VO : The Gospel Singer. Dans un village reculé, on attend le Chanteur de Gospel, tel un messie qui retourne auprès des siens. Il vient pour chanter en l’honneur d’une jeune femme atrocement assassinée, et l’émulsion des gens est à son maximum. Un petit joyau aussi brut qu’inattendu, à l’image des protagonistes – à peine dégrossis et plein de surprises.
Il était une fois…
États-Unis, au fin fond de la Géorgie. Dans une petite bourgade assez arriérée, les habitants guettent depuis de longs mois l’arrivée du chanteur prodigue. Celui-ci est attendu, espéré et beaucoup s’attendent, de sa part, à quelques petits miracles. Car le Chanteur de Gospel va chanter à la mémoire de Mary Bell, charmante jeune femme qui fut sauvagement assassinée dans le village. Sera-t-il à la hauteur des espérances d’une communauté aux réactions incontrôlables ?
Critique du Chanteur de Gospel
Comment dire ? Au début j’étais sacrément circonspect pour un roman écrit à la fin des années 60 que j’avais acheté rien que pour la couverture. Je trouvais le style un peu lourd, le soi-disant mystère vendu par l’éditeur planait exagérément des pages du bouquin, l’univers du Sud profond des États-Unis peu aisé à se représenter, etc. Puis, au fil des pages, ça s’est décanté : plus sombre, noir et même amusant. En un mot, génial. Comment est-ce possible ?
Déjà, il y a une ambiance. Celle des romans dits « gothiques » avec leur ville hors du coup et leur myriade de monstres et d’horreurs. Enigma, c’est une cité peu développée où la populace peut facilement laisser libre court à sa colère. Le shérif sait en particulier que l’arrivée du héros va donner quelques idées à certains, par exemple finir la cérémonie en l’honneur de Mary Bell en apothéose – genre, lyncher Willalee Bookatee Hull, le gus en prison suspecté de l’avoir violé puis buté.
Ensuite, il y a les protagonistes. Le Chanteur de Gospel, un homme exquis qui a la voix d’un ange – je reviendrai dessus. Son frère Gerd est une sorte d’antithèse, puisqu’à cause d’un accident ressemble à un freak. Et que dire de cet autre énergumène inquiétant, plus « psychologiquement » violent, qu’est Didymus ? En effet, le manager du Chanteur tient de main de maître son business (des tournées à la pelle) et est traité par Harry Crews comme un personnage à la fois omniscient et impuissant à inverser, même de peu, le cours des évènements – pourtant il a la main lourde vis-à-vis du héros. Tous ces individus sont des êtres entreront en résonance avec les habitants d’Enigma trop facilement malléables.
Le style de l’auteur américain est aussi fluide que plaisant, c’est comme une musique entêtante qui peut tant bercer que surprendre par quelques passages plus ciselés et à la violence sourde. Les phrases coulent et m’ont entraîné dans un univers onirique qui exacerbe la puissance d’un seul homme. Voici donc un remarquable ouvrage (non, un petit chef d’œuvre) dont les éléments s’assemblent naturellement pour finir en feu d’artifice dont le final, même si celui-ci est pressenti, n’en demeure pas moins impressionnant.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Le premier thème est, à mon très humble avis, la manière dont une population peut être manipulée. Là où le Chanteur passe, les doutes trépassent : les conversions à la suite de ses prestations décollent, et la réputation de l’ange chanteur le précède de très très loin. Et les intéressés (en particulier le manager et autres marchands du temple) ne font rien pour calmer la frénésie du populus. Laissez des petites communautés auto-entretenir un mythe, construire des attentes trop fortes par rapport à un évènement à venir, et vous avez les ingrédients suffisants pour réaliser des injustices aussi choquantes que meurtrières. En une phrase : la foule, c’est con.
Le Chanteur est le héros parfait pour ce genre de roman, et si le félin en parle si tardivement c’est pour repousser un inévitable spoil (attention donc à ce qui suit). Le héros a une voix sublime, une tête d’ange aux cheveux fournis et dorés, le genre de beau gosse à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Et heureusement, parce que si notre gazouilleur devait honnêtement se confesser, on verrait ce qu’il en est : un jouisseur sans vergogne, un baiseur à couilles rabattues (et violent) dont on se demande si la distinction bien/mal signifie quelque chose pour lui. C’est ce qui fait la puissance du protagoniste principal, dont les paradoxes offrent un saisissant tableau.
Que retenir alors de cet anti-héros ? En fait, ce n’est qu’un pur produit de son terroir, il est à l’image d’Enigma, seule responsable pour avoir prêté plus de qualités sur la base de son image. La bigoterie en prend un sacré coup : non seulement il n’y a pas de miracle, mais il ne s’agit que d’un simple humain se servant de ses beaux atours pour son seul plaisir. Son apparence divine ne ressemblerait ainsi qu’à une regrettable méprise, ou, pire, à un clin d’œil du Très-Haut qui prend plus qu’il ne donne.
…à rapprocher de :
– Cet ouvrage m’a donné envie de lire d’autres Harry Crews, mais j’ai peur d’être déçu. J’en suis donc resté là – pour l’instant.
– Sur la puissance de la voix, lisez absolument Les Maîtres chanteurs, d’Orson Scott Card. Plus de poésie, mais une puissance tragique qui fait froid dans le dos.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Ennis & Dillon – Preacher Livre 1 | Quand Le Tigre Lit
Harry Crews, c’est super. J’ai connu les romans par un pote à moi, qui me l’a vendu en me disant juste « ça tabasse, mec » (sachant qu’il était du genre à aimer la castagne, juste pour tester les connards arrogants, un gars bien et un bon écrivain de surcroit). Bref, depuis, j’en lis dès que je peux et j’ai couvert à peu près toutes les parutions en français. Première règle de la survie en milieu littéraire (et ontologique, hein), ne jamais avoir de modèle, mais putain, respect. Rapport au commentaire précédent, c’est bien vu. Body, c’est sur la muscu. Sympa. Le Roi du K.O., c’est la boxe avec une histoire d’amour vacharde. Super. Le Chanteur de gospel, terrible (scène du lynchage, t’as pas kiffé ?). Mais celui qui tue tout c’est (cliché) La Foire aux serpents, avec la plus méchante et plus drôle définition de l’amour que j’ai jamais lue. D’ailleurs si t’as le temps, checke le web pour te marrer, en cherchant « definition of love according to H.C.). Bon travail comme toujours Le Tigre, chapeau bas.
T’as touché le fond du sujet, cet auteur ressemble à un mot de passe pour initiés littéraires. Tu m’as convaincu avec les autres titres, je vais sérieusement m’y mettre. Dès que j’ai expédié les daubes de la rentrée littéraire. Merci pour le coup de chapeau.
Bravo pour cet amusant site de chroniques littéraires, décalé, cynique et intelligent. Parfois trop de melon, mais il faut bien ces cinq fruits et légumes par jour. Pour Harry Crews, regarde du coté de Body, une aventure chez les rednecks aux corps musclés et huilés, ou vers Le roi du KO, un récit sur la boxe porté par le verbe de Crews. Bonne continuation.
Ooooh…un fan club, c’est gentil ! Et merci pour les autres titres de Crews, je ne savais pas par lequel reprendre cet auteur.