Sous titre :Essai sur les hommes de la terreur. VO : Schreckens Männer – Versuch über den radikalen Verlierer. Na ja ! Ouvrage très court et d’une densité impressionnante, le lecteur suivra le cheminement intellectuel menant au terrorisme. Titre polémique et sans concessions, on peut ne pas être d’accord.
De quoi parle Le perdant radical, et comment ?
Parlons d’abord de l’auteur : Hans-Magnus Enzensberger (HME après) est un écrivain et journaliste (entre autres) allemand. Ses œuvres, ses propos en général semblent être d’un pessimisme sans nom à l’égard de la société occidentale, voire l’humanité en général. Bref, ce que Le Tigre aime lire de temps à autre.
Ensuite, le titre : extrêmement court (moins de 60 pages), bien écrit, il s’agit d’un essai qu’on peut dévorer facilement. Le perdant radical, c’est cet homme qui sent qu’on lui a ôté quelque chose et éprouve un sentiment de haine profonde à l’égard de ceux qui à ses yeux sont les « gagnants ». Le Tigre a lu cet essai comme une base incontournable pour comprendre le terrorisme et autres tueries sans raisons apparentes.
Enfin, on s’aperçoit que l’approche de HME est, au fil des pages, tournée vers l’étude de l’islamisme radical. L’auteur tire à boulets rouges contre ces musulmans intégristes et tente d’apporter les raisons à leur folie, raisons qui en aucun cas ne les dédouanent. D’une étude générale sur la notion du perdant radical nous arrivons vers une critique à peine voilée (oh la vilaine tournure cliché) du monde arabo-musulman.
C’est à ce moment que le lecteur peut se sentir mal à l’aise : les explications de Hans-Magnus sont claires, le cheminement intellectuel parfait, et en 56 pages on peut avoir l’impression qu’il a touché le fond du problème. Les intégristes sont certes de grands malades, mais en cinquante pages il est impossible de développer tous les tenants et aboutissants du phénomène terroriste de manière satisfaisante.
Ce que Le Tigre a retenu
Ça veut dire quoi, un perdant ? En plus de ne pas se situer du côté des gagnants, le perdant a le sentiment d’avoir perdu quelque chose. « D’autres réussissent, mais moi je devrais avoir plus » est son credo. Cet individu, dont la paranoïa lui sert de moteur, va être pris dans un cercle vicieux puisque se considérant comme un loser, les autres vont finir par le voir ainsi.
Pourquoi radical ? Frustration, perte du statut d’autorité qu’il s’estime en droit de posséder, non content de se construire des boucs émissaires, le perdant radical va connaître des pulsions de mort. Ces pulsions résultent d’une intense paranoïa et de la recherche de suddenbocks (terme allemand pour ledit bouc) dont la disparition résoudrait les problèmes de ses semblables. Du suicide altruiste de Durkheim, nous passons à la l’acte de folie du mégalomane. Et tant qu’à mourir, le faire en entraînant les autres afin qu’ils ne puissent profiter du bonheur dont le perdant serait privé.
Tout ce dont parle HME ne s’applique pas qu’à l’échelle de l’individu, mais de la communauté en général. Pour le monde musulman, il dresse le portrait de populations qui accusent un retard technologique, voire social, et ont du mal à supporter l’opulence occidentale. Tel le perdant radical, ces communautés ne parviendraient pas à suivre le chemin de l’autocritique, d’où une cristallisation (j’aime bien ce terme) des griefs envers les pays de l’Ouest.
Tout ça est bien sûr au conditionnel, il faut convenir que c’est plutôt bien écrit et, en l’absence de contradicteur à HME, on aurait quand même aimé avoir une ébauche d’autres opinions.
…à rapprocher de :
– Pascal Bruckner est dans le même genre, surtout dans son essai La tyrannie de la pénitence.
– Pour une approche plus « mesurée » et consensuelle, il y a Le dérèglement du monde d’Amin Maalouf. Un autre ponte dans ce domaine.
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