Sous-titre : Une histoire de survie dans la Taïga. VO : The Tiger: A True Story of Vengeance and Survival (amusant, la vengeance a été zappée en français, alors que celle-ci est à la base de l’intrigue). Le Tigre, avec une majuscule : c’est de moi dont il s’agit ! Donc c’est forcément excellent. La confirmation par la lecture en fut d’autant plus délicieuse.
De quoi parle Le Tigre, et comment ?
Vous vous l’imaginez bien, quand j’ai vu ce roman qui traînait dans une librairie, je n’ai même pas cherché à savoir de quoi ça parlait. Un tigre, une majuscule au « T », c’est de la provocation ! Je me foutais de tomber sur un navet littéraire, et il semble que dès qu’on appose le noble nom du félin à n’importe quel roman, ça devient une bombe.
Journaliste et essayiste américain, habitué des prix dans la catégorie des essais, John V. a fait fort avec son deuxième titre (ai pas lu le premier). Le vrai héros est ce tigre de Sibérie (nommé aussi tigre de l’Amour) : le lecteur ne mettra pas longtemps à avoir en pitié du majestueux animal acculé par les hommes dans un environnement luxuriant – mélange d’hiver glacial, du genre -40°, et de jungle. Majestueux, il l’est sans équivoque : puissance (sexuelle notamment, d’ailleurs « tigre » en sanscrit se dit vyaaghra, ça ne vous dit rien comme médoc ?) ; férocité et feulement qui fait croire en Dieu ; rare intelligence (adaptabilité, esprit de vengeance, distinction des humains), bref je suis encore plus tombé amoureux.
La base de l’essai est le « meurtre », en 1997, par un tigre, de Vladimir Markov à Sobolonié, petit village perdu au milieu de la la région de Primorié, qui elle-même se trouve dans l’extrême-orient russe. Aussi Iouri Trouch et ses hommes de « l’inspection Tigre » sont appelés pour enquêter et décider de la marche à suivre. Pour faire simple, le protagoniste principal humain va dérouler le fil des évènements, jusqu’à prendre la décision qui s’impose (évidemment tuer l’animal, blessé et incontrôlable).
John Vaillant est un conteur de qualité, et son analyse historique, sociologique et politique de cette zone est aussi limpide que terrible. Le vocabulaire, chatoyant et digne d’un thésard, m’a rapidement accroché. Bien sûr, rien n’est parfait dans Le Tigre : outre les noms des intervenants et lieux qui m’ont écorché les lèvres, l’essayiste américain commet beaucoup trop de flashbacks. Pour évoquer une situation ou introduire un nouveau personnage, on reviendra souvent dans un passé plus ou moins lointain (de la Guerre Patriotique à quelques mois). Sauter ainsi du chat à l’hanneton pourra en dérouter plus d’un, même si ça ne dépasse rarement quelques pages. Hélas Vaillant se garde de nous signaler quand on retourne à nos moutons.
Tout cela pour dire que j’ai eu mal au cœur en lisant l’essai, en plus la fin n’aide pas vraiment (la protection du panthera tigris n’est rien à côté de ce qui se faisait dans les années 90 et 2000). La conclusion de l’auteur tend à dire que le tigre est comme l’homme, un prédateur sûr de lui. Sauf que tigrou ne chasse et n’agit jamais par excès, alors que l’empreinte de l’Homme est irréversible. Pour que le tigre existe, il faut que nous le voulions.
Voilà donc très certainement un des billets les plus subjectifs sur ce blog. Car comme le dit si bien l’essayiste, l’admiration de certains pour l’animal peut « confiner à l’identification ». Dont moi.
Ce que Le Tigre (moi, pas celui de l’essai) a retenu
Ce qui m’a correctement marqué tient en un mot : le gâchis. La Primorie est une magnifique région extrêmement riche : bois rare, minerais, mais surtout une faune à nulle autre pareil. Tigres, ours, léopards, lynx, pour ne citer que les animaux bien connus. Et c’est là le problème : ces fabuleuses ressources attisent les convoitises. Par exemple, le bois est découpé à la sauvage (main d’œuvre nord-coréenne peu chère) pour être ensuite exporté dans les usines chinoises, direction ensuite les magasins américains de meubles. Pour un kraï (subdivision de la fédération de Russie) aussi incroyablement doté, le dénuement de ses habitants est autant choquant que triste. Tristesse quand on rappelle que la protection de cette espèce dépend avant tout de fonds privés occidentaux.
Il faut dire que les habitants ne mesurent pas l’importance de ces dons de la nature et ont une vision à court terme exaspérante. Moscou et ses lois sont bien loin, et entre fournir des fourrures d’animaux protégés contre un camion Toyota ou s’abstenir de détruire la région le choix est vite fait. Si vous rajoutez l’idéologie communiste qui veut que la nature doit se faire dompter par une pétée de blocs de béton, la région a aujourd’hui des airs de far-west américain version 1885. Avec souvent, comme justification, autre chose que l’argent, à savoir la simple survie.
Enfin, John V. développe de belles notions d’éthologie, ou comment se mettre à la place du bestiau en vue de tenter de le comprendre. J’ai surtout retenu le scientifique allemand (qui répond au doux nom d’Uexküll) et son analyse sur l’Umwelt : il convient d’avoir à l’esprit que ce qui est invisible pour nous ne l’est pas pour un animal. La vision, le paradigme du félin est tout autre que le notre, et quelque chose d’anodin de la part d’un humain peut constituer un casus belli. Depuis, je ne tape plus dans les croquettes de mon chat : il n’y touche plus, retient mon geste, et pisse trois jours après sous mon lit.
…à rapprocher de :
– Même si je ne m’en souviens guère, il y a un petit truc définitivement « Londonien » (le bon Jack, celui qui a écrit L’Appel de la forêt) dans Le Tigre.
– En manga, il faut relever les titres éponymes de Ahn Soo-Gil . Bientôt sur QLTL.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce somptueux essai via Amazon ici.
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