Une saga grandiose et philosophiquement (si si, l’air de rien) poussée, très peu de défauts, des illustrations comme Le Tigre les aime, bref ce fut le coup de foudre. Les aventures d’Albino, de sa terrible enfance jusqu’à la magistrature suprême, sa quête d’un monde nouveau, c’est mignon et terrible à la fois.
Il était une fois…
L’intégrale que Le Tigre s’était procurée consiste en deux jolis blocs, chacun comportant quatre délicieuses bandes dessinées. Les titres des opus (sortis entre 1998 et 2006) sont, dans l’ordre : La Pré-école Techno, L’École pénitentiaire de Nohope, Planeta Games, Halkattrazz, l’étoile des Bourreaux, La secte des Techno-évêques, Les secrets du Techno-Vatican, Le Jeu parfait et enfin La Galaxie Promise. Notez les subtils jeux de mots.
La trame de l’histoire est double. D’une part Abino, accompagné de 500.000 disciples, fuit le monde techno-techno vers une nouvelle galaxie où « la science ne comptera pas autant que les rapports humains ». Son voyage sera émaillé de divers incidents et, grâce aux pouvoirs du héros vieillissant, la terre promise est chaque jour plus proche. D’autre part, Albino écrit ses mémoires pendant le voyage (avec l’aide de sa fidèle souris Tinigrifi), l’occasion pour le lecteur de découvrir son parcours, depuis le viol de sa mère, jusqu’à cette fuite.
Critique de Les Technopères
Le jeune Tigre a squatté les grands magasins culturels des heures pour lire tout ce qu’a bien pu pondre le très déjanté Jodorwsky. Et ça paye, puisque dès que les coffrets sont sortis je me suis jeté dessus et ai sorti mes petits billets aussi vite qu’une religieuse se signe en lisant Alesteir Crowley.
Les Technopères s’inscrit dans l’univers particulier de l’auteur où se trouvent également les épisodes relatifs à l’Incal (cf. infra). On voyait de temps à autre ces sinistres individus avec un bel étron gravitant au-dessus de leurs têtes, mais jamais l’organisation « techno » n’avait été réellement étudiée. Et Jordor’ s’est réellement fait plaisir avec ces huit (courtes hélas) BDs. L’alternance entre les souvenirs du héros (mes passages préférés) et son trajet vers la galaxie promise est bien dosée, même si les menue dialogues du héros et de son petit animal de compagnie peuvent en gaver plus d’un.
Rien n’est parfait bien sûr, car Alexandro J. a souvent fait du grand n’importe quoi : le mix entre la religion et la science est poussé à son maximum, les ficelles sont grosses. En sus, le héros monte toujours plus vite dans la hiérarchie techno comme une jeune conne les marches du festival de Cannes en se dandinant. Rien qui ne pique les yeux dans la mesure où ces délires m’ont bien fait marrer. Toutefois la fin du cycle m’a profondément déçu. Sans vraiment spoiler, la fusion entre les deux protagonistes principaux afin qu’Albino puisse sortir de son fichu vaisseau est plus que douteuse. Et le résultat visuel, bof.
Ce sont les illustrations qui ont remporté de gros lot des éloges du Tigre. Le dessin de Janjetov, assisté par ordinateur (surtout concernant l’architecture) est quasiment parfait. Ligne forcément claire, perspectives vertigineuses et faciès des protagonistes (surtout les vilains) bien rendus. Quant aux couleurs de Fred Beltran, on alterne entre tons kitschs (souvent fluos) et teintes plus froides, comme si le glauque de l’espace le remportait invariablement. Une excellente saga pour ma part, et je comprends que certains la trouvent excessive, voire opaque (alors que penser de l’Incal dans ce cas…).
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La critique de la société ultralibérale est relativement prégnante. La secte techno-techno n’est rien d’autre que la logique productiviste et technologique poussé à son comble. Lorsque Albino « recadre » une société qui vend des jeux vidéos, le seul employé qui n’est pas exécuté est celui qui propose de « faire plus avec plus ». Pollution de l’environnement certes, mais corruption des esprits avant tout.
Le thème du jeu vidéo fait alors une entrée remarquée, et ce dès les premiers opus. Pour ramollir les cerveaux, les technopères utilisent les loisirs, avec des simulations et autres merveilles techniques pour accrocher le client. Addiction et frustration, voilà les deux mamelles de l’emprise de la sombre organisation sur l’Humanité. D’ailleurs ces jouets numériques serviront à Albino pour sélectionner son demi-million de disciples, en mettant en circulation un jeu contemplatif et faisant la part belle à la réflexion.
La puissance de la volonté. Au fil de l’évolution du héros, on remarque que seule la force de l’esprit lui permet de s’en sortir. En plus d’une solide bordée de nouilles qui lui déborde du cul. Luttes entre étudiants dans la pré-école techno, à l’étoile pénitentiaire (qui fait très Star Wars), dans le saint du saint de la secte, le petiot fait des merveilles (certes aidé du respecté Loyola, fondateur floué des technos). Il y a réellement de tout dans chaque chapitre, que ce soit une succube artificielle destinées à détourner le héros de son but ou un combat à mort entre avatars imaginés par les concurrents.
…à rapprocher de :
– Le cycle fondateur, à mon sens, serait la Caste des Métabarons. Long et beau.
– Comme j’en parlais, il y a, chez le même auteur, Avant l’Incal suivi de L’incal. Et Final Incal accessoirement. Plus long, plus complexe, plus éthéré, Le Tigre se demande sous quelles substances cela a été écrit.
– Sur la pollution des esprits et (surtout) de l’environnement, le correct Megalex se laisse lire. C’est bon, mais pas à la hauteur du grand Jodo – à mon sens.
Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD (une grosse intégrale) en ligne ici.
Ping : Gess & Duval – Carmen Mc Callum : L’affaire Sonoda | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jodorowsky & Beltran – Megalex : Intégrale | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jodorowski & Moebius – L’Incal : L’intégrale | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jesús Sepúlveda – Le Jardin des singularités | Quand Le Tigre Lit
Ping : Jodorowski & Janjetov – Avant l’Incal : L’intégrale | Quand Le Tigre Lit