Le Tigre croque tout ce qui bouge (du moins tout ce qu’on lui offre), et les essais sur des sujets plus que franco-français ne l’effraient pas. Lu avec avidité, pour un résultat qui atteint des sommets de frustration. On n’est vraiment pas loin du foutage de gueule généralisé.
De quoi parle Le Grand oral de l’ENA, et comment ?
Le bon Guy a eu l’ingénieuse (quoi, réchauffée aussi ? Certes) idée d’interviewer quelques sommités qui sont passées par l’ENA et ont bien voulu raconter comment leur Grand oral s’est passé. Le Grand O, c’est un peu l’épreuve maîtresse de la glorieuse école nationale d’administration : passage final, l’impétrant donne tout ce qu’il a devant un austère jury qui bombarde de questions culturelles en tout genre. La sélection à la française, en fait.
Dans cet essai, Mister Jacquemelle a eu l’opportunité d’interroger pas mal d’anciens de l’école. Et y’a de l’éclectique : des ministres, un Président (François H.), des conseillers (Jacques Attali), des écrivains (Marc Lambron) ou artistes (Babeth Huppert), des hommes d’affaire (Minc encore, Nicolas Bazire, Michel Bon), des journalistes (Colombani) et tant d’autres. A ce titre Le Tigre a découvert, avec plaisir, qu’Huppert ou Lambron étaient énarques. Waow….
Et tous y vont de leurs souvenirs, de leurs petits ressentis. Comment est vécu le Grand O ? Quelle pression incommensurable peut peser sur les épaules de nos jeunes prodiges ? Hélas, cet ouvrage ne semble qu’offrir des anecdotes sans réelles saveurs, avec rien de nouveau à se mettre sous la dent. Je me demande encore quelle est la valeur ajoutée d’un tel truc, à part faire mousser ses petits copains.
Sinon, pourquoi Le Tigre va méticuleusement descendre ce roman ? Deux raisons. Premièrement, j’ai acheté cette chose lorsque je caressais l’idée de tenter le concours de cette glorieuse école. Mettant la charrue avant les bœufs, il est naturel de souhaiter en savoir plus sur le feu d’artifice dudit concours. Et là, déception totale, rien qui ne permette d’apprendre du concret sur le GO. Que du personnel, aucune théorisation ni conseils au lecteur.
Deuxièmement, ces interviews m’ont tout simplement paru insupportables. Ça fleure mauvais la connivence, l’auto-satisfaction et le nombrilisme de quelques « intellectuels » qui se ressassent des souvenirs comme une vieille truie ressasse le jour où elle a gagné au bingo. Le Tigre est mécontent (pas parce qu’Il n’a jamais intégré l’ENA), injuste peut-être, mais pour une vingtaine d’euros c’est de l’arnaque. Period.
Ce que Le Tigre a retenu
La légende de cette épreuve. Tous connaissent quelques bons mots issus de cet oral, et sur les plus fameux les protagonistes ne confirmeront ni n’infirmeront ! Scandââle… Quelle est la profondeur du Danube ? – Cela dépend, dans quelle ville ? Quelle est la différence entre un mari et un amant ? – C’est la nuit et le jour. Qu’est-ce que l’amour ? Une frontière entre la Chine et la Russie. Voilà pour ce que Le Tigre connaît, en terme de réparties on a fait mieux depuis.
Un oral de culture G qui ne tient à pas grand chose. Le Tigre ne va pas vous bourdieuser le mou, mais il faut convenir que passer cet oral, c’est un peu jouer à la roulette russe. Un tel qui tombe sur un sujet de physique qu’il maîtrise parfaitement (et en profite pour en parler pendant 20 minutes), un autre qui voit son jury dormir, Attali qui dit tomber sur des incultes, mince alors quand on voit le coef de l’épreuve ! Vite, des QCM ! Ça ne concerne pas que l’ENA cette remarque, pour toute grande école de commerce (ou Sciences-Po, et encore…) on teste surtout le « niveau social » de l’admissible, mais aussi l’intelligence brute, « au déboté » de l’individu. Mauvais feeling, et c’est terminé.
Au final, ce livre ressemble surtout à un vilain livre d’or. Énumération de souvenirs « d’anciens » qui encore semblent se gargariser d’être entrés à l’École. École avec grand E (comme on dit Église avec un grand E), Oral avec grand O, pas vraiment de quoi pavoiser pourtant. Car l’ENA doit faire des administrateurs avant tout, des gens de synthèse qui réfléchissent vite et bien dans un cadre donné. Bref, pas de créatifs (y’a qu’à voir Marc Lambron, pourtant écrivain). Hélas beaucoup d’énarques apprécient la politique ,et ce sont ces mêmes qui depuis 30 ans ont contribué à pourrir le pays (et une partie de l’UE, ce qui est plus grave). Opinion très personnelle du Tigre certes, mais tant qu’à prendre un bouc émissaire il faut reconnaître des indices très concordants.
…à rapprocher de :
– Euh…
– Sur la médiocrité française, je ne vois que la très improbable biographie de Lamotte à lire, juste pour décompresser.
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Ping : Richard Morgan – Furies déchaînées | Quand Le Tigre Lit
Le fait de l’avoir emprunté à la bibliothèque pour le lire m’évite peut-être d’avoir les boules que d’avoir à le payer aurait pu provoquer, et me permet peut-être d’en avoir une autre lecture : à la lecture de ce bouquin, j’ai surtout été surpris de réaliser que l’ENA, sésame apparemment difficile à obtenir, ne contentait absolument pas ceux qui y arrivent. En effet, beaucoup des témoignages semblent pointer un même fait : la préparation est stressante mais si faite en groupe, reste un bon souvenir pour les camarades membres du groupe, le grand oral est un moment parfois grisant, souvent banal, apprendre son admission est un instant de joie, subir les cours à l’école est incroyablement barbant puisque ceux-ci sont grosso modo sans intérêt, intellectuel comme pratique (à part peut être de les formater, ajouterait sans doute n’importe quel non-énarque un tant soit peu critique), et seul le stage de fin d’étude (à faire dans une administration publique si mes souvenirs sont bons, je l’ai lu il y a quelques années déjà) a un intérêt, et encore, ça dépend du service. Au final, la plupart notaient que l’école était un passage obligé dans leur carrière parce que c’est un tampon de valeur, mais un passage dont ils se seraient dispensés vu le temps perdu qu’il représentait.
Au final, pour tout étudiant qui comme moi avait dans la tête la vague idée de tenter un jour le concours, ce bouquin peut avoir une utilité réelle : l’en dissuader et le détacher du fantasme d’avoir des lettres dorées sur le CV, pour se trouver un vrai parcours original et intéressant.
My two cents 🙂
Vous êtes dans le vrai, et j’oserais même un rapprochement avec la magistrature suprême. Ces hommes (et femmes), en tant que politiques, font de l’accession à la présidence le même graal que l’ENA en étant jeunes. Préparation de dingue, stress à tous les étages, bachotage intense, la victoire grisante,…puis rien.
On avait rarement vu le Tigre d’aussi mauvais poil! Mais au moins il dit ce qu’il pense, reste juste et n’est même pas loin d’avoir raison sur cet ouvrage, que je n’ai pas lu, mais qui semble révéler les failles d’un mode de pensée et un mode de sélection « à la française » qui peut légitimement donner lieu à de nombreuses critiques.