Jodorwsky est un petit génie, et après l’Incal imaginer un prequel semblait évident. C’est chose faite, avec une saga sympathique mais pas autant que l’histoire principale. Scénario séduisant avec quelques longueurs, dessin hélas un poil vieux, Avant l’Incal peut être délaissé au profit d’autres aventures créées par cet auteur.
Il était une fois…
John Difool, jeune désœuvré d’une douzaine d’années, ne mène pas une vie facile dans la cité-puits de Terra 2014 : père avec qui il commet de menus larcins, mère prostituée accroc à l’amourine (une drogue qui fait ressentir l’amour, interdit sur Terra), environnement dangereux fait de terroristes, etc. C’est le lot des « rats » des niveaux inférieurs, avec de temps à autre les visites des membres de l’opulente aristocratie reconnaissables à leurs auréoles. Difool, sur le point de perdre ses parents, semble déterminé à s’élever un peu dans cette société futuriste et profondément amorale.
Critique d’Avant l’Incal
Cette intégrale au prix mirobolant semble coûter plus cher que les six tomes achetés séparément. Pour info, les titres de ces opus sont Adieu le père, Détective privé de classe « R », Croot (le bruit de sa mouette en béton), Anarchopsychotiques, puis Ouisky, SVP et homéoputes (chouette trouvaille) et enfin Suicide allée. Tigre qui aime, hélas ne compte point.
Sur l’histoire, c’est globalement satisfaisant. On se plaît rapidement à suivre notre jeune héros dans un monde impitoyable (cf. thèmes abordés) superbement décrit. Les techno-technos, nobles, robots (dont un devient l’ami du protagoniste principal) et autres bêtes fort peu sexy constituent un univers cohérent et au demeurant très marrant. Car les dialogues entre protagonistes (notamment le président contre les technopères) sont souvent savoureux et il ne faut pas s’arrêter sur la forme de l’écriture. En effet, la police de caractère de cette intégrale est proprement repoussante, ça ne donne pas envie de s’y attarder.
C’est sur le dessin que Le Tigre a été sacrément surpris. Censé avoir été publié après L’Incal, en fait le tout m’a semblé bien plus vieux. Dessin approximatif malgré quelques poignants rendus architecturaux, couleurs criardes (je suis plutôt fan de la colorisation par ordinateur, plus lisse certes) et cases qui donnent l’impression de cruellement manquer d’espace. Pour le connaisseur du genre, ça n’empêche pas de se délecter de cette intégrale, mais attention : des éditions « revues » (entendez : censurées) circulent et ôtent le petit plus politiquement incorrect de l’ouvrage.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La société futuriste qui part en couille. Il n’y a pas d’autres termes : entre cyberpunk et néofascisme rigolard, le monde décrit par Jodorowsky est un joli foutoir cyniquement tenu par une clique de politiciens inquiétants. Populace constamment maintenue sous l’effet de drogues, dès qu’un loisir (TV, le coca local,…) manque tout menace de s’effondrer. Panem et circenses. Plus particulièrement, la société du spectacle y est développée à un point pas si caricatural. Starification à outrance ou programmes télévisuels « pipi-caca » (pour ne pas dire abjects), le sourire du lecteur peut se muer en une légère crispation lorsqu’il compare avec la réalité. Quant à la première enquête de Difool, celle-ci plonge au cœur du pouvoir et révèle l’horrible source du pouvoir de la haute caste.
Le garçon qui devient homme. John Difool est à peine un adolescent lorsqu’il perd mère et père. Salement dépucelé par des compagnons de passage, fuyant son niveau pour se retrouver dans un refuge sans couleur, il y a rencontrera son premier amour (la jeunette à tête de biche) qui va se faire trucider sous ses yeux. Puis il tombera connement amoureux d’une aristocrate mal lunée qui lui en fera voir de toutes les couleurs. En sus, ce qu’il apprend sur le réel état de ses parents (sa mère toxico ou son père transformé en bossu du président) va lui faire définitivement couper les ponts de la jeunesse. Bref, un homme presque prêt (notre héros reste largement imparfait) pour sortir de sa cité-puits et faire de solides étincelles dans une prochaine aventure.
…à rapprocher de :
– La suite, L’Incal, est de pure beauté. Final Incal, il semble qu’il faille attendre un certain temps avant d’avoir une intégrale (3 tomes cette fois-ci).
– De l’éditeur Les Humanoïdes Associés, et avec le même illustrateur, il y a le sublime Les Technopères. Et Megalex (avec Beltran). Voire La caste des méta-barons.
Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
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