Suivi de Les intellectuels et l’État, de Noam Chomsky. Deux textes d’une désarmante simplicité (surtout le premier), un essayiste expliquant comment un éminent intellectuel engagé démonte les langages d’une démocratie, une noble conception du rôle du clerc dans la Cité,… Il y a matière à réfléchir sur l’ineptie d’un système qui, à défaut de nous empêcher de nous exprimer, tâche de museler notre consentement.
De quoi parle Noam Chomsky, activiste, et comment ?
Hum…comment dire…chiotte…par quoi commencer ? Ce bouquin se décompose en deux essais qui, même s’ils traitent des mêmes problématiques, sont assez différents en termes de clarté. D’abord, il y a Jean Bricmont, émérite essayiste qui se propose de nous expliquer la « méthode » Chomsky et en quoi il incarne l’essence même de l’intellectuel engagé.
Ensuite, place au gros œuvre, à savoir Les intellectuels et l’État, texte abondamment référencé qui traite de la manière dont les démocraties occidentales (les États-Unis pendant la guerre du Vietnam surtout) tentent de laver le cerveau de l’honnête citoyen. Pour tout vous avouer, j’attendais plus de fluidité de la pensée de la part du plus grand linguiste et philosophe américain de ce siècle – du moins je n’en connais pas de meilleur. Ces propos, bien que justes et pas trop durailles à comprendre, m’ont semblé être livrés top of the head, comme s’il s’agissait d’une savante conférence.
Mais cela n’a pas empêché le Tigre d’avoir sa double révélation en lisant cette centaine de pages. Déjà, les intentions d’un État sont bien sûr tout sauf nobles, il ne fait que se protéger (selon des ennemis souvent idéologiques) et même les plus « ouvertes » des démocraties doivent recueillir, par des moyens détournés, le consentement de leurs citoyens. Ensuite, les intellectuels de la seconde moitié du 20ème siècle ont failli à leur mission. En n’étant que les larbins de la puissance publique et de l’ordre installé, ils ont perdu toute crédibilité aux yeux de Chomsky.
En ce qui me concerne, j’ai dû auparavant lire les mauvais essais de Noam, à moins que j’étais trop jeune pour saisir la justesse et la puissance de sa vision. Le Tigre, peu familier de cet immense philosophe, a trouvé dans ce court double essai de quoi lui donner envie de poursuivre avec l’intellectuel bassement qualifié de gauche alors qu’il est bien plus que ça. Plus d’une fois je manquais de crier « mais oui bien sûr ! ».
Ce que Le Tigre a retenu
Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Selon Chom’, dont les références sont largement imprégnées par la guerre froide, ça consiste à dire la vérité, dans la mesure du possible, à l’intention des personnes appropriées.
La vérité consiste à expliquer les raisons sous-jacentes à un conflit et à faire preuve de rationalité. La guerre du Viet-Nam ? Empêcher l’arrivée des communistes. Le pire doit être les exemples des dictatures entretenues par les States, et ce à l’encontre des désirs des populations concernées. Pour se justifier, l’Amérique est plus vicieuse que l’U.R.S.S. qui se contente de dominer l’expression de la pensée : l’Oncle Sam cherche à prendre directement le contrôle de la pensée, notamment en entretenant de pseudo débats qui ont lieu dans un cadre prédéfini.
Quant aux personnes appropriées, il s’agit pour l’intellectuel de discourir sur les mensonges de son propre gouvernement. Rien ne sert de gloser sur ce qui ne va pas à l’étranger, les individus de ce pays lointain ne vont certainement pas avoir vent de telles remarques. Le Tigre a appris que les savants soviétiques qui s’intéressaient à l’Occident pour pointer ses défauts (sans prendre la peine de critiquer le système soviet) étaient quasiment ostracisés dans leur patrie – à l’instar de Chomsky, invétéré libertaire qui est un gros caillou dans la botte des puissants.
Il ressort de ces deux essais quelques éclairantes remarques sur ce que l’Américain appelle fameusement la « fabrique du consentement », usine à décérébrer à laquelle participent politiciens, médias et intellectuels dans la consanguinité la plus dégueulasse.
Rien n’a changé aujourd’hui en fait.
…à rapprocher de :
– Bricmont a également publié le très remarqué Impostures intellectuelles, avec Alan Sokal – vous savez, celui à l’origine de l’affaire du même nom ?
– Si vous souhaitez faire péter la culture dans tous les sens avec ce même éditeur, Le Jardin des singularités de Jesús Sepúlveda ; le classique de Thomas Paine (Le Sens commun) ou Métaphysique et fiction des mondes hors-science de Quentin Meillassoux sont terriblement intéressants.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pourrez trouver cet essai en ligne ici.
Ping : Jesús Sepúlveda – Le Jardin des singularités | Quand Le Tigre Lit
Ping : Quentin Meillassoux – Métaphysique et fiction des mondes hors-science | Quand Le Tigre Lit
Ping : Thomas Paine – Le Sens commun | Quand Le Tigre Lit