Énième titre de Teulé qui reprend un fait divers, ici par n’importe lequel. Dans la France du 19ème siècle, la foule d’un village s’est sauvagement acharnée sur un innocent à la suite d’une vague rumeur. En nous contant précisément ce qui s’est passé, remercions l’auteur d’avoir su rendre une si horrible péripétie vivante et édifiante.
Il était une fois…
Le quatrième de couverture est plus que correct, aussi Le Tigre a pris la liberté chérie de le recopier :
« Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Il arrive à destination à quatorze heures. Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé. Pourquoi une telle horreur est-elle possible ? Comment une foule paisible peut-elle être saisie en quelques minutes par une frénésie aussi barbare ? »
Critique de Mangez-le si vous voulez
Le Tigre aime bien Teulé qui se plante rarement dans ces ouvrages. Une fois n’est pas coutume, ce titre est une fort correcte sucrerie qui se lit en une petite heure à peine. Lecture rapide et intense eu égard l’épineux sujet traité.
En effet, l’auteur s’intéresse à un acte abominable qui s’est déroulé pendant la guerre de 71 contre les vilains Prussiens. Un homme bien sous tout rapport débarque lors de la fête du village d’à côté. Quelques malentendus s’installent, on le suspecte d’être un espion, les esprits s’échauffent, bref quelques heures après il est mort. Après avoir été horriblement mutilé.
Teulé n’est pas un historien, aussi ne faut-il sûrement pas prendre au mot tout ce qu’il raconte dans cet ouvrage. Ce n’est pas pour des prunes que Le Tigre l’a classé dans la catégorie des romans. Celui-ci est plaisant, avec le style habituel précis mais épuré, un peu trop sans doute lorsqu’il décrit avec un certain recul les tortures infligées au jeune Alain. Ça peut soulever des hauts le cœur aux lecteurs les plus sensibles.
Rien n’est parfait bien sûr, par exemple on pourrait reprocher à Jean d’avoir été un poil léger sur le plantage de décor : rappeler la misère et l’inquiétude pendant cette guerre qui s’annonce mal ; ou faire comprendre que si vous organisez un open-bar champêtre en plein cagnard avec la populace, une étincelle peut déclencher une révolution (ou du moins une jolie jacquerie). Du coup, ce court livre m’a donné envie d’en savoir plus sur l’affaire de Hautefaye.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’hystérie collective. Il suffit qu’un connard balance un mensonge (même sans le savoir), et hop tous les gus autour reprennent l’information, la déforment, etc. Le pauvre Alain, en plein milieu de tout ça, c’est un peu le bouc émissaire par excellence. Un noble (Dieu sait si ça pouvait passer mal auprès de paysans), propre sur lui (le mec qui va rarement au turbin), presque inconnu au bataillon, bref le responsable d’une bataille perdue annoncée le jour même. Rien de plus dangereux qu’une foule. Et con – foule devrait être au masculin d’ailleurs. Alors si elle est menée par un chef d’État…
La foule en question va très loin et commet ce que l’on nomme maintenant (dans le code pénal) des actes de torture et de barbarie. Bastonnades, coups de partout, intenses brûlures, le pauvre gus a passé quelques heures peu ragoutantes. Et Teulé ne se prive pas de nous conter le menu. En parlant de menu, Mangez le si vous voulez fait référence à la phrase du maire (il avait tenté de le protéger) qui, excédé, s’adresse à la populace déchaînée. Il n’est pas du tout sûr qu’ils aient terminé par tranquillement grignoter le mort, mais tant qu’à vendre une histoire aux sommets d’horreur…
Enfin, la sanction. La mort d’abord, pour quelques uns (les autres étant emprisonné) lors d’un procès qui a passionné le peuple. La honte, ensuite (et encore semble-t-il), pour un village qui porte le nom d’une affaire synonyme de perfidie et d’inhumanité. Bon, j’y vais un peu fort là, disons que plus d’un siècle après il y a eu tellement pire hélas. La définition de l’opprobre j’ai l’impression.
…à rapprocher de :
– Jean Teulé squatte correctement le présent blog : L’œil de Pâques ; Darling (coup de cœur) ; Longues Peines ; Les Lois de la gravité ; Ô Verlaine ! ; Le Magasin des suicides (bof bof) ; Le Montespan ; Charly 9 (déception).
– Sur les horreurs que les hommes peuvent commettre, mais ici par omission, Le Tigre vous propose Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Decoin.
– Alain Corbin, historien, a écrit au milieu des années 80 un essai sur cette « dégustation » intitulé Le village des cannibales. Apparemment, c’est la source de référence sur les exactions commises à Hautefaye.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Jean Teulé – Ô Verlaine ! | Quand Le Tigre Lit
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Ping : Jean Teulé – Longues peines | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jean Teulé – Le Montespan | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jean Teulé – Darling | Quand Le Tigre Lit
Ping : Didier Decoin – Est-ce ainsi que les femmes meurent ? | Quand Le Tigre Lit
J’aime bien l’humour noir de Jean Teulé qui fait ici merveille.
Ping : Patrick Süskind – Le Parfum | Quand le tigre lit
La lecture de ce roman fût pour moi une immense déception. Si Le Tigre s’intéresse au sujet, je lui conseillerai de lire Le village des cannibales d’Alain Corbin qui propose un regard d’historien. Au cas où, voici mon compte-rendu : http://livresacentalheure-alcapone.blogspot.fr/2011/12/le-village-des-cannibales-alain-corbin.html
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