Le rock, les concerts, la drogue, le meurtre, les ringards. Lors d’une tournée, Suzanne, groupie d’une nuit, est retrouvée clamsée. Pour Dumbo aux airs d’Elephant Man, la vengeance a sonné. Et quand son chemin rencontrera celui d’une actrice en pleine pause, ça peut faire des étincelles. Chouette road movie aussi nerveux que court, ça se laisse lire – sans plus pour ma part.
Il était une fois…
Dumbo est un brave type qui bosse pour un groupe de rock. Grâce à sa gueule fracassée (il fait sacrément peur aux gens), Dumbo le manutentionnaire de ces messieurs fait également office de « videur préventif » même si tout ce petit monde le débecte. Surtout lorsqu’une groupie, voulant absolument rencontrer les rockeurs, est trouvée morte le lendemain dans sa chambre d’hôtel. En parallèle, une star de ciné décide, après la perte de son mari dans un accident de bagnole, de s’éloigner des paillettes pour se retrouver et analyser ses contemporains.
Critique de Suzanne et les Ringards
Les titres de Pouy m’interpellent très souvent, rien que rencontrer les fameux « Ringards » justifient la lecture du roman : il s’agit des membres (tous pareils et fongibles) d’un pseudo groupe de rock qui connaît un moment de grâce – dont on sait que ça ne durera pas. Qui dit ringard, dit idiot à la marge qui ne comprend pas grand chose à la vie. Ici, nos jeunes « artistes » sont des alcoolos drogués jusqu’à la moelle qui de Rabelais n’ont retenu que le « fait ce que voudra ». Des petits cons en somme.
Ce sont ces individus que suit le héros, Charles-Émile Gadde, dit Dumbo. Gadde, à l’aide d’une narration à la première personne, livre sa vision des évènements qui vont bouleverser sa vie : les concerts au cours desquels de nombreux conflits sont évités grâce à sa gueule imposante (une ingénieure du son, Lucie, étant de la partie) ; la Suzanne qui lui supplie d’aller à l’hôtel où crèchent les musicos ; la police le lendemain qui siphonne sa chambre où Suzie est morte ; l’alibi qui le sauve des foudres de la justice, et enfin la recherche de la vérité à coup de tatanes – pas très crédible mais réjouissant.
Avec Dumbo, tout n’est que faits bruts et, sous un air désabusé face à la connerie humaine, il suinte de ce protagoniste une sorte de sourde violence un brin poétique, ce qui le rend plutôt sympathique alors qu’il est aussi impulsif que ses comparses – le dénouement, d’ailleurs, n’a rien d’un happy end moral. Rien à voir avec l’histoire de l’actrice Valérie que j’ai trouvée plutôt chiante, entre parlottes souvent vides de sens et rencontre finale avec Dumbo un peu poussive.
En guise de conclusion, si cet ouvrage parvient à éviter le désastre et à remplir son office de divertissement, force est de constater que c’est loin d’être le meilleur de l’auteur français. Certes une certaine poésie désabusée et glauque émerge de ce road movie breton rythmé par les riffs des guitares, toutefois l’envergure dramatique ne paraît pas à la hauteur des thèmes – dont le potentiel était pourtant élevé.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Puisque les ficelles sont aussi grosses que des troncs de séquoias multicentenaires, autant se vautrer dedans :
D’une part, Suzanne et les Ringards empreinte beaucoup au conte de La Belle et la Bête. Pouy, en se concentrant sur la Bête dont on sait dès le début qu’elle a un bon fond, offre un contraste saisissant avec les belles gueules du groupe de musique : ces derniers ne méritent pas l’adoration de leurs fans qui ne voient que le succès tandis que Dumbo a loisir d’admirer le « backstage », à savoir des junkies égocentriques prêts à tout pour s’amuser. Quant à la Belle, en fait ce personnage est dilué dans deux protagonistes : la mignonne Suzanne qui, parce qu’elle s’est frottée aux vraies bêtes, ne s’en tirera pas ; et l’actrice qui, en vomissant le monde de stars dont elle est issue, régénéra sa beauté intérieure.
D’autre part, le titre est une discrète référence à l’épisode de la Bible intitulé Suzanne et les Vieillards. Pour faire simple, ce passage parle de deux vieux chieurs qui veulent se taper une certaine Suzanne. Celle-ci, refusant leurs avances, se voit alors accusée d’adultère – Tigre a l’impression que rien n’a changé de nos jours. La différence, dans le présent roman, est que Suzie en personne vient chercher l’aventure auprès des Ringards qui, blasés par tant de succès, vont tenter de savoir jusqu’où ils peuvent aller dans l’ignominie. Ce rapprochement biblique signifierait que, même si Suzanne n’est plus de ce monde, Dumbo serait l’équivalent moderne du prophète Daniel – vous savez, celui qui est finalement jeté aux lions ? Ainsi, il est intéressant de remarquer que « Daniel » signifie « jugement divin », ce qui est peu ou prou la mission que s’est attribuée le (anti)héros.
…à rapprocher de :
– Le félin a lu énormément de Pouy, en général ça s’est très bien passé : les réjouissants Spinoza encule Hegel, suivi de A sec !. Nous avons brûlé une sainte est une petit bijou, tout comme La chasse au tatou dans la pampa argentine. A l’inverse, Larchmütz 5632 ne m’a pas emballé et La clé des mensonges peut être évitée.
– Le groupe de rock qui s’enfile des kilomètres de coke dans le nez et boit du sky comme si c’était de l’eau, la femme retrouvée morte dans une chambre d’hôtel…mais oui…c’est l’histoire de Sid Vicious, trublion des Sex Pistols.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.
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