Histoires de bourreaux qu’on n’aimerait pas rencontrer, expériences de leurs victimes dos au mur, le malaise est omniprésent avec ces multiples scénarios formant une mosaïque au teint sombre et inquiétant. Style plus que passable, péripéties à glacer le sang (même si certaines sont attendues), comment mieux illustrer le dicton qui veut que l’homme est un loup pour l’homme ?
Il était une fois
Une partie du quatrième de couverture ne peut pas faire de mal :
« Une maison qui brûle à l’horizon ; un homme, Duane, qui se met en danger pour venir en aide à un petit garçon qu’il connaît à peine ; une femme, Mary Beth, serveuse dans un dîner perdu en plein milieu de l’Indiana, forcée de faire à nouveau face à un passé qu’elle avait tenté de fuir ; et un couple, Paul et Martha, pourtant sans histoires, qui laisseront un soir de tempête, entrer chez eux un mal bien plus dévastateur. »
Critique des Loups à leur porte
Conseillé par une éminente connaissance du félin, cet ouvrage se décompose en une bonne douzaine de chapitres ayant pour titre le nom du protagoniste autour duquel sera concentrée l’action. J’avoue avoir eu régulièrement la trouille d’être largué par ces histoires en apparence indépendantes mais qui s’avèrent intimement liées. Aussi m’a-t-il fallu effectuer plus d’un retour en arrière pour confirmer que tel personnage cité est bien celui, plusieurs années avant, au centre de la narration de tel chapitre.
D’une France savoyarde aux Etats-Unis (NYC, Kansas en particulier), l’auteur nous convie à contempler plusieurs destins qui s’entremêlent, avec comme fil conducteur la monstruosité de certains. De l’autre bord, nous avons les victimes et quelques beaux chevaliers blancs (certains portant la double casquette), composant une poignée de duos tragiques où la prédation est reine. La trame temporelle s’espace sur une génération et met en scène autant de jeunes enfants que des individus plus aguerris qui ont connu l’enfer.
La plume de Jérémy Fel n’a rien d’exceptionnelle et reste souvent convenue, sa force résidant plutôt dans l’architecture de son bouquin. Son texte aurait même pu être franchement simple et efficace s’il ne perdait pas le lecteur avec des rêves (cauchemars plutôt) qui, outre de tuer le rythme, apportent une touche fantastique (et inquiétante) dont on aurait pu se passer car ajoutant à la confusion. La lecture n’en demeure pas moins plaisante et les scènes décrites prennent facilement vie dans l’esprit félin qui s’attendait à plus de stupeur.
Le bref avis du Tigre tiendra en une longue phrase : Jérémy Fel a pondu à notre intention un premier roman tout à fait correct, avec de solides représentations du mal à l’état pur serties d’une écriture sobre quoiqu’exagérément éthérée, sans compter un arc narratif original invitant à relire quelques passages pour en saisir la belle architecture ; mais de là à le comparer à un Stephen King made in France, faut un moment que la maison d’édition se retienne de prendre sa bite pour un mât de cocagne.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
C’est quoi ces loups ?? Ces vilains bestiaux soi-disant à la porte en ont déjà franchi le seuil (parfois laissé entre-ouvert) et ne laissent que désolation dans le corps et l’esprit de ceux qu’ils croisent… Il convient de remarquer que Jérém’ (tu permets Monsieur Fel) va dans le crescendo question noirceur de l’âme humaine : violences conjugales, mère infâme, ex copains devenus dingues, beau-papa tueur en série, pédophilie en colonie de vacances, réseau de fous furieux séquestrant et violent de jeunes ados pendant qu’ils les filment, ad nauseam.
Hélas, ces ignobles individus n’apparaissent qu’en surface et accusent parfois un déficit de réalisme (Le Tigre est, malgré lui, friand d’horribles descriptions). A l’exception remarquable de Walter, un psychopathe de talent qui n’hésite pas à rechercher un fils bientôt majeur dont il ignorait tout et établir de grands projets (peu légaux) pour lui, quitte à l’enfermer. Néanmoins, le travail littéraire rendant compte des points de vue des persécutés est d’une appréciable qualité. Panique totale lorsqu’elles tombent entre les mains du croquemitaine, déroulement des tortures subies, sauvetage (lorsqu’elles en ont la chance), comment elles surmontent ces épreuves dont, évidemment, elles ne sortent jamais indemne,…la finesse/justesse des états de ces hères est saisissant, en particulier le cas de Scott et sa mère.
Dans les derniers chapitres, l’écrivain se lâche (scènes plus dures par exemple) et ouvre de nouvelles perspectives quant à la mince frontière entre le statut de bourreau et celui de martyr. Lorsque d’affreux jojos finissent salement, on ne peut que se réjouir – surtout quand cela participe à la reconstruction d’autrui. En revanche, nettement moins optimiste est le cas de l’agneau qui prend un immense plaisir à anéantir son tortionnaire et entretien en quelque sorte l’héritage de ce dernier. Nous retrouvons alors, pleinement exposée, la question de la reproduction de la violence extrême à l’échelle de l’individu, même si l’auteur se garde bien de développer les ressorts psychologiques complexes qui font qu’un souffre-douleur se mue en donne-douleur – le cas de Damien reste un contre-exemple à signaler.
…à rapprocher de :
– J’ai souvent pensé à Magnolia, de Paul Thomas Anderson (récits indépendants se rejoignant, certains thèmes abordés, l’Amérique excessive).
– Un personnage est un sociopathe pur jus, et a quelque chose du méchant de Psychopathe, de Keith Ablow (plus chiadé question psychologie des protagonistes). Ou, encore plus proche, du vilain dans Satan dans le désert de Boston Teran – attention c’est ultra glauque.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.