Et pas n’importe où en Chine : à Chengdu, la ville principale de la région du Sichuan, au centre-ouest du pays – donc pas très loin de la frontière tibétaine. Pendant quelques semaines, j’ai officié en tant que professeur de langues dans une école élémentaire. Voici quelques éléments sur l’expérience tigresque.
Quand j’étais professeur en Chine…
Après avoir « travaillé » quelques mois à Singapour, Le Tigre ne savait pas vraiment ce qu’il allait faire jusqu’au printemps suivant. Magie de mon indicible beauté, je savais qu’une amie de mon voisin de condominium n’était pas insensible à mon poil soyeux. Cette personne, de nationalité chinoise, ne pouvait se résoudre à me laisser retourner en Europe. Son plan diabolique était le suivant : pourquoi ne pas donner des cours dans son école ? Logé-nourri-blanchi (mais pas plus). Après avoir étudié deux minutes l’emplacement de sa ville sur une carte de la Chine, j’acceptais.
Ni une ni deux, j’ai pris un billet aller simple vers une cité dont je n’avais jamais entendu gazouiller avant le deal proposé. Muni du sésame me menant à 成都, j’avais fait signer un pseudo-contrat de partenariat avec mon université. Je ne me souviens plus trop des autres formalités légales, l’essentiel étant d’avoir le visa valable sur 72 jours, le temps qui m’était accordé pour délivrer la bonne parole française au fin fond du pays.
Je ne vous évoquerai pas dans ce billet les conditions de séjour dans Chengdu ni les qualités de cette ville, ça fait l’objet d’un autre article. Faut juste savoir que c’est une métropole…immense, rien à voir avec le chef lieu d’une région française.
Pour tout vous dire, l’atterrissage à Chendu s’était passé sans problème. Tout comme le tacos vers mon logement trouvé à la va-vite grâce à mon contact local. En revanche, j’ai méchamment balisé en arrivant dans l’établissement scolaire. Heureusement que j’avais un point de chute où poser mes pénates, parce qu’en débarquant à l’adresse de l’école j’étais à deux doigts de la dépression. En général, c’est tout le problème d’arriver en plein hiver.
Comme une buse finie, je m’étais correctement planté de bus pour arriver à bon port. A de nombreuses reprises, pour faire bonne mesure. Si si bien que j’en ai eu pour près de deux heures à faire le trajet maison (façon de parler)/école. Par la suite, c’était théoriquement faisable en 25 minutes. Cela dépendait du nombre d’accidents de la route et de l’état de la pollution, voire du conducteur qui décidait, souverainement, de prendre un autre chemin – une fois même, ce malandrin à casquette nous avait déposé au zoo.
L’accueil sur place avait été plus que chaleureux, et rapidement je m’étais vu expliquer ce qu’on attendait de moi : une classe de « wannabee-francophones » a été mise en place, et j’étais censé assurer quelques heures par semaine de cours de renforcement (du lundi au jeudi) en plus d’assister les professeurs de langues – français, anglais et même allemand. Tout ça pour une poignée de Yuans, juste ce qu’il faut pour être logé et manger quotidiennement avec l’équivalent d’un euro en poche.
L’administration scolaire, dans son infinie mansuétude, m’a tenu la main chaque jour que le gros Bouddha faisait : en effet, le tableau ci-dessus représentait l’agenda des professeurs et assistants. C’est ce truc immonde que je devais, chaque matin, décortiquer pour savoir où retrouver tel ou tel professeur. J’ai dû perdre 3 de dioptries à chaque œil à checker le numéro et le nom du cours tout en croisant cette foutue ligne avec la colonne de mon nom.
J’allais oublier cette seconde fresque que Mme LiuShang étudiait avec un soin méticuleux. Le Tigre, naturellement curieux, avait du poser cent fois la question sur le pourquoi du comment de ce tableau. Cent questions à autant d’interlocuteurs différents, cent réponses différentes, dont soixante carrément évasives – à la limite de l’agacement. C’était rapidement devenu mon schmilblick, un artefact auquel je prêtais de puissants pouvoirs : organigramme du futur Bureau Politique du PCC, état des frais de corruption des barons locaux, ou encore liste des orgies inter-professorales à venir – et auxquelles je n’étais pas convié, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Quant à la classe à proprement parler, je profitais de l’absence de ses élèves pour sortir son appareil photo et mitrailler à tout va. Voici un aperçu d’un des endroits où je répandais mes glorieux enseignements :
Ne me demandez pas ce qu’il y a écrit au-dessus du tableau noir, je n’ai toujours rien bité à ces sinogrammes – ou alors, je ne m’en souviens guère.
Autant vous avouer, avec les weekends de trois jours qui s’annonçaient – et ce pendant plus de 2 mois – Le Tigre a bien profité du temps imparti pour prendre son baluchon et filer à l’anglaise dans les alentours.
Le système scolaire sichuanais
Plus je livre mes souvenirs, plus je sais que je n’aurai jamais la place de coucher l’intégralité de cette rieuse expérience. Brièvement, je dirais que deux choses m’ont interpellé pendant ce séjour linguistico-professoral.
Premièrement, les élèves font montre d’une discipline à peine croyable. Ils sont pourtant dans l’âge d’or pour foutre un daroi de grande ampleur dans une salle de classe. Mais à Chengdu, lorsque ça bavarde et ricane sous barbe, c’est toujours avec courtoisie et la saine crainte du grand instituteur félin qui les interpellait tant. Mes élèves avaient beau suivre un cours non sanctionné par un examen (c’était bonus pour eux), je les soupçonnais de réviser le soir, voire, pire, de s’entraîner entre eux.
Voici la vision que j’avais en leur enseignant le français. Au bout de quelques semaines, inutile de vous rappeler que je ne pouvais voir ces foutus sinogrammes (que je pouvais reproduire les yeux fermées), même en photo. Sachez seulement que les devises, aussi nombreuses que mes talents (Confiance en soi, Respect, Intelligence du Parti, Société harmonieuse, Vamos a la playa, et tutti quanti), ornaient tout mur qui dépassait quatre mètres de longueur. Peut-être que de tels bons mots affichés partout expliquaient le comportement de mes élèves. Mais je m’étais demandé plus d’une fois à qui cela était vraiment adressé – pourquoi une traduction en anglais ?
Deuxièmement, cette discipline qui ferait baver n’importe quel prof’ européen de banlieue semblait s’appliquer aux professeurs eux-même – tiens, il bave nettement moins l’instituteur français. Tous les matins, l’ensemble des maîtres et maîtresses se précipitait dans la cour pour écouter le speech de la directrice. Je n’avais pas le droit d’être présent, aussi j’avais pris des risques inconséquents pour prendre cette photo en catimini.
Bien que la dirlo gueulait comme pas permis dans un micro pendant un bon quart d’heure, je n’entravais que pouic à ce qu’elle disait. A peine si je distinguais une ribambelle de chiffres assénés dans un style me rappelant, à ma grande honte, les interventions les plus exaltées du Lider Maximo. Et le discours se clôturait par une salve d’applaudissements. Chaque matin, la Chine remportait la Coupe du Monde de foot et le Sichuan produisait plus de brevets que la Californie et l’Allemagne réunies. Géniallissime.
Mes élèves chinois
Au menu culturel du Tigre, il y avait une bonne vingtaine de gosses à qui apprendre les bases de l’écriture romane – en plus de la langue. Je les ai « récupérés » avec de solides notions de conversation, toutefois ils n’avaient jamais eu l’occasion d’écrire le français. Le programme, tout tracé il est vrai, consistait à leur apprendre l’alphabet (qu’ils connaissaient déjà) et notamment le fonctionnement des syllabes. De mon côté, j’ai pu réviser le pinyin (écriture romanisée du mandarin), mais surtout j’ai réappris à calligraphier correctement les majuscules. Ce fut plus douloureux pour moi que pour eux.
J’en ai profité pour leur apprendre quelques hymnes de mon cru, du genre HEC Encu** et autres chansons paillardes. J’ai même découvert que la mélodie de « Frère Jacques » leur était connu, mais avec des paroles sensiblement différentes. Je les avais marquées dans un calepin, ça donne à peu près ça :
两只老虎, 两只老虎
跑得快, 跑得快
一只没有耳朵
一只没有尾巴
真奇怪, 真 奇怪
Pour faire simple, ça parle de deux frères tigres qui cavalent à toute allure et à qui il manque les oreilles à l’un et la queue à l’autre. Je préfère cette version à celle du gros Jacquot qui glandouille dans son clocher.
Comme dans toute classe de langue, l’instituteur fainéant (dont je fais partie) propose à ses ouailles d’adopter des noms locaux afin de renforcer l’immersion dans le nouvel environnement linguistique. Malédiction, les prénoms choisis ont été extrêmement difficiles à prononcer sans avoir un rictus au coin de la gueule. Florilèges :
– Le petit gros au milieu de la photo souhaitait être nommé Napoléon. Soit.
– Les deux filles en haut à gauche s’appelaient Dior et Coco – comme Coco Chanel, je n’ai pas osé lui expliquer toute la saveur de son choix.
– Quatre garçons répondaient au nom d’Alain Premier, Alain Deux-lon, Alain Ter et Alain Quater. Je vous jure, ils se disputaient le nom du vioque.
– L’élève aux cheveux courts (je vous laisse la trouver) avait choisi Shalimar.
– Le petiot à gauche qui se fait tirer les bajoues voulait s’appeler Louis ch’eev. Du moins il l’avait prononcé tel quel. Louis Chiv ? Shi [oui], Louis x’iv. Ahhh, Louis XIV : Louis shísì [14, en mandarin]. Compris.
Le reste des prénoms, que des marques de luxe (sauf Renault, mais il n’avait pas l’air d’être au courant). Voilà pour l’image de la France.
Conclusion de Professeur Tigre
Soixante-douze jours de bonheur, j’ai bien failli ne jamais retourner en Europe.
Comme j’en ai marre d’écrire, je préfère vous montrer la seconde meilleure image prise, celle qui concentre tout ce qu’il y a d’étonnant dans ces dix semaines :
C’est bien votre serviteur, sévèrement jaugé par le gratin soviétique à gauche (Marx, Engels, Vladimir Vladimirovitch et Joseph Djougachvili) et leurs homologues chinois.
J’avais cru comprendre que prendre un telle photo était plus ou moins interdite, aussi j’ai offert une mèche de mes cheveux à un écolier pour qu’il me tire le portrait. Autant vous dire que le petit faisait grave dans son froc et qu’il tremblait comme une feuille. C’est pour cela que l’image est de traviole.
A très vite pour de nouvelles aventures.
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Eh ben, elle est gigantesque cette école, à en juger par le nombre de profs !
Les jeunes tigres chinois associent dont la France aux parfums. Intéressant…
La photo finale en jette un max, en effet.
Merci Thieny ! Assez imposante l’école, j’avais chaque jour l’impression de rencontrer de nouveaux profs en effet.
Une seule question s’impose à la lecture des sino-pérégrinations du Tigre (je m’étonne que personne ne l’ait posée): Le Tigre est-il arrivé à pied par la Chine ?
Cette piteuse contrepèterie est indigne de vous. Cela étant dit, vous anticipez un billet qui, un jour, émergera du blog : les problèmes gastriques tigresques à Chengdu (cause, conséquence et éloge des WC publics de la ville).
La description des aventures du Tigre est réjouissante.
Et il y a quelque chose dans l’humour qui me rappelle l’Odieux Connard, un illustre blogueur dont le nom est à l’aune des articles (mais souvent stimulateur de zygomatiques).
Une telle comparaison ne peut que me flatter. Contrairement à OC, je n’ai pas le temps de publier des « billets fleuve », les miens sont infiniment plus modestes – et moins immersifs, certes.
Superbe article!! j’aimerais tout de même aimé savoir ce dont parler ces professeurs …
Merci Swoon ! D’autres billets du même acabit ont vocation à fleurir sur le blog. Quant à ce que se disent les professeurs, il y a pire : ne rien biter à un diner de 4 heures avec douze Chinois parlant à toute allure et croyant qu’ils sont compris.