Un roman est-il un produit comme les autres ? Y’a le code barre et le prix dessus, donc la réponse devrait être positive. Cependant il est interdit de faire des soldes dessus, et les vols de bouquins à la tire sont plutôt rares. On penche alors de l’autre côté. Tigre, en fin politique, va couper la poire en deux : « un livre est certes un produit mais indiquer son montant sur celui-ci est déconseillé ».
Quoi ?
Vous l’aurez compris, je m’apprête à tailler sévère les éditeurs (et distributeurs du dimanche) qui impunément pourrissent les couvertures des bouquins avec des codes barres larges comme les hanches d’une strip-teaseuse yéménite. Je vous prie de m’excuser pour le style outré, car ce sera (encore) un SCG. Les fameux « Sutras Coup de Gueule » ont tous comme unique raison d’être une malheureuse aventure livresque du Tigre. J’ai honte de la raconter, j’étais plutôt jeune à l’époque (9 ans, d’où le numéro du Sutra) donc soyez compréhensif :
Je gambadais gaiement dans une grande surface dont je tairai le nom, avec mon tonton. On était censé acheter je ne sais plus quoi, et près du rayon BD j’ai snipé une intégrale hors de prix (120 Francs !) qui me faisait rêver. Je ne sais plus comment mais je suis parvenu à la caser dans le caddie. Tonton n’a vu que du feu et j’ai détourné son attention lors du passage en caisse. Un vrai pro. Dans la voiture, je caressais l’objet qui me fera passer une bonne soirée, seul dans ma chambre. Si avec la phrase précédente votre esprit mal tourné a cru comprendre autre chose, continuez avec cette nouvelle. Ça vous passera l’envie.
Et ce fut le drame. En voulant ôter, certes vite, l’étiquette du prix au dos de l’objet, j’ai réalisé l’exploit d’arracher au moins 66 cm² de la couverture. Imaginez alors le jeune Tigre, tenant dans une main une BD doublement salopée (car je pleurais amèrement dessus) et de l’autre le code barre avec la moitié du quatrième de couverture qui pendouillait misérablement. Un vrai carnage. Le responsable du magasin avait eu les oreilles qui sifflent toute la semaine.
Voilà pour le traumatisme primaire du Tigre. Depuis, je gratte toutes mes croutes jusqu’au sang. Telle la bande dessinée que j’ai malencontreusement défigurée, mon corps n’est que cicatrices renvoyant à ma conduite hâtive.
Pourquoi indiquer le prix sur un livre ?
Un livre est censé représenter un objet hors du temps (sauf quelques essais bien entendu), un autoréférenciel d’une correcte autonomie qui entraînera le lecteur dans un univers où ses petits soucis n’ont plus lieu d’être. Donc cet item ne mérite en aucun cas (sauf exception mussoéenne) une telle capitalistique association, que ce soit le prix ou de fines barres avec un code ISBN dessous. En outre, offrir un beau livre à un ami, c’est souvent lui donner un magnifique objet sur lequel le vendeur aura soit rageusement raturé le montant du cadeau, soit accolé une honteuse pastille fuchsia.
Enfin, quand mes petits-enfants, dans 60 ans, vont jeter un œil à ma bibliothèque, je n’ai pas envie de les entendre dire [et moi de répondre] :
Oh putain pépé, ça coûtait à peine un café ton intégrale de Rork. Comment ça se fait que tu n’aies pas plus de BD ? On s’emmerde nous. [Sombre idiot, c’est l’inflation].
Dis papy, ça veut dire quoi Euro après ce nombre ? [C’est ce qui a précédé le RoupiYuan (ça sonne bien non ?), petit-fils d’inculte].
Comment ôter toute mention capitaliste ?
Tout d’abord, cela me paraît clair que jamais (au grand jamais) le prix doit être imprimé sur le bouquin. Non mais puis quoi encore ? Ce sera la valeur affichée en France, en Espagne et à Bangkok. Les Thaïlandais seront ravis de voir à quel point ils se font entuber sur l’exportation culturelle depuis la France, du beau boulot (le prix des formats poche FR à Singapour par exemple, une hérésie) ! Imaginez aussi que vous décidez de le vendre moins cher (ou, pire, à un prix plus élevé), et bah avant la réédition vous aurez l’air un peu niais non ?
Le code barre peut être, à la rigueur, imprimé, et encore il faut que ça ne dépasse pas la taille de l’ongle du pouce. Cela comprix (faute d’orthographe intentionnelle), il faut extraire le principal souci, l’étiquette, qui cumule le code barre et le prix. Et cette dernière est aussi difficile à ôter que l’était ceinture de chasteté de feue (sic) Jeanne d’Arc, en plus d’occuper une place scandaleuse sous le quatrième de couverture. Voici donc quelques pistes supplémentaires :
Le premier moyen est d’avoir une discrète étiquette du prix éditeur. Une mini crotte de 3 chiffres (pas besoin de plus pour un bouquin), sans la réduction de 5% dont on se doute que celle-ci est en principe proposée par tous les vendeurs. Si l’autocollant est placé sur la tranche du bouquin, c’est encore mieux car plus aisé à retirer.
La seconde façon est de mettre en place un « tableau de prix » en France (voire l’UE) qui à chaque lettre (suivie d’un chiffre ou nom) associera un montant fixe. Affiché à tous les coins du magasin, on ne verra qu’un lettrage sur le dernier Umberto Eco qui annoncera sa valeur. Gallimard le fait, sauf que ces branques laissent les autres coller une étiquette. Triple avantage. Un : c’est discret. Deux : il suffit de changer le fameux tableau de concordance pour coller à l’inflation. Trois : on reconnaîtra les vrais lecteurs qui savent la valeur de la chose sans jeter un œil perdu vers une colonne de la librairie.
La dernière option, ma préférée, est que le libraire annonce tout simplement un montant au doigt mouillé, et surtout à la gueule de l’acheteur. Tu portes une Rolex et souhaites acheter le dernier Lévy ? 454 euros et 15 cents. Un jeune à lunettes qui veut emballer un Mary Higgins Clark pour la fête des mères ? 120 cents (cela tombe bien, ça ne vaut guère plus). Tu ressembles à un hipster et présente à ton libraire le dernier Nothomb ? Prix d’ami, 75 euros. Une belle étudiante qui veut acheter la bio de Georges-Guy Lamotte ? Offert, rendez-vous en prime avec l’auteur.
Précieuse conclusion
Tiens, on me signale dans l’oreillette que mes mesures de salubrité publiques viennent de s’écraser face à un article du code de la consommation stipulant clairement qu’il faut clairement afficher le prix d’un bien mis en vente. Aussi je m’adresse autant au lecteur qu’au législateur en vue de réparer cette regrettable erreur juridique.
Sinon, l’éditeur et le distributeur peuvent faire comme L’Association (j’en parle rapidement dans un excellent illustré publié chez eux), qui appose à ses ouvrages une petite étiquette que, paradoxalement, je garde tellement celle-ci est fendarde. Tout y est dit :
Se refusant à imprimer sur ses livres des « codes barres » tout aussi esthétiquement disgracieux qu’éthiquement déplaisants ; et devant néanmoins, pour des raisons de logistique devenues inévitables, se résoudre à les faire figurer sur ses ouvrages au moyen d’étiquettes autocollantes vilaines, onéreuses et agaçantes ; tient à préciser que lesdites étiquettes ont été étudiées pour que leur colle n’abime pas la couverture des livres, et qu’il est donc du devoir du lecteur de les décoller du livre après acquisition, puis de les détruire avec rage et jubilation en chantant à tue-tête : « l’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier bureaucrate aura été pendu avec les tripes du dernier capitaliste ! »