VO :The Drowned World. Les titres de Ballard ne vieillissent guère, c’est dingue. Ce titre n’est pas que de la « SF catastrophe », c’est avant tout une profonde réflexion sur l’évolution de l’Homme et ce qui peut constituer l’inné chez lui. Émouvant et contemplatif, ce n’est ni gai ni optimiste. Beau et dur.
Il était une fois…
Dans un futur proche, des explosions solaires (notez l’absence de responsabilité de l’Homme et son réchauffement climatique) ont dramatiquement augmenté la température de la planète et par là même le niveau des océans. Albion n’est plus que marécages, vases et lagunes en plein cagnard tropical. Dans un Londres presque abandonné où les seuls habitations viables sont soit des navires soit le peu de hautes tours qui émergent, le biologiste Kerans va décider, avec la belle Béatrice et un autre gus, de rester sur place et ne pas accompagner les militaires qui lèvent le camp. Qu’adviendra-t-il de nos héros ?
Critique du Monde englouti
Un roman écrit au début années 60, et encore une fois tardivement traduit en France. Quel dommage. Car c’est un joli titre qu’il m’a été donné de lire, Ballard a un don de voyance assez fascinant pour imaginer le futur de cet opus aquatique (les autres traitent de sécheresse ou de vents violents).
Nous allons suivre une partie de la vie de Kerans, biologiste assez quelconque qui, en plus de lutter pour sa survie, va voir sa psyché lentement mais sûrement modifiée. Car le nouveau monde englouti atteint le cerveau de l’Homme et lui fait prendre des décisions illogiques en apparence, comme celle de vouloir aller vers le Sud, alors qu’il y fait trop chaud.
Le héros seul (les militaires conduits par Riggs étant partis) avec la riche Béatrice Dahl (et pas Dalle !) et un autre scientifique (Bodkin), l’écrivain a eu l’excellente idée de faire intervenir un pirate, Strangman, et sa joyeuse troupe. L’individu, albinos de surcroît, exerce un certain magnétisme et a un comportement borderline. Reçus comme curieux invités (la belle Dahl aidant), très vite Bodkin et notre héros Kerans sentent que ça va forcément empirer. Dictature d’un homme qu’on pressent comme dingue, assèchements de la lagune, tentatives d’attentat, rites de défoulement, tout y passe.
Chapitres assez longs et texte plutôt dense, ces 230 pages ne se lisent pas si vite que ça. Plus qu’un classique de la SF, puisque le style de J. G. Ballard est de très bonne facture. Descriptions hallucinées d’un monde chaud et humide (le monsieur a vécu en Asie ça se sent) et personnages (les pilleurs surtout) surprenants. Le tout servant des thèmes porteurs et définitivement originaux si on daigne se rappeler la date d’écriture de l’œuvre.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La survie en milieu hostile. Ce milieu peu accueillant, c’est notre bonne vieille Terre qui a gagné des dizaines de mètres d’eau. Et dont les températures sont franchement insupportables. A partir de midi, et ce jusqu’à 16h, l’air brûlant et le soleil assassin tapent furieusement et rendent nos amis un peu…mous. Or la climatisation (à 60° dehors, c’est presque une question de vie ou de mort) dépend des stocks d’essence, denrée qui ne semble pas produite (on parle surtout de siphonner les containers). Bref, à terme l’Homme disparaîtra.
En fait, ce climat extravaguant ne semble être une catastrophe que pour l’homo sapiens. La grande bleue (il n’y a que ça, du bleu et le vert des jungles) s’est repeuplée de nombreuses espèces qui ont, en quelque sorte, repris le dessus : puisque l’environnement tend à se rapprocher de celui des origines sur Terre, les reptiles (iguanes, crocodiles) aquatiques ne se sentent plus pisser et peuplent gaiement le globe.
Plus mystérieux est le retour en arrière de certains comportements humains. Par exemple, le protagoniste fait un rêve particulier, et apprend que d’autres l’ont eu et que c’est dans l’ordre des choses. Il semble alors que les humains reviennent progressivement à un « état intellectuel » préhistorique qui n’a jamais totalement disparu, comme la peur innée (et injustifiée à notre époque) des reptiles l’illustre. Cet aspect du roman, en plus d’apporter correctement du suspense (le seul à mon sens), apporte une belle réflexion sur l’avenir de l’Homme dans un environnement « régressif ».
…à rapprocher de :
– Ce roman, comme je l’ai dit, fait partie d’une tétralogie composée, en plus du présent titre, du Vent de nulle part, Sécheresse et La Forêt de cristal.
– Ballard est surtout (à mon humble sens) un auteur d’anticipation sociale, avec Crash ! ou encore Sauvagerie. Ce dernier est superbe.
– En SF plus « dure », Blue Remembered Earth de Reynolds se situe dans un futur où le niveau de la mer, rehaussé, a bouleversé les équilibres géopolitiques – jusqu’à l’émergence d’une nation aquatique. Premier opus très réussi de la saga des Enfants de Poséidon.
– En plus « littéraire », Le monde enfin de Jipé Andrévon est une belle tuerie.
– En BD, et à l’inverse du réchauffement de la planète, il y a le fort correct Transperceneige, de Lob, Rochette et Legrand.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Michèle Astrud – Nous entrerons dans la lumière | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jean-Pierre Andrevon – Le monde enfin | Quand Le Tigre Lit
Ping : Lob & Rochette & Legrand – Transperceneige : Intégrale | Quand Le Tigre Lit
Ping : DodécaTora, Chap.AS : 12 spécimens d’anticipation sociale | Quand Le Tigre Lit
Ping : J. G. Ballard – Sauvagerie | Quand Le Tigre Lit