Trois BDs (L’anomalie, Le bossu et Le cœur de Kavatah) de qualités inégales, une intégrale qui se lit vite et laisse un peu amer. Certes le scénar’ est marrant, sur fond d’eugénisme et d’utilitarisme outrancier, certes le dessin est mon genre, toutefois ça ne déplace pas des montagnes. Pas sûr que le prix en vaille la chandelle.
Il était une fois…
Bienvenu sur la planète Megalex, où grâce aux soins du bon roi et de sa famille la nature a été tranquillement balayée. Toute la nature ? Non, une grosse forêt résiste toujours à l’envahisseur, et de là quelques hommes et femmes libres font des raids contre Calam, la ville principale. Tous les 400 jours, la génération d’individus programmés pour mourir, sauf que parmi les nouveaux « produits » une anomalie parvient à s’échapper. Sauvée in extremis par des résistants « naturels ». La guerre peut continuer.
Critique de Megalex
Jodorowski, ça ne peut être que de la bonne came non ? De tout ce que j’ai lu de l’auteur, c’est certes loin d’être la meilleure saga imaginée. En effet, le félin a trouvé les ficelles narratives souvent aussi grosses qu’un vénérable baobab, comme si mon Jodo en sucre avait tissé deux ou trois (bonnes il est vrai) idées autour d’une structure narrative assez terne.
Globalement, la fameuse anomalie va se retrouver au beau milieu d’une guerre entre le pouvoir, une institution dégueulasse d’hédonistes/eugénistes perfusés de drogues qui fait sauter toute menace par le nucléaire, et une bande d’activistes surentraînés très « gaïa » dans l’esprit mais sans le pacifisme associé. Au fil des tomes (même si le troisième dénoue tout abruptement), notre blondasse de héros va se découvrir une humanité pendant que se prépare l’assaut final contre les forces du mal lors d’une gigantesque fête où sera sacrifié une partie non négligeable de la populace.
Fred Beltran est allé encore plus loin niveau dessins, avec l’utilisation à outrance des illustrations numériques. Les couleurs claquent au vent, le trait est régulier quitte à délaisser les détails au profit de gros tableaux architecturaux un peu balourds – à l’image des protagonistes d’ailleurs. Toute est dans le symbolisme en fait, et la taille des cases donnera au lecteur l’impression de lire à vitesse grand V une saga de SF digne des plus gros blockbusters de dessins animés en 3D.
Par conséquent, et c’est là que le bât blesse, ça se dévore tellement vite que j’ai eu la désagréable impression d’une certaine vacuité – intellectuelle hélas. Vu le nombre de tomes et la quarantaine de pages par opus, très franchement j’attendais quelque chose de plus difficile à digérer. On pourra enfin regretter la fin, un d’un pseudo happy-ending relativement nunuche – bien qu’il y a pire en la matière.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
L’antagonisme entre la technologie décomplexée (caricatural et jouissif) et la mère Nature aimante et bonne est saisissant, surtout lorsque Jodorowsky s’aventure sur le terrain de la politique. Car la sophistication semble, dans Megalex, synonyme de perte de ce qui fait l’Humanité. Il n’y a qu’à voir comment est gérée la planète aux mains d’un homme qui n’a plus grand chose d’organique et de sa fille à qui il manque le cœur (on ne peut guère faire moins). Et le contraste avec le passé du pays fait froid dans le dos – évidemment, l’être humain reste le responsable de tout ce foutoir.
Le décalage entre les deux extrêmes me paraissait tellement exagéré qu’en fin de compte l’auteur m’a offert un dénouement qui ne l’est pas moins. Sans spoiler comme un connard, la synthèse techno/nature des dernières pages de la saga est enfantine, Le Tigre n’aurait pas cru Jodorowski oser faire cela….en fait si, quand on voit le final des Technopères, faut toujours que l’auteur sud-américain gâche sa sortie. Dommage.
En dernier lieu, ce que subit le protagoniste principal a tout d’un parcours initiatique comme on les aime dans les grandes tragédies. L’histoire du gus qui parvient à s’extirper de sa condition néo-foireuse (encore plus réglée qu’une sous-caste indienne) et s’élever par une belle flopée d’expériences (le rejet, l’amour, la lutte, le sexe, etc.) est presque épique. C’est le maillon faible originel du système, si tous l’appellent (au début) « l’anomalie », c’est que celle-ci est à même de résoudre un ordre précaire qui ne demande qu’à se stabiliser. En réfléchissant bien, c’est en fait LE maillon fort, un héros (qui aurait pu être un autre) qui devait survenir dans cet univers.
…à rapprocher de :
Bizarrement, la fin annonce une suite qui a l’air d’être pleinement divine. C’est quand vous voulez les cocos.
– On retrouve Jodo’ et Beltran (aux couleurs seulement) dans Les Technopères, série de huit tomes qui m’avait profondément ravi.
– De Jodorowski seul, Le Tigre s’est régalé avec Avant l’Incal suivi de L’incal. Et Final Incal accessoirement. Plus long à digérer, plus complexe, plus mieux, je me demande sous quelles substances cela a été écrit.
– L’univers totalitariste sur-bétonné parfois attaqué par une bande de culs-terreux, c’est exactement Judge Dredd, dont j’ai lu quelques bandes dessinées.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette intégrale en ligne ici.
Le dessin ! C’était bien çà qui m’ avait rebuté. Et bien, je vais réessayer, j’ai les trois premiers tomes quelque part. Merci.
Bizzaremment, je n’ai jamais accroché à l’incal. Le cycle du Lama blanc par contre m’a fait découvrir que la BD ne se résumait pas à Gaston Lagaff, M’enfin… Mr Jodorowski vieillit.
Lama blanc…voilà ce qu’il manquait à ma biblio, merci de me le rappeler 🙂 L’histoire de l’Incal est géniale, y’a juste le dessin qui est loin d’être avenant (enfin à mon sens)
Tu me fais plaisir en chroniquant cette série ! Bon, je suis un peu trop fanboy. Alors pas forcément très objectif dessus !
J’ai bien aimé, mais autour de moi tous étaient déçus. Disons que Jodo’ ne s’améliore pas avec l’âge.
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