Lorsqu’une jeune femme débarque dans un village normand fait dont la spécialité est la production clandestine d’alcool à plus de 90°, soit elle s’adapte et ferme sa gueule, soit elle lutte contre la rude campagne où les écoliers biberonnent leur café alcoolisé. Pas mal pour un polar sociétal vaguement humoristique des années 60, mais pas de quoi bander comme un cochon.
Il était une fois…
Marie-Anne, jeune institutrice, prend ses fonctions à Nomville, village paumé en Normandie où les pommes et les distilleries sont reines. Nomville est également connue pour ses nombreuses noyades de jeunes femmes dans les inoffensives marres… La nouvelle connaît seulement un cousin, Augereau, gendarme jouant au chat et à la souris avec des habitants pour qui les lois contre la distillation clandestine n’ont pas lieu d’être. Parmi eux, le fougueux Pierrot, qui va bientôt participer à son premier chargement d’alcool non déclaré vers la capitale. Tant de nouveautés, ne sont pas bonnes pour la stabilité…
Critique de Jusqu’à plus soif
Un polar pris au hasard, et en voiture Simone ! Bon, pour ce qui est du style, la limpidité et le franc-parler sont au rendez-vous, et malgré l’absence de chapitres le félin s’est surpris à avaler le roman en une paire de jours. On peut juste déplorer le manque de réalisme (ou du moins la difficulté à se représenter) quelques personnages dont les caractères ne m’ont pas paru assez distinctifs ; ainsi que les scènes de poursuites automobiles un poil confuses dans l’esprit de votre serviteur.
Pour ce qui est de l’histoire, bah c’est comme à l’entraînement. Le lecteur suivra deux protagonistes. Marie-Anne, d’abord, épouvantée face au degré d’abrutissement de ses élèves qui s’envoient régulièrement plus de 90 degrés de gnôle derrière le gosier. En balançant dans la cour les précieux breuvages, Marie-Anne se met forcément le village à dos – dont la directrice, perfide garce. Quant à Pierrot, c’est le finaud de la bande qui très vite, en étant plongé dans le bain de la vente clandestine, découvre le haut niveau de truanderie dans lequel il s’implique – là où la mort est une donnée comme les autres.
L’équilibre qui veut que personne (ni le maire, ni la hiérarchie des gendarmes) ne bouge le petit doigt face à la « tradition » de Nomville vole ainsi en éclat et prend une tournure de descente aux enfers. Pour Marie-Anne, il s’agit d’une terrible humiliation où on la force à boire, avec la bénédiction de la vache mal bai..euh la directrice de l’école. Quant à Pierrot, il veut péter plus haut que son cul – tout comme Bardin, aubergiste qui en veut toujours plus. Sauf qu’en souhaitant monter son affaire trop vite (et sans les intermédiaires comme Rousseau qui lui ont fait confiance), Pierrot se fera sévèrement remonter les bretelles. Si vous rajoutez quelques accrochages, des perquisitions (une première à Nomville !) et des règlements de compte de dernière minute, vous avez largement de quoi provoquer une insurrection dans une bourgade prête à exploser.
Que penser de Jusqu’à plus soif ? Il convient de noter que l’ambiance bon enfant ne dure pas. La légèreté ambiante fait rapidement place à quelque chose de plus sombre, glauque et tristement connu : la bêtise humaine. Difficile, pourtant, de ne pas avoir en tête quelques scènes des films de Jean-Luc Godard, et bien évidemment les fameux Tontons Flingueurs – mais ici du côté revers de la médaille.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La corruption des esprits (distiller ne serait pas si grave) et des corps est totale, les habitants ne s’en rendent d’autant pas compte qu’ils évoluent au sein d’une communauté fermée. Les seules manifestations extérieures restent des forces de l’ordre pas bien inquiétantes et l’arrivée d’une Marie-Anne justement liée à un des gendarmes, son cousin. Une partie de cette corruption s’étend également à des plus hautes sphères, en particulier la « Rue Miromesnil », à Paris, en charge de la lutte contre la contrebande d’alcool et où certaines personnes tirent des ficelles pas nettes. La différence entre la campagne normande et la grande ville est alors une question d’envergure de corruption, et des moyens de gérer les conflits potentiels – agressivité sournoise et grande gueule d’un côté, négociation et distribution de pots de vin de l’autre.
Le titre renvoie au fléau qui secoue Nomville, à savoir un alcoolisme qui n’a rien de mondain. Du genre à se servir des verres comme on discute de la météo, ou à remplir les gourdes des gamins avec du café mélangé à de la goutte. Les enfants sont abrutis d’alcool et certains, pour des raisons qu’on ne veut savoir, finissent noyés la tête la première dans les mares aux alentours. Un bel exemple de la dangerosité de ce produit est l’abbé du village : celui-ci, pour prouver à Marie-Anne que la goutte n’est point un vice, se promet de ne pas y toucher pendant une semaine. Cette promesse est plus qu’une épreuve dès le deuxième jour lorsque le delirium tremens se manifeste : l’abbé explose tout bonnement en vol et termine entre deux planches.
…à rapprocher de :
– Paraîtrait que Jean Amila a d’autres œuvres à son arc. Le félin s’y intéressera prochainement.
– Beaucoup font la comparaison avec Fantasia chez les ploucs, de Charles Williams. Franchement, faut pas exagérer, le roman de l’Américain est un peu plus fun et gouailleur.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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