VO : The Hydrogen Sonata. Une civilisation s’apprête à passer la dernière étape de développement, hélas un secret est susceptible de tout faire capoter. Une équipe, mise en place cahin-caha pour s’assurer que rien ne perturbe la fameuse sublimation, va avoir du pain sur la planche… Roman aussi génial que certainement frustrant, le chemin littéraire parcouru reste néanmoins délicieux. Non connaisseurs du Cycle de La Culture, préférez un autre titre.
Il était une fois…
[je vous préviens en avoir salement bavé pour tenter de faire court]
Les Gziltes (espèce proche de la Culture mais ayant refusé de la rejoindre) sont sur le point de vivre une spectaculaire évolution de leur espèce. Ils vont tous sublimer et « disparaître » de notre univers pour rejoindre un niveau de conscience méconnu. Il est de tradition que d’autres civilisations viennent faire leurs ultimes visites de courtoisie aux futurs sublimés, certains en profitent même pour avouer quelques anciens méfaits histoire de solder les comptes. Lorsqu’un vaisseau des Zhidrens-reliquants (« reliquants » car la majorité des Zhidrens ont sublimé il y a quelque temps) débarque avec un message particulier, celui-ci est détruit sans autre forme de procès. Puis le QG des Gziltes est annihilé. Quel secret pouvant foutre en l’air la sublimation cherche-t-on à cacher ? Vyr Cossont, militaire de réserve, va devoir reprendre du service – assistée d’un Mental (une I.A.) de la Culture.
Critique de La Sonate Hydrogène
Oh le beau roman qui va me contraindre de dépasser ma tigresque limite de 1.000 mots/billet. Par où commencer ? Par la situation des Gritzes sur le point de quitter le monde réel tel que nous le connaissons ? Voici une espèce qui a l’esprit occupé par l’ultime étape, réduisant de facto leurs institutions au plus strict minimum : une Présidente qui ne sert plus à grand chose sinon à gérer les autres peuples désireux de récupérer ce qui va être laissé après la sublimation, quelques militaires d’opérette pas bien méchants, une population qui ne pense qu’à baiser et se faire plaisir avant de partir (descriptions ahurissantes d’un dirigeable destiné à accueillir les dernières orgies), ainsi tout ce monde n’est pas pleinement préparé aux menaces qui s’élèvent à peine trois semaines avant le grand évènement.
Heureusement que la Culture est là pour aider les sublimés en devenir, notamment quelques illustres vaisseaux de taille et de puissance variées dirigées par des I.A. (les Mentaux), gestionnaires de la Culture. L’un d’eux, le N’Allez Pas Confondre… (oui, ils ont tous des noms plutôt marrants), s’associe avec une Gritze en vue de rechercher les motivations des dernières tueries. Leur enquête les amène à chercher la trace d’un homme multi millénaire censé savoir pourquoi un certain acte doit être absolument caché. Et qui aurait un rapport avec Le Livre de la Vérité, ouvrage fondateur sur lequel s’est appuyé la civilisation Gritze et qui a permis leur développement – la « bible » en question étant rigoureusement exacte d’un point de vue scientifique.
Trois choses que j’ai adorées ici. D’abord, la notion de Sublimation est tellement bien trouvée (et évidente) que j’en ai fait un thème (cf. infra). Ensuite, il s’agit d’un roman qui fait la part belle à l’action, et le lecteur pourra apprécier des manières différentes de mener des escarmouches ou des combats avec, parfois, certaines limites technologiques surprenantes (même si les Mentaux en imposent). Enfin, un pourcentage non négligeable du roman consiste en des dialogues entre I.A., et il faut avouer que le résultat est régalant : discussions avec un réalisme non dénué d’humour, quelques piques entre des personnages dont les personnalités peuvent varier – extravagance plus ou moins prononcée, gigantisme du vaisseau, rôle dans les précédents conflits, armement disponible dans les soutes, etc. En revanche, il faut savoir que le dénouement, auquel on peut s’attendre, pourra paraître décevant pour certains – la manière dont le fin mot de l’histoire est lâché avec négligence le prouve. A croire que le chemin parcouru est plus beau que la vue qu’on contemple à l’arrivée. En rajoutant un grand nombre d’I.A. intervenant dans le scénario, il y a parfois de quoi casser le rythme de l’œuvre, Le Tigre s’est souvent emmêlé les pinceaux à chercher qui est qui (et de quel côté ils sont également).
En guise de conclusion, me voilà encore en train de donner une bonne appréciation sur un roman de Banks – pas la meilleure, car à mon sens c’est parfois trop confus pour être pleinement apprécié. Il est vraiment con que l’auteur ait clamsé si vite, le félin supputant que Iain en avait d’autres de cet acabit sous le coude. En outre, si vous souhaitez vous familiariser avec cet auteur de SF, cet ouvrage n’est pas à recommander – L’Homme des Jeux a ma préférence.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Rien que le titre donne le tournis. Le lecteur découvre rapidement que cette foutue sonate est une composition particulièrement délicate à exécuter sur un instrument spécial. Vyr Cossont, l’héroïne Gritze, s’est rajoutée deux bras pour tenter de l’exécuter correctement. Puis on se rend compte que ce morceau de musique, en plus d’être a-mélodieux au possible, était détesté de son auteur dont les motivations sont surprenantes : la Sonate Hydrogène est une composition censée montrer la complexité de l’univers en plus de faire ressentir, lorsque bien jouée, la pureté et la logique des atomes qui participent à la beauté du monde – à l’instar de l’hydrogène, élément basique s’il en est, mais si nécessaire.
Qu’est-ce que la Sublimation ? Bah on en a une idée paradoxalement aussi précise que pauvre. Si les sublimés disparaissent d’un coup de la surface de l’univers pour poser leur esprit dans des dimensions non observables mais où l’impossible semble permis, impossible de savoir vraiment ce qu’on y trouve. Et ce n’est pas faute des Mentaux d’essayer d’en savoir plus, notamment grâce au Zoologiste, seule personne (disons une Intelligence Artificielle) qui est revenue de ce monde onirique. Ce qu’elle raconte à un compère donne une idée de la manière dont notre degré de connaissance est nul : parler de sublimation à une I.A. surpuissante revient à expliquer la beauté d’une mélodie d’opéra à une guêpe. Pas étonnant que des empires galactiques, ayant tout contrôlé et tout découvert, sautent le pas vers cet inconnu qui paraît bien être la cerise sur le gâteau universel – le remède au fait d’être blasé de croire qu’on a tout réalisé.
Hydrogène et Sublimation. Ajouter ces deux termes me laisse croire que la solution est là : la désarmante simplicité de l’hydrogène renvoie à l’état d’esprit d’un groupe (ou d’un individu) prêt à atteindre un niveau de conscience supérieur – « sublimer » signifie également passer d’un état solide à gazeux. En exécutant une partoche exagérément foutraque, on peut tendre vers un état intellectuel de reconcentration vers l’essentiel – toutefois, sans l’instrument adéquat, walhou. Et donc être prêt à quitter le monde. Ce que La Culture, civilisation jouisseuse et cynique, se garde bien de faire. En revanche, Banks semble avoir atteint cet état d’esprit, La Sonate Hydrogène ayant été écrite peu de temps avant que la maladie l’emporte définitivement. Ce n’est donc pas son ultime roman pour rien, car il annonce en substance : « Si la Culture (le cycle littéraire) me survivra, je vais de mon côté rejoindre un autre monde dont je ne reviendrai pas. Je suis prêt à sublimer ». Banks était-il bouddhiste ?
[SPOIL : si ça vous intéresse, voilà pourquoi une faction foutait le bordel : éviter que les Gritzes découvrent que leur Livre fondateur a été envoyé par une espèce E.T. aux fins de réaliser une expérience théologique. Comme si nos textes religieux avaient été suggérés par des Martiens juste pour vérifier une théorie. Fin SPOIL]
…à rapprocher de :
– De Banks, et dans le cadre de la Culture, il y a sur le blog (par ordre de publication) : Une forme de guerre, L’homme des jeux, L’usage des armes, Excession, Inversions, etc.
– Un exemple de civilisation de l’abondance (et comment celle-ci peut foutre la merde chez des organisations « inférieures ») est le Festival du roman Crépuscule d’acier, de Charles Stross. Fin et drôle.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Charles Stross – Crépuscule d’acier | Quand Le Tigre Lit
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