VO : Ten no taka (Le Faucon du ciel, pour tout vous traduire). Un auteur japonais qui se met à écrire un western, fallait oser. L’immense Jirô a franchi le pas en introduisant deux de ses compatriotes dans l’Amérique des années 1870, et chez les Amérindiens. Aventure, bons sentiments (trop sans doute). Pas mal, mais sans l’émotion dont Taniguchi peut nous habituer.
Il était une fois…
Hikosaburō Sōma et Manzō Shiotsu sont deux samouraïs d’un fief quelconque (Aizu, si ça vous parle) qui ont émigré aux États-Unis à cause d’une révolte qui a mal tourné dans leur pays lors de la restauration dite Meiji (vers 1868). Ils vivent, presque en mode Retour à Brokeback Mountain, dans les montagnes du « Big Horn » et vivent d’amour platonique et d’eau fraiche. En secourant une jeune femme indienne qui vient de mettre bas (pauvre choix de mots, désolé) contre des vilains Blancs, nos deux péd..euh amis sont progressivement adoptés par la tribu locale. L’échange de bons procédés peut commencer, et ça ne sera pas de trop contre le nouvel État américain avide de terres.
Critique de Sky Hawk
D’habitude, Le Tigre n’est jamais déçu en lisant du Taniguchi. C’est en général frais, émouvant et sacrément bien dessiné. Sauf dans Sky Hawk, j’ai été plutôt désappointé par une histoire plutôt ennuyeuse et, surtout, politiquement très orientée. Je ne dis pas que les Américains se sont comportés comme des enfoirés finis vis-à-vis des Amérindiens (sans pour autant utiliser le terme génocide), mais l’insistance avec laquelle l’auteur le rappelle a commencé à me gonfler au milieu de l’ouvrage.
Car les deux protagonistes se retrouvent au beau milieu de ce qui va rapidement devenir une guerre. Ils sont tombés au sein de la tribu Oglala dont le chef n’est rien d’autre que Crazy Horse – rien à voir avec un cabaret miteux où Le Tigre a sa table attitrée. Hikosaburō et Manzō (baptisés Sky Hawk et Winds Wolf pour l’occasion), impressionnent évidemment les autochtones qui ne crachent pas sur leurs compétences pour lutter contre les méchants. Un en particulier en la personne du terrible Custer, militaire U.S. déterminé à foutre les Indiens dans des réserves. Point culminant de cet affrontement, la grande bataille de Little Big Horn.
On connaît tous la suite, à savoir que peaux-rouges se font correctement botter le derrière, supériorité démographique et technologique (la mitrailleuse Gatling, le train) obligent. Concernant les illustrations en noir et blanc, il faut reconnaître que la maîtrise des paysages et des personnages (putain, matez juste leurs magnifiques corps) force le respect. Néanmoins, il manque une certaine crédibilité lors des phases de combat, et quelques prises de vue d’ensemble (pour renforcer l’aspect stratégique du conflit) n’aurait pas été de trop.
En conclusion, peu de surprises. Le fauve (je parle de ma petite personne là) a eu l’impression que le mangaka, face au genre littéraire de la BD européenne agrémentée d’une touche de western (dans la droite lignée des Blueberry), a foutu son gros doigt sur la couture de son kimono et s’est attaché à faire un pastiche (pas nul au demeurant). L’hommage rendu est certes correct, mais j’attendais nettement mieux.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Comme je le disais, notre ami japonais a utilisé la plupart des caractéristiques d’un bon western, sur ce point il n’y a rien à dire. La cavalerie américaine contre les Indiens, les fusils contre les arcs, l’organisation contre l’intuition. Sauf que, pour une fois, le lecteur sera immergé côté indien. Et la prise de position (justifiée il est vrai) vis-à-vis de ces derniers est totale, la volonté des Blancs de s’accaparer un territoire qu’ils s’imaginent leur appartenant produit des effets dévastateurs. Destruction de la faune locale (pauvres bisons…), violation répétée des traités, le visage pâle n’a décidément pas d’honneur – à l’exception sans doute de quelques militaires gradés, et encore.
Cette œuvre est surtout une belle fable sur la nature et la manière dont « l’esprit japonais » est proche de celui de la plupart des Amérindiens. Pendant que Sōma et Shiotsu (avouez, je pourrais balancer un nom au pif, vous ne ferez pas attention) enseignent les arts martiaux et le maniement de l’arc aux peaux-rouges, ces derniers leur montrent l’amour de la nature bienfaitrice et qui a besoin d’équilibre – sans compter l’importance des lieux sacrés. Une dernière similitude entre ces samouraïs et les Indiens ? : refusant d’embrasser la modernité occidentale (pour des raisons que je ne développerai pas ici), ces deux types d’individus ne peuvent rien face à un expansionnisme occidental arrogant et sûr de son bon droit – droit qui va ici à l’encontre de la nature.
…à rapprocher de :
– De Taniguchi, Le Tigre a lu beaucoup. J’ai pour l’instant résumé Quartier lointain et Le journal de mon père. Les deux, même s’ils se ressemblent, restent excellents.
– Côté japonais, si vous voulez lire de la littérature d’un rageux qui n’a pas digéré la situation post-WWII, lisez donc Le Japon moderne l’esprit samouraï de Mishima.
– Puisque Jirô y fait référence en préface, regardons à nouveau Danse avec les loups, avec le grand Kevin Costner (A part Waterworld, ce mec devient quoi depuis ?)
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.
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