J’ai un excellent a priori de Jean-Mi’, celui-ci me l’a très bien rendu ici. Un parcours presque épique d’un homme, souvent seul, contre les tempêtes de grands évènements du monde. Des années 30 aux années 80, suivre un citoyen européen qui n’a pas froid aux yeux est sans doute la meilleure manière de faire aimer l’Histoire.
Il était une fois...
Pendant 50 ans, des guinguettes de Joinville à la peste d’Alger, de la guerre de 39-45 à l’effondrement communiste, le lecteur suivra Joseph Kaplan, fils et petit-fils de médecins juifs praguois, grand voyageur malgré lui, fana de tango et de belles femmes, bref un destin exceptionnel. Engagements amoureux ou politiques, nombreuses épreuves, claques assénées par l’implacable Histoire, rien ne sera épargné à Joseph.
Critique de La vie rêvée d’Ernesto G.
Tigre tient à signaler qu’il s’agit d’un des rares auteurs dont je n’attends pas la sortie des romans en format poche, et cela me semble justifié. D’une rude existence en Algérie à la chute de l’URSS, en passant par le climat de peur et de paranoïa en Europe de l’Est, tout y est.
J’ai envie de dire que le héros, contrairement au précédent roman de JMG (cf. infra), est un peu plus actif dans son univers et parvient à retourner, en sa faveur, toute situation en apparence fâcheuse. Après un plaisant mais studieux séjour à Paname, ce dernier file en Algérie avant d’être envoyé au fin fond de l’Atlas (grands moments d’intenses souffrances), puis revient dans sa ville natale sous la coupe de l’URSS.
Toutefois, le problème avec ce genre de roman est que ça doit se lire en moins d’une dizaine de jours. Je ne sais pourquoi, mais en reprenant la lecture (genre trois jours de pause) j’étais passablement perdu, notamment sur la petite Helena (fille du héros) qui atteint trop rapidement huit piges. Puis quinze. Tiens, elle a déjà un amant ? Soit certaines transitions accusent une légèreté blâmable, soit j’ai été loin d’être suffisamment attentif.
La grosse question qui m’a agité jusqu’à la 350ème page est mais quand vient ce putain d’Ernesto G. ? Zut, on parle d’un certain Ernesto qui aurait voulu une autre existence, j’étais prêt à crier au titre trompeur. Je vous le donne en mille, il s’agit [attention SPOIL] bien sûr du bon Che Guevara, qui sous le doux nom de Ramon Benitez récupère de ses nombreuses maladies dans le sanitarium géré par le héros. Sa vie rêvée n’est rien d’autre un autre chemin qu’il aurait pu prendre avec Helena si d’autres gens n’en avaient décidé autrement (snif).
Ces morceaux choisis, tout comme le reste du roman, sont un petit plaisir de lecture. Guenassia se fait même plaisir en distillant des rapports d’informateurs ou quelques pensées de Guevara (en italique dans le roman) relativement poignants par leur lucidité. Certes le roman ne m’a pas pris aux tripes (les interrogatoires de Kaplan notamment), toutefois Guenassia sait capter son lecteur sur plus de 500 pages.
Et les dernières ont réussi à m’arracher un demi-sanglot étouffé (oui oui) avec quelques petites surprises de l’auteur estampillé « valeur sûre » par mes bons soins.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce qui m’a rapidement marqué est la propension de Jean-Mi (tu permets ?) à personnifier les villes. D’une part, Alger est, sous sa plume, plus vivante que jamais : Alger la blanche (architecture oblige), la peureuse, l’infâme (c’est l’idée), la commère (par rapport au jeune médecin qui n’a pas de petite amie), etc. D’autre part, lors de la seconde moitié du roman, ce sera Prague. Cette ville, ballotée entre les exactions nazies et les conneries des communistes, prend autant vie que la précédente.
Cette œuvre traité enfin du sacrifice. Et il y en a un paquet, entre la mère qui décide de quitter (seule avec son fils) un pays dont elle ne veut plus ou la belle qui s’acharne à instiller un peu de féminisme dans une colonie française des années 40. Le plus important est ce que je nomme facilement « le sacerdoce du médecin/chercheur ». Joseph, notamment en Afrique, en a intensément chié pour mettre au point des vaccins (merci à l’institut Pasteur au passage) en vivant tel un moine dans sa cellule.
Cette dernière considération est à mettre en lumière avec le métier originel de Guevara qui s’est rapidement éloigné de la médecine. Il a, à sa façon, tenté de soigner ses contemporains en s’attaquant aux racines d’une terrible maladie, la misère. Il appert que de Joseph ou Ernesto, un des deux s’est bien plus planté dans sa mission que l’autre (du moins il le dit). Une charge sévère contre l’oligarchie (la gérontocratie) soviétique, coupable d’avoir abandonné le communisme (dévoiement est le terme exact) et s’être comportée lâchement.
Bref, à part Joseph et ses proches, l’Humanité est une belle salope. Quand je repense à ce pauvre Ernesto obligé de conduire une révolution dans un pays où tous se doutaient que ça allait sévèrement capoter…
…à rapprocher de :
– De JM Guenassia, Le Tigre a commencé par Le club des incorrigibles optimistes. Un peu plus longuet, mais de la bonne came.
– Les protagonistes de qualité qui traversent le temps (et l’espace) de façon aussi magistrale, je peux félinement vous renvoyer vers Limonov, d’Emmanuel Carrère.
– Joseph Kaplan. Joseph K. Voilà, Le Tigre a enfin procédé au rapprochement !
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici (grand format pour l’instant).
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