[avec la préface du Docteur Georges Duhamel, s’il-vous-plaît]. Rien que le titre présage d’excellents moments de convivialité. La bière, c’est bien. Avec modération certes, mais n’importe quel élément de la population (du nourrisson au vieillard) y trouvera son compte. Voici l’ouvrage parfait à lire à une audience passionnée durant de longues soirées d’hiver.
De quoi parle Bière et Santé, et comment ?
Hubert Guilpin. Retenez bien ce nom les amis. Licencié en MBA dans une certaine institution dénommée Harvard, USA. Diplômé de la vile école HEC. Apparemment récipiendaire d’un obscur prix décerné par l’Académie française dans les années 70 pour un truc dont je n’avais jamais entendu parler. N’empêche, le CV du mec appelle un certain respect, ouais : il a de la bouteille (sans jeux de mots).
Bière ET santé. Retenez maintenant ce titre. Publié en 1954 avec un style et des références des années 30. 200 exemplaires pondus par l’imprimeur. Lesquels sont hors commerce – je ne vendrai mon exemplaire pour tout l’or du Pourquoi si peu ? Le Tigre hésite entre le pari consistant à prendre un alcool au pif et à lui trouver le plus de qualité ou le pressentiment que l’essai n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est dommage parce que ce bouquin, outre un phrasé particulier, se lit assez facilement. Il est notamment aisé de détecter le raisonnement qui hante chaque chapitre.
Prenons par exemple le chapitre relatif aux effets (forcément bénéfiques) de la binouze sur l’enfant. D’abord, on rappelle à quel point l’alimentation de cette tranche d’âge obéit à certains impondérables à la trivialité éprouvée :
L’organisme de l’enfant est un mécanisme des plus délicats ; ses fins rouages sont l’objet d’un ajustement perpétuel qui conduit lentement vers la relative stabilité de l’âge adulte. On ne saurait donc trop insister sur l’importance du régime alimentaire de l’enfant. Ces mystérieuses transformations, qu’on appelle croissance, réclament de toute évidence une alimentation riche et abondante ; mais la fragilité du petit de l’homme demande également que cette alimentation soit choisie, triée.
Voilà pour le gosse. Ensuite, il convient de démontrer à quel point la pression est adaptée aux besoins du type de population traité :
La démonstration de cette valeur alimentaire de la bière est aisée ; il suffit de mettre en parallèle les besoins caloriques, plastiques, vitaminiques de l’enfant en croissance, d’une part, et, d’autre part, de dresser le tableau des constituants de la bière.
Puis la conclusion, sans appel :
Ce sont ces caractères chimiques qui expliquent le pouvoir calorique et la parfaite digestibilité de la bière chez les enfants.
Maintenant, imaginez l’ouvrage divisé en plus d’une vingtaine de chapitres, la plupart recoupant toutes les catégories de l’Humanité : la femme enceinte, le sportif de haut (et de bas) niveau, le malade, le vieillard, le travailleur manuel (ou intellectuel), l’adolescent, les vieilles filles, etc. Et bah figurez-vous qu’après 100 pages de ce régime, le besoin de faire une pause (une sorte de cellule de dégrisement littéraire) se fait largement sentir. Pas en raison de l’aspect scientifique contestable ou du message véhiculé par le brave Guilpin (ça dépend de vous en fait), mais parce que le message est vite compris : question alimentation, y’a pire que la bière.
Outre l’inénarrable plaisir à lire des passages en entier, au petit bonheur la chance, à un auditoire improvisé, cet essai devra se conserver précieusement entre les deux choppes de bière berlinoise gardées en souvenir et dont vous ne vous servez plus depuis 2006.
Ce que Le Tigre a retenu
Avant de parler de ce délicieux élixir de déjouvence, il me semble utile de préciser que l’auteur fait appel à un nombre incalculable de docteurs, médecins, nutritionnistes et autres sommités. C’est simple, dès que quelque chose du genre « Voici quelques avis médicaux qui viennent appuyer de toute leur autorité ces assertions » apparaît, le lecteur est parti pour quelques citations prélevées chez quelques individus dont on ne saura rien question conflit d’intérêt…
…sauf les plus évidents, à l’image d’un certain Jean Raux dont les enseignements sont souvent rappelés. Bon, le fait que Raux soit directeur de la brasserie de Nancy est un détail, hein. Il en est de même d’obscures scientifiques allemands attachés à des instituts dont les intitulés font plus penser à un Rotary de la bière qu’à une académie de médecine (vous me direz qu’ils œuvrent parfois dans les deux). Sans compter que les citations, passablement courtes, ont sûrement été soigneusement sélectionnées pour faire dire n’importe quoi à des hommes (peu de femmes en effet) à la parole d’or.
Le félin exagère dans la mesure où on ne saurait allègrement cracher sur cet ouvrage qui rappelle, en tant que de besoin, que tout doit être consommé avec modération – même l’eau, j’imagine. Car, comme le rappelle le bon docteur, « une seule réserve peut être formulée : là comme ailleurs, il convient d’éviter les excès ». A savoir ne pas dépasser le demi-litron pour les gosses ; un litre de bière après l’entraînement de foot, ça on peut – le fauve n’a pas attendu l’autorisation de Guilpin. Voilà l’esprit de l’époque : mangez et buvez de tout, mais sans privilégier un aliment spécifique. Car la bière est un aliment et comporte de quoi entretenir (sinon soigner) tout ce que le corps compte comme organe.
Et les méfaits de l’alcool ? La réponse m’a paru être la suivante : l’essayiste rappelle, à de nombreuses reprises, ce qu’était la bière d’après-guerre : des boissons à vocation familiale, produites localement, qui ne tiraient à pas plus de 2,5 degrés. Du cidre. Le premier alcool que nos parents consentaient à nous laissez boire – la bretonnitude du Tigre consistant à préférer boire un litre de cidre plutôt que son équivalent en coca le perdra. Rien à voir donc avec cette saloperie de 8.6 ou les bières fadasses donc facilement buvables qui ont souvent eu raison de la dignité votre serviteur.
Que retenir ? Ne dépassez pas un litre de bière par jour. Soit une pinte, eu égard le taux d’alcool observé au 21ème siècle. Rien n’est dit avec la consommation concomitante d’autres boissons alcoolisées. N’empêche, avec une dizaine d’essais de ce genre portant sur autant d’alcools, il y a de quoi bâtir une génération d’alcooliques anorexiques – pratique qui consiste à perdre du poids en ne buvant que l’alcool nécessaire à ses apports en calorie. Oh, merde, Hubert Guilpin était un visionnaire.
…à rapprocher de :
Merde, je n’ai rien qui se rapproche de près (et même de loin) à pareil ouvrage. Demerden Sie Sich.