150 pages, une mystérieuse femme qui remplirait des contrats de tueuse, un écrivain unique en son genre qui a su pondre de somptueuses pépites, comprenez que Le Tigre ne pouvait laisser passer. Et ça démarre sur les chapeaux de roue, on se laisse emporter par le père Manchette. Tout cela aurait pu être un excellent petit polar à la française si le dernier tiers n’avait pas été si décevant.
Il était une fois…
Aimée (de son prénom, car elle semble avoir plus d’un nom dans son sac), est une tueuse talentueuse et à la beauté fatale (lieu commun doublé d’un vilain jeu de mots, c’est fait). Et comme le dit le quatrième de couverture, « c’est l’histoire d’un contrat inhabituel, dans une ville pourrie par le fric ». [Pour 150 pages n’attendez pas plus].
Critique de Fatale
Manchette, à l’instar de Dantec, c’est un de mes petits auteurs « arc-en-ciel », entendez : je pleure de rage devant certains romans comme je peux pleurer de bonheur avec d’autres. Et Fatale l’illustre parfaitement : Le Tigre a adoré au début, détesté sur la fin. Quel dommage.
Comme je le disais, la première moitié est superbe. Le lecteur fait connaissance avec une femme séduisante presque rompue aux techniques d’espionnage de son temps. Bizarre sur les bords, elle l’est sans conteste. On devine rapidement qu’elle prépare un coup fameux dans une ville remplie d’individus idiots et portés sur le fric. Et son intronisation dans l’environnement élitiste de Bléville est captivante, car elle commence à y déceler les secrets de chacun et fait la rencontre de personnalités atypiques (le baron par exemple).
Hélas, mille fois hélas, les derniers chapitres ont intensément frustré Le Tigre. Outre le fait qu’on ne saura ni d’où elle vient, ni qui la paye (même si elle semble être son propre patron), le dénouement de l’intrigue a été cavalièrement traité par Manchette. La belle pète presque un fusible, de concert avec d’autres protagonistes, et la chasse finale m’a semblé à la fois incompréhensible et bâclée.
Sinon, sur la lecture, ça passe très bien pour quelques chose d’écrit à la fin des années 70. Chapitrage très court (un chapitre fait même une page), dialogues secs et sans verbiage, et pour une fois de menues descriptions (surtout le premier tiers) qui ont correctement immergé Le Tigre dans l’univers de la tueuse.
Dans l’ensemble, ce que j’aime chez Manchette est sa propension à se pas s’emmerder à nous préparer une fin heureuse. Rien n’est positif dans beaucoup de ses titres, et même le dénouement laisse un goût de cendres. Le happy ending fisting, comme je dis. Mais Fatale n’est pas la meilleure façon de le découvrir avec Jipé.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La bourgeoisie de province un peu rance. Aimée débarque dans une ville tout ce qu’il y a de plus « classique » dans le sens de l’organisation sociétale : tous les notables du coin (qui sont d’une bêtise crasse en plus d’être pourris) se connaissent, traînent uniquement entre eux (pour les bridges, le tennis, etc.) et mènent leurs petites affaires loin de la plèbe. Aussi lorsqu’une jeune riche veuve se présente, il ne lui faut pas bien longtemps pour pénétrer ce microcosme incestueux.
La corruption, et à toute les sauces. L’élite, forcément, s’octroie de scandaleux cadeaux ici et là. Toutefois j’ai trouvé que les ficelles tirées par le père Manchette étaient aussi grosses que des troncs de baobabs centenaires : d’emblée, le nom de la ville (Bléville, come on…). Ensuite, les comportements too much des habitants qui ne sont dérangés que par le scandale sanitaire de l’usine. Le reste (contrats sans appels d’offre, médecin marron,…), ils s’en foutent. Seul le journaleux garde la tête froide. Enfin, les nombreux objets (poubelles, cabines tél.) qui annoncent « Gardez votre ville propre ! ». Le lecteur a vite compris.
En conclusion, lorsque tout menace de s’effondrer, chaque protagoniste tente de sauver son cul. Et si abandonner ou trahir les siens (même son conjoint) permet de s’en sortir, Manchette montre que la nature humaine est, au fond, désolante. Bléville est une jungle, et la tueuse n’est alors que le catalyseur du sombre avenir de ses habitants : celui du « chacun pour soi » où la solitude est reine.
…à rapprocher de :
– Roman adapté en BD par les bons soins de Cabanes et Headline (en lien). C’est limite mieux.
– De Manchette, ne lisez surtout pas La Princesse du sang. C’est son dernier, qu’il voulait chef d’œuvre, et qui n’a pu être terminé. Préférez L’affaire N’gustro ou Nada.
– Une vrai tueuse, une femme fatale et bandante, quelque chose qui envoie du pâté made in USA, c’est Vanilla Ride, de Joe R. Lansdale.
– Sinon, juste sur le titre, une autre « Fatale » (tome 1) existe en littérature.. Du moins en bande dessinée, par Brubaker et Phillips.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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