Sous-titre : le livre qui fut brûlé par les nazis. VO : Sexualpathologie. Ja wohl, ça doit gravement parler cul dans cet essai. Pas tant que ça en fait, l’aspect scientifique (lucide considérant la date de publication) prime sur le sensationnalisme, et souvent le texte est aride. Parfait pour se rendre compte à quoi ressemblait un essai révolutionnaire dans les années 30, mais sans plus.
De quoi parle Les perversions sexuelles, et comment ?
Ach, Herr Hirschfeld, was für ein Genie ! [oui, Tigre est notamment bilingue dans la langue de Goethe]. Sauf que cet essai n’a pas vraiment écrit par lui. Disons que son plus proche collaborateur, Félix Abraham a rédigé cet ouvrage en s’appuyant sur les fines remarques de Magnus Hirschfeld – et sous la supervision du maître. On s’en doute, étant donné que Magnus est cité à la troisième personne – y’ a que les malades comme Le Tigre pour procéder ainsi.
Outre l’introduction, Abraham a subdivisé son étude en chapitres traitant de chaque pathologie. Au programme, il y a : la vie sexuelle normale (jusqu’ici tout va bien) ; l’impuissance (suivie des thèmes jeunesse/vieillesse) ; la branlette ; l’infantilisme (pédophilie en fait) ; puis la gérontophilie ; la nécrophilie et la zoophilie (là, je me suis dit que la montée en puissance devient sympathique) ; après c’est un fort long chapitre sur le GLBT ; les travestis, fétichistes, sadomasochistes, exhibitionnistes. Et enfin les crimes sexuels (trop vite abordé). Toute la smala des bizarreries sexuelles qu’on ménageait allègrement avant la WWII, en quelque sorte.
Tout cela a l’air fort appétissant, toutefois deux problèmes apparaissent : d’une part, c’est parfois excessivement complexe niveau vocabulaire scientifique. Quand je tombe sur ce genre de phrase, mon cerveau limité se ferme : « tiraillements douloureux dans les membres, dans les espaces intercostaux et dans l’épigastre ». Cependant, cela reste une certaine force dans la mesure où ces observations s’accompagnent d’exemples de patients avec leurs problématiques. Aussi les remarques et mots d’autrefois donnent une idée de l’état de l’observation scientifique
D’autre part, certains sujets traités font décidément vieillots, le décalage avec le monde d’aujourd’hui est trop criard. Il faut savoir que Hirschfeld est un des premiers auteurs à parler, en termes relativement sensés, des homosexuels en réfutant tout aspect moral et/ou déviant de leur condition – argumentation biologique à l’appui. Hélas, quelques maladresses vocables demeurent, que ce soit l’utilisation répétée de l’adjectif « anormal » ou des descriptions peu rigoureuses, sinon caricaturales.
D’habitude, Le Tigre ne cite jamais un ouvrage dans son texte, mais là il faut que je vous donne un exemple. Imaginez-moi, dans les transports en commun, ricanant bruyamment en lisant le passage suivant traitant des gays :
L’homme homosexuel aime le romantisme, l’exaltation. C’est un tendre qui vit toujours dans un monde de fine culture, entouré de fleurs ; les parfums jouent un grand rôle dans sa vie ; sa chambre sera toujours éclairée par des lumières multicolores : l’atmosphère en sera familiale. A côté de la cigarette, on trouvera régulièrement des sucreries qui lui permettront, au sens propre du mot, de sucrer, d’adoucir son existence.
Tant qu’à faire bonne mesure, il fallait rajouter que la sucrerie consiste en un bon gros sucre d’orge phallique que l’homme homosexuel, dans un élan romantique et sous une lumière arc-en-ciel tamisée, offre à son anus parfumé. [Attention, Tigre ne crache pas sur Hirschfeld, les auteurs qu’il cite sont bien pires, croyez-moi]
Et je n’évoquerai pas plus la vision de la femme qu’a l’auteur : un être qui, intrinsèquement, ne peut faire ses preuves dans le monde de l’art ou des sciences, étant forcément inférieur (vers la page 228, asséné avec un aplomb qui force le respect).
Une autre information pertinente concerne le sous-titre qui explique que ce livre fut brûlé par les nazis. Car les images (et vidéos) d’autodafé bien connues de cette époque n’ont pas eu lieu le 10 mais 1933, mais quatre jours avant lorsque quelques saligauds ont décidé de perquisitionner et cramer la bibliothèque du docteur Magnus H. Certes, cet essai fut en haut de la liste des bouquins à asperger d’essence, toutefois le signaler sur la couverture, cela me semble d’une aguicheuse putasserie à éviter.
Pour conclure, cet essai vivifiant (eu égard l’époque), tous ces termes savants m’ont ravi, et je suis sûr que les pervers de ce monde vont tomber plus d’une fois, par erreur, sur le pétillant blog tigresque. En effet, ces perversions, souvent, n’en sont pas. Le Tigre citera Steckel, lui même cité par le bon Hirschfeld : Il n’existe aucune forme normale d’activité sexuelle, mais une forme adéquate pour chaque individu. Lorsque ça ne nuit pas à autrui, que dire de mieux ?
Ce que Le Tigre a retenu
Je ne vais pas aborder tout ce qui est dit dans le livre, sinon on en aura pour la nuit – sans compter que je suis limité à un millier de mots. Mais le félin peut vous enseigner :
L’impuissance a des raisons parfois surprenantes (coït interrompu), mais plus bizarres sont encore les moyens d’y remédier. Loin du viagra, ou autres remèdes de grand-mère, il y avait quelques opérations qui m’ont fait froncer les sourcils : par exemple, greffer des couilles de singe à un mec de soixante balais pour qu’il retrouve sa joie de vivre, hum. Animaux ou hommes, les résultats à moyen terme sont néanmoins plus que probants, les hormones et productions glandulaires semblent déterminantes.
Le pouvoir des mots est extrêmement important en matière de sexualité, à ce titre, l’onanisme est un terme impropre, tout autant que masturbation, qui renvoie à la notion de souillure – abondamment illustrée par les bons mots du Dr. Kapffs. Hirschfeld préfère parler de Selbsbefriedigung, à savoir l’autosatisfaction sur la masturbation. En français, ça donne l’ipsation, partiquée par l’ipsant. A ne pas confondre avec l’automonosexualisme, forme de fétichisme autocentré.
Quant aux autres perversions, citons en vrac : le fétichisme que Binet a théorisé au 19ème siècle (fétichisme partiel à total) ; le sadomasochisme avec des exemples édifiants (l’auteur parle de métatropisme, terme que j’ignorais) ; et l’exhibitionnisme où, très souvent, son auteur ne parvient que rarement à se « polluer » – c’est avant tout une pratique en vue d’une stimulation grâce à l’impression de puissance (choquer autrui, par exemple des gosses) ou d’humiliation jouissive (être l’objet des quolibets). Le Tigre a eu confirmation que l’exhibitionniste est un individu d’habitude, chaque ville a « son » personnage pittoresque qui se balade, à une heure donnée, le zguègue à la main (très rarement des femmes).
…à rapprocher de :
– J’ai découvert à l’occasion que le père Hirschfeld était un crack dans son domaine, néanmoins lire tous ses titres peut s’avérer fastidieux. Beaucoup d’essais sur l’homosexualité, à l’instar de Die Homosexualität des Mannes und des Weibes (pas besoin de traduction).
– Plus récent, je vous invite à lire quelques chapitres de Arcadie, de Julian Jackson. Essai sur l’homosexualité en France de 1945 à l’apparition du SIDA, plus que complet.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici. Ou, mieux, sur le site de l’éditeur.
Un « zguègue », mais qu’est-ce donc ?
Fais pas semblant de pas savoir !
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