Encore une fois, Le Tigre va courir au secours du vaste monde de l’édition en s’attaquant à une de ses infâmes coutumes. J’ai nommé la rentrée littéraire, qui est à la littérature ce que Noël est au Christianisme. Mais comme je ne suis pas un Ayatollah des lettres, une porte de sortie honorable sera proposée.
Qu’est-ce que la rentrée littéraire ?
La RL (comme ReLou, c’est plus aisé à retenir) est un instant particulier dans la vie des éditeurs. Si on parle d’une « rentrée », c’est parce que pendant celle de tout écolier/élève/lycée/chôm..euh salarié, il existe des professionnels des lettres qui sont fermement décidés à vous la pourrir un peu plus.
Le voilà, le principal problème de la RL : c’est le mot « rentrée ». Arrivée, retour, une brochette de synonymes aurait pu être dégotée à la place. Ce n’est pas que ça se déroule en septembre qu’il faut rentrer dans le rang et associer à un évènement heureux d’autres moins sympathiques. Les auteurs et éditeurs sont infantilisés en étant, de la sort,e intimement liés à un évènement si scolaire. A ce stade, autant faire cette foutue rentrée le jour du solstice d’hiver, ça serait moins triste.
Aussi, dès mon plus jeune âge, lorsque j’entendais parler de la RL, je m’imaginais une armée d’auteurs forcés, comme moi, d’aller au turbin après de savoureuses vacances. Du coup, dans mon esprit fécond, écrivain = gratte-papier laborieux contraint à faire le con, une plume dans le fondement, en vue de vendre son truc (pendant que je reprenais le chemin de l’école). Et franchement, qui a envie de se taper des kilos de lecture alors que son chef l’emmerde, les gosses reprennent le chemin de l’école et le tiers payant doit être réglé le 15 ? Pas moi (mais par pour ces raisons).
Mais mon avis compte bien peu ici, il y a pire.
Pourquoi décaler la rentrée littéraire ?
Jetons un œil averti sur le net : la RL est, selon une célèbre encyclopédie en ligne (article datant de fin 2013), « une période commerciale comportant un grand nombre de parutions de nouveaux livres ». Voilà, les mots qui fâchent sont salement lâchés :
Une période commerciale. A la rigueur, ça ne me dérange pas, il faut bien gagner sa croûte. Sauf que y’a comme un gros complot qui se trame dans les rotatives : 1/ Les auteurs les plus connus sortent, avec un désolant rythme de métronome, leurs bouses de rentrée. Et attendent que ça mousse. Et si la merde mousse, ce n’est qu’en tirant la chasse hélas. 2/ Dans les semaines qui suivent, comme par hasard y’a une flopée de prix et autres récompenses incestueuses qui sont allègrement distribués (ça fera l’objet d’un autre billet, oh que oui). 3/ Ensuite, intensif squat des plateaux télés les plus aguicheurs. 4/ Et là, comme par magie, c’est Noël ! Mais que vais-je donc offrir ? [une réponse potentielle en lien]
Parutions de nouveaux livres. Quelques centaines de romans publiés. La blague. Prenez Le Tigre, qui dans ses plus beaux mois avale une dizaine de romans. Pour quelqu’un de ma trempe, y’en a neuf qui n’en glandent pas une. Au doigt mouillé, c’est donc un million de lecteurs potentiels capables pendant l’automne de lire dix nouveaux romans (ils liront moins vite que moi, grâce à ma technique). Je suis optimiste en disant que 10% le fera. Soit 1 000 000 livres achetés. Règle de 3, accrochez-vous : ça fait 20 000 tirages en moyenne par roman. Et merde, ça ne colle pas avec les stats officielles…à moins que ces livres ne sont pas lus ?
Après ces calculs fantaisistes et tirés de ma fourrure, intéressons-nous plutôt aux critiques. Les romans dont « on » parle, ce sera à peine un dixième de la masse de nouveaux titres. Forcément provenant de grands éditeurs, je n’ai que trop rarement entendus parler dans les médias (des trucs plus gros que mon blog hein) d’éditeurs indépendants. Et si vous prenez un critique littéraire au pif qui parle de la RL, j’ai du mal à imaginer qu’il aura lu, dès fin aout, ne serait-ce que le quart des romans publiés. Comment détermine-t-il alors ce qui vaut le coup d’être dévoré en un si court laps de temps ?
Au final, on est en présence de près de quatre mois d’effervescence où plus d’un pigeon achètera un roman grand format (et c’est mal, je me tue à le répéter). Soit il ne le lit pas, soit il l’offre. Dans tous les cas, vous pouvez le racheter en ligne à moitié prix.
Rentrée en juin ?
Sur QLTL, vous aurez noté que la partie la plus importante arrive vers la fin. C’est celle où je ne dois pas me planter en faisant place nette sur les ruines de la rentrée littéraire pour construire quelques chose de neuf, souriant et frais.
En premier lieu, déplacer ce foutu évènement auquel tient tant les éditeurs avant l’été serait une marque de respect infini pour le lecteur : lui offrir l’opportunité de passer de bonnes vacances littéraires, d’une part. Les vacances, c’est un des rares moments où je suis prêt à tenter du nouveau, sortir de mes petites habitudes et, pourquoi pas, lire le dernier Musso. Après cinq mojitos certes.
D’autre part, faut pas prendre ledit lecteur pour un superman de la lecture. Lui laisser le temps de lire est important, c’est le meilleur moyen de se faire son propre avis. Je ne sais pas pour vous, mais sur la plage / montagne je suis plus incisif et n’hésite pas à lâcher un roman en cours de route : il fait beau, les amis sont là, ce n’est pas le moment pour se laisser emmerder par une prose hasardeuse ou un scénario aussi plat que BHL !
Ensuite, c’est à mon sens la période parfaite pour vérifier, à la rentrée, que les critiques littéraires ont bien effectué leurs devoirs de vacances (d’ailleurs, on pourrait remplacer ceux des gosses par des romans). Aussi je propose, pour chaque article prêt à être publié, l’obtention préalable d’un agrément pour cela. Cet agrément sera excessivement simple : il faut que le bouquin critiqué accuse une détérioration adéquate. Du sable entre les pages, le dos de couverture dézinguée, les pages jaunies par le soleil, banco ! Mais un objet aussi propre qu’un bébé-cadum, comme s’il sortait à l’instant de chez l’imprimeur, c’est que le monsieur se fout de notre gueule (ou qu’il foutu un films plastique sur le roman parce que c’est un grand malade).
Conclusion décalée
Et voilà le travail ! Grâce à mes bons soins l’éditions pourra tourner à un petit rythme de 8% de croissance annuelle, et ce au moins pendant six piges ! Après on avancera de nouveau la date, car changement d’herbage réjouit le troupeau. Le mieux serait de transformer, dans l’immédiat, la fête de la musique du 21 juin en une party culturelle englobant la littérature.
L’avantage ultime est que cela obligera tous les écrivains à faire le trottoir pendant l’été afin de vendre et promouvoir leurs titres. On aura des vacances où la culture sera à l’honneur, le Français moyen n’aura plus mal à la tête en retournant au taf sous prétexte qu’il n’est plus habitué à lire. Fin du fin, ces écrivaillons en manque de reconnaissance nous lâcheront la grappe pour la reprise du championnat de foot. Ce serait bien mérité non ?
Conclusion de la conclusion, pourquoi le numéro 21 du présent billet ? Sur ce coup je ne me suis guère foulé : vingt-et-un, c’est le nombre maximum de livres qu’un critique littéraire peut sérieusement prétendre lire de juillet à septembre. Au-delà, ça suinte l’inavouable connivence.
Dernière conclusion : il faut mieux supprimer la rentrée littéraire (le pourquoi ici).
Ping : Les Sutras du Tigre .22 : supprimons la rentrée littéraire | Quand Le Tigre Lit
» la tranche de couverture » ? Tu voulais parler du dos, respecté auteur ?
Exactement, merci 21/01 ! Avant, je disais, « si je vois des marques sur le truc, je te grifferai la gueule », maintenant les emprunteurs sont dûment avertis. « Respecté auteur », c’est la première fois qu’on me prend pour un auteur, c’est gentil ça. Vive vous !
Cher Tigre
Bien résumé! Pourquoi RL à la rentrée tout court? Commerce/Prix littéraires/Squats dans les médias/Imminence des fêtes de fin d’année…
Il faut laisser passer qques mois afin de séparer le bon grain de l’ivraie… Et parfois, ô miracle, on tombe sur un vrai bon livre, ou du moins qui nous plait.
Félinement vôtre
Merci merci, je n’ai en effet pas insisté sur la maturation, lente mais nécessaire, qui aboutira à un tri sélectif de bon aloi. Pour les bons livres, je reste prêt à attendre 8 mois pour la sortie en poche…
Plus que la déplacer je crois qu’il faudrait la supprimer. C’est ridicule. Comme le dit Le Jaguar, ça n’est que du marketing mais qui a malheureusement pour résultat d’occulter complètement l’espace médiatique au détriment d’auteurs moins médiatisables.
Bref la RL c’est tout l’année ou jamais.