Sous-titre (qui est en quatrième de couv’) : Le devoir d’un artiste, c’est de révéler et de soulager l’âme des peuples en souffrance. Trouvé au hasard, ce dernier fait décidément bien les choses. Une petite centaine d’illustrations sobres (en noir et blanc de surcroît) faites par un caricaturiste iranien de talent, la littérature et l’intelligence sont à l’honneur.
Il était une fois…
Kambiz Derambakhsh est un incontournable dessinateur satirique, né au début des années 40 et en provenance d’Iran. Artiste complet (réalisateur de téléfilms et de films, professeur et illustrateur de livres pour enfants), Kambiz a vu ses dessins publiés dans de nombreuses revues, en particulier en Europe. Plusieurs fois primé, encensé par la critique, l’Iranien voit enfin en France quelques unes de ces illustrations (accompagnés de textes poétiques) publiées en un unique recueil que Le Tigre s’apprête à résumer.
Critique du monde est chez moi
Le Tigre était à deux doigts de sortir la « structure » des billets de la catégorie « essais » tellement ce court recueil d’illustrations le méritait. 96 planches représentant un dessin unique (je le sais car à la fin de l’ouvrage le titre est indiqué), accompagnées pour chaque thème d’un poème plus ou moins long.
Le Tigre n’est pas fana de poésie (c’est un tort), mais même si j’ai rapidement parcouru ces textes j’ai cru repérer quelques beaux passages. Il faut dire que ces menus vers sont tirés d’un recueil de poésie contemporaine persane (compulsé par Mahshid Moshiri) intitulé S’il n’y a pas d’amour.
Quant aux illustrations, rien à dire c’est somptueux : le trait est simple (mais pas enfantin), aéré et à chaque fois porteur d’un message sur lequel on pourrait discourir une paire d’heures. De manière générale Kambiz évoque la culture salvatrice (mais souvent mise à mal par le monde contemporain) et la liberté sous toutes ces formes. Pas étonnant qu’il ait été parfois censuré par Téhéran.
Pour finir, on pourra regretter qu’il n’y ait pas plus de 100 pages d’illustrations (moins, en tenant compte des poèmes) et que pour autant de matière le prix ne veuille pas descendre sous la barre des 15 euros. Peut-être plus tard, une intégrale belle comme tout verra le jour. Et là Le Tigre attendra en embuscade.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Je ne vais pas trop me fouler et ressortir les trois chapitres, judicieusement nommés, de ce roman graphique.
D’abord la servitude. Servitude par rapport à l’économie, le politiquement correct, la société des loisirs vains et frustrants, il y a de tout. Pour la partie la plus peuplée de planches dessinées, Kambiz traite de nombreux aspects de l’asservissement et de l’aliénation de l’individu : la prison, la paranoïa ou la censure se confrontent à la nature ou au savoir, et cela non sans un certain humour (marque de fabrique de l’auteur).
Le détachement, ensuite. Je l’ai plutôt analysé comme un hommage à la puissance (potentielle ou avérée) de la culture et de la connaissance en général. L’encrier et la plume, l’objet « livre », l’écrivain (ou illustrateur), tous ces artefacts (l’être humain est plus d’une fois traité comme un objet) sont montrés dans des situations où leur impact est à peine disproportionné : tuer un homme avec une plume de dessinateur, se faire retenir à la douane à cause d’un attirail de peintre, etc…
Enfin, l’envol. Seule une poignée de dessins sur cette partie toutefois introduite par un subtil poème. Comme son nom l’indique, l’être humain (ou l’animal) prend son essor grâce à la littérature et se joue des barrières physiques. Touche d’espoir finale appréciée du Tigre, hélas la « table des dessins » en fin de bouquin remettra le lecteur à sa place : ceux-ci sont présentés sur fond noir (comme des prévenus), et les titres associés font montre d’un humour noir, voire d’un pessimisme notoire.
…à rapprocher de :
– Dans les mêmes dessin, Le Tigre pense forcément à l’immense Quino. Et j’avoue avoir pensé que Quino avait tout traité, il n’en est rien Kambiz a fait montre d’inventivité et d’une même simplicité désarmante.
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