VO : The Water-Method Man. Autant commencer par un des premiers romans de cet auteur plutôt bien coté. Écrit au début des années 70, cette épopée vieillit plutôt bien et offre un premier contact séduisant, même si j’ai parfois lâché à cause d’une narration à la chronologie hasardeuse.
Il était une fois…
Fred Trumper, de son surnom « Bogus » ou encore « Trump-trump », est un glandeur de premier ordre sujet à des désordres qui se situent sous la ceinture (des restes de vérole apparemment). Vivant avec une charmante jeune femme, Tulpen, et autrefois en couple avec une ancienne championne de ski avec qui il a un enfant, Trumper vivote depuis que son père a coupé les liens et n’arrive pas à finir sa thèse qui consiste en une traduction d’un vieil ouvrage improbable. C’est sa vie de ses vingt à trente ans que le lecteur suit, une existence sous le sceau de la médiocrité. Va-t-il dépasser cette condition?
Critique de L’épopée du buveau d’eau
Enfin je me décide à lire du John Irving, que j’associais je ne sais pas pourquoi aux grands pontes de la littérature américaine d’après guerre, dans la veine d’un Updike (ils partagent le même prénom, je suis facilement influençable).
Ce premier contact fut tout à fait correct. Un ouvrage qui a plus de quatre décennies d’ancienneté, ça aurait pu être bien pire. Remercions l’édition française qui a découvert l’ouvrage tardivement et a pu composer une traduction encore jeune. A ce titre ça fait peur comment de tels bouquins ont pu être laissés au pays sans qu’une personne en France ne se décide à le faire traduire et publier.
L’histoire est assez basique, on se contente de suivre le protagoniste dans sa recherche de l’amour, du succès voire de la réconciliation (avec sa famille, son ex-copine, certains de ses amis). Gravitant autour de cet antihéros Irving nous livre des personnages hauts en couleur qui sont fort crédibles et certains sont bien barrés, ce qui apporte une touche de fantaisie bienvenue. Parallèlement la traduction de la thèse de Bogus offre des moments de franche rigolade.
Le style d’Irving est relativement plaisant, avec des fulgurances d’humour que Le Tigre n’a pas vues arriver. Néanmoins d’une part il existe quelques longueurs et il n’est pas exclu de lâcher le fil de temps en temps, sans que ce soit préjudiciable pour la compréhension de l’oeuvre ; d’autre part les chapitres ne se suivent pas forcément de manière chronologique, on peut revenir cinq années en arrière sans que ce soit évident à saisir dès le début. Heureusement tout se remet vite en place, le nombre limité de protagonistes aidant.
430 pages c’est sans doute un peu trop, disons qu’il faut lire assez vite le mini pavé pour ne pas perdre pied et subir les longs chapitres que l’auteur a écrits.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce livre me semble un roman d’apprentissage avant tout, où Trumper cherche à se libérer de sa jeunesse (son problème de santé et l’indépendance financière vis-à-vis du père). Car le héros est devenu père trop tôt, et sa relation aux femmes en général vire à l’aigre. Il se cherche entre ses différentes activités, dont certaines sont peu reluisantes : les passages en tant que vendeur de badges pendant les matchs de foot valent le coup d’être relus.
La création artistique dans tous ses états est surreprésentée : Ralph, ami de Trump, se targue de vouloir faire de son ami le sujet principal d’un film. Incompris voire franchement mauvais (ses antécédents sont fâcheux), le film contre toute attente devient un succès underground. La création la plus drôle reste la thèse du héros, qui est la traduction d’un ouvrage nullissime écrit dans une vieille langue nordique que personne ne comprend. Trump s’en donne à coeur joie et ré-invente le tout, traduit à sa sauce les strophes inintéressantes de la saga nordique et nous livre quelques extraits édifiants. Tout ça sous l’œil admiratif de son directeur de thèse qui ne mesure pas l’étendue de l’escroquerie intellectuelle. On retrouve l’art subtil du pipeautage, créer un rapport ex nihilo ou fabuler ses activités comme le ferait l’ami diabétique de Bogus.
Au final, Trump se redresse et commence à écrire son histoire, et les premières lignes jetées sont celles du début du roman.
L’amitié et l’amour occupent une place plus correcte, avec la question de savoir si l’un ou l’autre peut prendre le dessus. Restant plus ou moins en contact avec son ex, Trump souffre de se voir éloigner de son fils à qui il a peur de ne plus rien avoir à dire. Quant à son ami diabétique, Trump ne peut suivre éternellement ses pérégrinations délirantes en Europe et tente tant bien que mal à le sauver. A ce titre le dernier chapitre, sorte de fusion entre les thèmes, n’apporte pas de réponse claire si ce n’est que le héros semble mieux parti dans la vie.
…à rapprocher de :
– Le roman dans le roman, mise en abîme discrète peut se retrouver dans Vers chez les blancs, de Djian.
– La création cinématographique assez bien expliquée se retrouve chez Paul Auster dans Le livre des illusions.
– La petite amie imaginaire, biographie d’Irving, est intéressante quoique décevante.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.
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