Après la Chine et la Corée du Nord, retour en Extrême-Orient dans un pays où ONG et gouvernement sont loin de travailler main dans la main. Ouvrage dense et complet, Delisle manie la pédagogie aussi bien que l’humour, malgré un début un peu poussif. Toutefois, la plongée dans la Birmanie reste totale. Un plaisir.
Il était une fois…
Habitué des exotiques destinations, Guy Delisle a accompagné sa femme (qui bosse chez MSF) pendant plus d’un an en Birmanie. Dès 2007, 14 mois pendant lesquels il n’a pas énormément de choses à faire, si ce n’est décrire son expérience dans ce pays qui, à l’époque, était gouverné par la junte birmane.
Critique des Chroniques birmanes
Delisle ne déçoit que très rarement, c’est quasiment un fait. 14 mois en Birmanie en suivant femme et enfant, voilà une configuration inédite pour notre dessinateur qui va largement avoir le temps de s’ennuyer. Et donc dessiner ses aventures.
Plus de 250 pages, un classement des chapitres par thèmes (intéressant comme approche), des réflexions géopolitiques assez fines, Le Tigre va se risquer à un énorme cliché littéraire : cette œuvre est celle de la maturité. En effet, par rapport à Pyongyang, il y a plus de contemplation, on sent l’auteur posé (voire résigné à certains moments). Sûrement aussi grâce au statut de nouveau papa du héros.
Et oui, ne vous étonnez pas si sur les premiers chapitres l’auteur raconte surtout sa petite vie avec Louis, son enfant en bas âge. C’est mignon tout plein, il n’empêche qu’on s’ennuie sur les bords au début. Heureusement le salut viendra de la femme de l’auteur qui évolue dans le monde des associations humanitaires. Le travail de ces ONG, les difficultés rencontrées, le gouvernement qui n’accorde que très peu de visas, voilà un bel angle d’attaque pour découvrir la politique de ce pays.
Le Tigre a doublement apprécié puisqu’à cette période je sévissais aussi en Asie, et ce jusqu’aux révoltes des moines birmans contre la junte (car à sa tête, que des militaires surgradés). N’ayant pas pu visiter le pays, au moins quelqu’un l’a fait pour moi, et tout voyageur se reconnaît dans certains dessins. Par exemple la visite, en une planche de BD, d’un lieu historique avec ce que cela peut comporter comme étapes et fatigue.
Le style, toujours du Delisle : lignes parfois brouillonnes, dose d’humour qui est visible même dans le trait, mais toujours un rendu architectural impeccable. Noir et blanc, parfois du verdâtre (ou jaunâtre), rien à dire de ce côté. Pour conclure, encore un excellent roman graphique, certes en deçà de ce que j’avais lu du Canadien.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La solitude et le changement. Si ce roman est au final un peu décevant par rapport aux opus précédents, c’est sans doute parce que Guy n’est pas l’instigateur du séjour. On sent que l’auteur, désœuvré au début, n’était pas loin de la dépression dans ce nouvel environnement. Et puis le climat, quelle horreur ! Obligé de se créer des habitudes, une routine, sortir de son enclos pour visiter les alentours, la tâche est loin d’être aisée et ce sont dans les petites aventures de l’auteur (trouver de la nourriture, méditer trois jours, balader son rejeton) que le lecteur se fera plaisir.
Les dictatures. S’il existe des degrés dans ce style de régime, c’est nettement moins pire que la Corée du Nord. Mais pareillement édifiant : la mainmise sur l’économie, le clientélisme ahurissant, etc. Le plus drôle ? La décision, vers 2007, sans qu’on puisse s’y attendre, de déplacer la capitale dans une nouvelle ville en plein centre du pays. Brasilia style. Sauf que c’est tellement soudain, et tous se perdent sur les explications : isoler le gouvernement, décision astrologique ? Derrière tout ça, les affaires continuent, notamment Total qui exploite le pétrole local. Mais comme le dit Guy, « si ce n’est pas Total, une autre compagnie y sera ».
Beaucoup d’anecdotes en fait, Le Tigre en oublie beaucoup et laisse au lecteur le soin de garder en mémoire celles qui lui plairont le plus. Je n’en parle que maintenant, mais ce doit être sacrément long de faire un tel roman graphique. 250 planches, souvent des heures pour une planche. A l’ancienne, avec de l’encre de Chine et du papier (imaginez le travail de sape de l’humidité locale). Bref, chapeau à Guy D.
…à rapprocher de :
– Avant ce titre, il y a eu Pyongyang, superbe, puis Shenzhen, pas mal du tout non plus.
– Des chroniques, avec le même auteur, il ne faut pas oublier Chroniques de Jérusalem.
– Sinon, le dessin (voire le type de scénario simple mais juste) me fait penser à Michel Rabagliati avec, par exemple, Paul a un travail d’été.
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