disparaissent de Paname et les flics ont affaire à de mystérieuses têtes parlant un argot difficilement traduisible. Quant à Marcel, il passe son temps à lire ses bouquins en attendant les visites nocturnes de Monelle, sa chérie qui ne revient que lorsqu’il ne pense pas à elle. Un soir, Monelle est enlevée par un étrange individu portant un masque d’or. Après une rapide enquête, Marcel part la sauver.
Critique du Capitaine écarlate
Pas facile de porter un jugement neutre sur cette bande dessinée qui tient du roman graphique. La première chose qui m’est venue à l’esprit est « mazette, ce dessin ! Guibert ne s’est point foutu de ma gueule ! ». En effet, la lecture est aisée grâce à un trait lourd et sobre où les couleurs, basiques, sont sublimées par des jeux de lumière qui ne sont pas sans rappeler un Georges de La Tour – cette phrase un poil trop chiadée annonce tout.
Le prénom du protagoniste, Marcel, fait référence à un certain Marcel Schwob, écrivain du début du 20ème à l’origine d’un poème en prose sur un roi au masque d’or – quelques pages de ce texte sont livrées en fin d’ouvrage. C’est ce fameux capitaine écarlate qui est le héros d’une histoire dont pas mal d’ingrédients ont été savamment mélangés : des éléments assez tragiques, une bonne dose d’humour, une solide propension à du fantastique teinté d’onirisme. Le résultat est plus qu’étonnant, et pour peu que le lecteur accepte de laisser son cerveau rationnel de côté, l’enchantement et la magie opèrent avec brio.
Cet enchantement commence dès l’interrogatoire musclé d’un curieux personnage au parler franc. Plus tard, des filles de joie se précipitent dans un troquet où sévit une bande de joyeux drilles. Qui se révèlent être des pirates dans un bateau flottant au-dessus de Paris. Et qui avance grâce à l’invocation, par le capitaine écarlate, de vents et marées qui n’ont rien de naturel. Marcel, qui ne peut abandonner sa gouze (dont le capitaine, pour ne rien aider, est tombé amoureux), réussit par ses talents oratoires à s’intégrer au sein des pirates. Lesquels révèlent leurs vrais visages avant que surgit une féroce bataille, près de la Tour Eiffel, contre d’audacieuses forces de l’ordre (j’essaie de rendre ça logique, mais il faut convenir que ça part dans tous les sens.
Bref, il serait dommage de ne serait-ce essayer de commencer cette BD-ovni. Le félin finit en laissant la parole aux deux Marcel :
Le roi masqué d’or se dressa du trône noir où il était assis…cette lune, qui tourne toujours vers nous le même visage d’or, a peut-être une autre face…Il a déposé tous les masques, d’or, de lèpre et de chair…
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Les hobbies de Marcel, la petite librairie de quartier qui pointe la localisation des pirates, tout participe à mettre à l’honneur une littérature enlevée qui présente les caractéristiques du roman (de gare) policier, du roman d’aventure et de l’histoire d’amour. En l’espèce, le style tout en poésie de Schwob a été superbement rendu par David B., ce qui donne à cette BD son aspect unique, où la richesse du vocabulaire tranche avec sa rareté relative. L’utilisation intelligente de l’argot est, en outre, un émerveillement et contribue à créer une atmosphère magique dans laquelle tout semble possible.
De même, le Capitaine écarlate traite de la volonté de s’échapper de son monde douillet pour se frotter aux dangers de l’extérieur. De partir à l’aventure, élargir ses horizons et vivre au jour le jour tels les héros des livres. Marcel, rat de bibliothèque, recouvre sa nature sauvage et se découvre de surprenantes capacités à se battre tout en déclamant des vers. La partie animale de chacun est alors sublimée (littéralement même, puisque le lecteur croisera un homme-tigre), servie là encore par un langage qui lui est propre – l’argot, encore.
…à rapprocher de :
Le félin connaît surtout Emmanuel Guibert pour son fantastique boulot dessinatoire. Jugez plutôt :
– L’enfance d’Alan, suivi de La Guerre d’Alan. Touchant. Sans oublier Le photographe, avec Lefèvre et Lemercier. Géniallissime.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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