VO : Torture the Artist. Empilez les difficultés sur le dos d’un créateur, et celui-ci épanouira son art (à défaut d’être heureux). Rien à dire, percutant et un peu « borderline » sur le principe développé par le scénario, ça fait du bien de lire de l’inattendu. Idée géniale, style imparfait parfois, le lecteur n’en voudra pas à l’auteur. Surtout en moins de 400 pages.
Il était une fois…
Face à la pauvreté de la création artistique américaine, une bande de doux dingues décide de créer Nouvelle Renaissance, grande école censée former des enfants artistes qui vont déchirer. Vincent fera partie de cette école, et « aidé » par Harlan, son manager et « catalyseur » de sentiments, il souffrira plus que de raison pour créer. Car l’art, selon l’école, se développerait à la mesure des déboires de l’individu.
Critique de Torturez l’artiste !
Conseillé par une amie, Le Tigre se pointe à la librairie, ô bonheur le livre est disponible. Le lendemain, tout a été lu. Cette œuvre m’a agréablement surpris par son côté atypique et légèrement subversif même. Politiquement incorrect, chapitres aisés à suivre, vocabulaire « libéré » (comprendre, non châtié), tout est fait pour passer un moment agréable, bien que les thèmes abordés soient exigeants.
Le concept du livre est tout bonnement génial : le « manager », plutôt grand frère de l’artiste en herbe s’évertue à pourrir la vie de son élève afin que celui-ci devienne un grand auteur. En plus de cet alléchant scénario, l’état des lieux de la culture occidentale est expliqué, certes de manière excessive mais néanmoins juste. On espère que l’auteur, à terme, se plante dans les grandes largeurs d’ailleurs.
Certains pourraient reprocher au roman un style politiquement outrageux, à la limite du vulgaire. Cela n’a point dérangé Le Tigre, disons moins que les quelques redondances vers le milieu de l’œuvre sur les nombreuses manières de faire souffrir l’artiste. Le lecteur comprend, nul besoin d’asséner encore plus de péripéties. La fin, tragique, est parvenue à m’arracher une petite larme.
Ouvrage intéressant pour tout artiste qui sommeille en nous, il n’en reste pas moins que Torturez l’artiste ! s’adresse à une population jeune et large d’esprit.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La création artistique à la pelle, de qualité quasiment nulle. Le livre nous parle d’auteurs, d’œuvres qui auraient pu exister (si ce n’est pas en cours) et qui sont d’une médiocrité affligeante. Plus que ça, la description de l’indigence culturelle de l’Occident est saisissante. Séries, films, scénarios, livres, tout est produit selon un modus operandi éprouvé, notamment par des études marketing, et destiné avant tout à vendre rapidement et sans difficulté. Flatter les bas instincts de la plèbe sans susciter chez celle-ci de trop délicates pensées, on a jamais été aussi proche de la réalité hélas.
La manipulation cérébrale. Et oui, manipulations de tous (et par une poignée) dans ce roman : intoxication des masses par un art léger et addictif (ça s’applique au monde artistique cet adjectif ?), comme précédemment évoqué ; mais avant tout manipulations perverses de l’artiste dans l’académie qui recherche le meilleur. Pour cela le tuteur de Vincent usera de tous les artifices en vue de mettre son élève en condition de produire : lui faire trouver une petite amie, faire en sorte qu’elle le quitte (salement de surcroît), s’arranger pour faire du héros un paria, tout est bon à prendre du moment que le principal intéressé ne perçoit pas la patte de son « bienfaiteur ».
L’art comme découlant de la souffrance. Le sujet, le titre même du roman invite à un certain pessimisme : c’est en créant d’intenses déchirements psychologiques (physiques parfois) chez l’artiste en herbe que ce dernier produira quelque chose de valable. Le bonheur, ça rendrait mièvre, seuls quelques évènements horribles seraient en mesure de susciter chez Vincent soit un sursaut de création (comme pour tenter de survivre), soit des œuvres d’une intensité inégalée. Tout ça proportionnellement à son désespoir. Le Tigre pense tout de suite (peut-être suis-je le seul) au tuteur de Vincent comme l’aboutissement de la figure paternelle, à savoir Dieu, être omnipotent ferme mais juste qui veut façonner son rejeton à son image (du moins celle qu’il aurait aimé montrer).
Bref, heureusement que l’humour dans ce roman est bien présent, sinon le dégoût se serait rapidement mêlé à la tristesse.
…à rapprocher de :
Pas évident de constituer un rapprochement avec ce roman tellement c’est à part. Essayons tout de même :
– Tout ce que vous avez voulu savoir sur l’art (sans jamais oser le demander), apprenons ensemble avec Sarah Thornton, et son très instructif Sept jours dans le monde de l’art.
– Mettre la misère à un jeune pour qu’il excelle dans son domaine, ça me rappelle un peu le colonel Graff vis-à-vis d’Enders dans la superbe saga de SF d’Orson Scott Card.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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