Vous avez appris à lire à toute vitesse, en tout lieu, même en marchant, bref vous êtes un lecteur de combat que rien ne viendra contrarier. Mais vous ne lisez qu’un livre à la fois. Grossière erreur, ça ne va pas du tout. Le libertarianisme appliqué à la littérature est d’autant plus possible que recommandé.
Quoi ?
Les Grecs anciens, comme les Romains, ont correctement envahi le champ lexical scientifique de notre belle langue. Aussi les joyeux barbarismes du Tigre se doivent de taper dans une de ces langues, et c’est par le terme « poly » que je vais attaquer ce Sutra. Du grec polloí, qui signifie « plusieurs », bien des mots ont été créés. Polyvalence, polymère (rien à voir avec le mariage homosexuel, attention), polytechnique (X suffit souvent), voire Polynésie (si quelqu’un veut bien me dire d’où cela vient).
Mais concernant la « polylecture », que dalle ! J’ai fait un rapide viron à l’Académie de France et un immortel (ou la dame de l’accueil, je ne sais plus trop) m’a confirmé que ce terme n’existe point. Donc Tigre se jette sur le mot et en revendique la paternité par ce billet autant édifiant qu’exhaustif. Avec ma propre définition : la Polylecture est le fait de lire plusieurs livres (ou BDs, ou essais) simultanément. C’est-à-dire que vous avez plus d’un bouquin en cours et passez volontiers de l’un à l’autre. Avec l’aisance et la décontraction qui siéent à l’homme (ou la femme) moderne.
Pourquoi lire plusieurs livres à la fois ?
Le Tigre va doucement démarrer par le laïus habituel : il faut lire le plus possible, et se contenter d’une seule œuvre à la fois représente un risque insupportable. Imaginez que vous butiniez comme un vulgaire inculte un ouvrage un peu âpre. Comme tout lecteur normalement constitué a des scrupules à lâchement abandonner l’objet de ses lectures, vous risquez de prendre un retard dommageable sur l’abattage de votre pile à lire. Très fâcheux, votre procrastination contribuera à la crise du monde de l’édition.
Si Le Tigre est parvenu, pendant ce que j’appelle l’âge d’or de mes lectures, à méticuleusement descendre sept titres par semaine pendant une année, c’est grâce à une organisation sans faille prenant en compte la noble obligation de la Polylecture. Je me mettais une pression à côté de laquelle des officiels nord-coréens passaient un moment d’inestimable détente avec leur grand leader. Si toi lecteur souhaite te rapprocher de ce pétillant idéal, il te faut avoir plusieurs ouvrages sous le bras. L’intérêt que je décerne à cet intelligent comportement est double :
D’une part, la potentialité de changer à tout moment d’œuvre littéraire relève d’un vieil adage que mon arrière-grand-père ne cessait de me répéter lors des longues agapes du dimanche midi. Ses mots fleuris étaient globalement les suivants : « petit con, je te l’ai toujours dit, changement d’herbage réjouit le veau. Alors arrête de traîner avec la même putasse et va déposer tes petites graines dans tout ce qui porte jupon et lunettes. Le nom du Tigre se doit de prospérer, aussi fait un petit effort avant que je botte le derrière à coup de savates cloutées par le maréchal-ferrant du coin ». Je n’ai, de cette leçon, et outre une douleur vivace sur la croupe, retenu que son penchant littéraire. En effet, avoir plusieurs titres en cours de lecture semble bien plus jouissif qu’avoir une belle dans chaque port.
D’autre part, votre cerveau ne peut se contenter d’une telle monotonie. C’est un peu comme si vous écoutez un soliste (disons le violon) égrener stupidement ses notes sans rien autour. Ça va bien dix minutes, pas plus. Dévorer un Kafka, basculer sur un manga érotique puis jeter un œil sur le dernier Musso est l’équivalent d’un concert où différents instruments vous offrent une explosion de sons qui parfois parviennent à créer une harmonie intellectuelle de bon aloi. Avec certes l’obèse cantatrice qui chante faux en ce qui concerne ce dernier auteur.
Toutefois, en vue de jouir d’un concert littéraire qui vous prend aux tripes, il ne faut pas s’y prendre comme un vulgaire paysan du Danube. Finesse et organisation seront vos maîtres mots pour atteindre un nirvana d’éclectisme en instantané qui ravira vos sens.
Comment dévorer des romans en même temps ?
Comment être donc un polylecteur efficace et pas trop dépassé par l’ampleur de la tâche ? J’ai tenté, dès ma plus tendre enfance, de m’occuper personnellement d’au moins quatre livres en simultané. Et ce fut laborieux. Bon, je le reconnais, je me suis longtemps fait dessus, et dans de trop confortables largeurs. Mais au fil des années quelques superbes réflexes se sont tout naturellement plantés dans mon esprit. Je vais vous les livrer, et ce au travers deux axes à travailler : le style et l’environnement.
Le style. Le piège dans lequel tombe tout débutant du dimanche est de vouloir claquer quelques romans de qualité d’un coup. Sortir de sa poussiéreuse bibliothèque un triste Zola en même temps que Tolstoï, vous invitez votre cerveau à faire un bel AVC dans la semaine qui s’annonce. Inversement, effectuer des vas-et-vient entre Amélie Nothomb et Nanard Werber fera de vous un individu fin prêt pour une lobotomisation sévèrement accompagnée d’un syndrome de Peter Pan.
Inutile de se pavaner dans de subtiles métaphores, il faut lire varié en vue de ne point s’emmêler les pinceaux en opérant tel un homme politique qui butine à tout-va. Le Tigre vous enjoint donc à mixer les genres : mangas, longs romans, classiques, pièces de théâtres, BD pornographiques, essais de BHL (pour la détente), polar, pavé de SF ou fantasy, il convient qu’en passant d’un titre à l’autre le dépaysement soit le plus complet possible.
Enfin, et presque trivialement, je reprendrai à mon compte un test qui avait été fait aux pilotes d’avion de ligne : avec plus de six paramètres à surveiller (assiettes, altitude, cul de l’hôtesse, vitesse,…), une des informations passe forcément à la trappe. Même chose pour la chose livresque, il est contre-productif de vouloir bouffer dans en même temps plus de cinq-six bouquins.
L’environnement. Le plus important mais le plus personnel, donc je vous autorise à allègrement faire fi de ce conseil. En ce qui concerne Le Tigre, ma productivité lecturesque est d’autant plus élevée qu’à chaque style de livres un contexte y est associé. Avoir en chaque lieu son petit réflexe littéraire permet de se préparer inconsciemment à bien aborder un ouvrage. A partir de là, Pavlov fait le gros du boulot.
Soyons explicite, concret : les belles BD qui font un demi-mètre de hauteur, c’est avant de faire dodo. Dans le lit, confortablement installé (même si quelques accidents peuvent survenir). Les gros romans en format poche, c’est dans la salle d’attente de n’importe quel praticien libéral (avocat, dentiste, proctologue). Les polars anglo-saxons et les nouvelles de SF sont réservées pour les transports en commun. La réalité du métro s’efface alors face au scénario lu. Quant aux essais un tantinet complexes, le TGV est mon ami. Si vous me demandez où j’ai pu lire mes mangas (Hellsing par exemple) ou quelques courtes bandes dessinées, je vous répondrai les toilettes. Trois jours de diarrhée = les six tomes d’Akira terminés. Enfin, je réserve mes lectures humides (entendez, dans le bain) à Nothomb ou Coehlo.
Polyconclusion
La polylecture est un art, ne vous y méprenez pas. Lire de nombreux ouvrages à la fois sans les lâcher ensemble dans un terrible fatras de frustration n’est pas aisé, aussi commencez progressivement en prenant votre temps. Dès que dans vos rêves des éléments de tel ou tel scénario lu font d’inquiétants cross-over, arrêtez les frais pour une semaine.
Conclusion finale, pourquoi le sutra #60 ? Vous aurez sûrement remarqué, en visitant ce fabuleux site, Le Tigre parle de ces petits livres avec un certain amour. Je protège mes précieux avec la même férocité que l’animal, comme mes draconiennes conditions de prêts le prouvent. De la Polylecture au polyamour il n’y a qu’un pas, or ce dernier terme semble avoir fait une entrée dans le dictionnaire en 1960. Et grâce au Tigre, la Polylecture. aura (je l’espère vivement) le même sort. La majuscule disparaîtra alors.
Ping : Les Sutras du Tigre .28 : 28 choses infaisables avec un livre papier | Quand Le Tigre Lit
Ping : Susan Maushart – Pause | Quand Le Tigre Lit
J’étais réticent à faire ça jusqu’à maintenant, mais si j’ai l’approbation du tigre alors tout va bien. Surtout pendant ces 200 pages de description que sont « Les Montagnes Hallucinées ».
Et, pour « Polynésie » c’est une vraie question ?
Plus qu’une approbation, une bénédiction je dirais. Quant à « Polynésie », je me demande réellement d’où vient ce terme.
« -nésie » vient du grec « nesos » qui signifie « île ». Il suffit de voir à quoi ressemble la polynésie pour comprendre 😉
Salut Tigrou, graour à toi,
Penses-tu écrire un sutra sur les endroits les plus confortables pour lire? Avec notamment une analyse par genre littéraire. Je pars bientôt faire bosser mes mélanocytes au bord de l’adriatique et j’aimerai savoir quel type d’ouvrage je devais embarquer: un PPDA ou les Bienveillantes?
Vas-tu te lancer des défis artistiques hors normes en mélangeant les lieux et les genres? Par exemple lire un manga hentai yuri dans les transports en commun, un SAS dans le TGV, un Durkheim dans ton lit et Pinocchio de Winschluss dans ton bain? Sans oublier le dictionnaire médical illustré en couleur dans la salle d’attente de la préfecture (un must chez les fonctionnaires).
J’ai vu que tu es passionné par l’érotisme dans le 9e art, je te conseille la collection « BD Cul » chez Les Requins Marteaux qui regroupe de magnifiques auteurs comme B Vivés, G Bouzard, N Antico, A Picault etc. dans des œuvres aux titres redoutables tels que « Les Melons de la Colère », « La Planète des Vulves » ou encore « La Bibite à Bon Dieu ». Je te conseille notamment l’excellent « Teddy Beat » de Morgan Navarro à l’esthétisme irréprochable.
ps: j’ai constaté moulte fautes d’orthographes sur mes précédents commentaires, je m’excuse d’avoir ainsi souillé le divin blog de ma scélérate dyslexie
Tu es tout pardonné Niccke.
Pour tes demandes, je vais bientôt créer une nouvelle catégorie qui, je l’espère, répondra à tes questions les plus pressantes.
Quant à tes conseils coquins, je te remercie et y jetterai un coup d’oeil avisé. Note cependant que je ne fais pas cela pour combler mes longues nuits d’hiver, mais avant tout pour attirer toujours plus de trafic sur le divin (ton adjectif me semble juste) blog.
Tu m’en vois ravi. J’espère que dès aujourd’hui l’évocation de ces quelques titres sulfureux attirera sur le divin blog de nombreux regards intrigués et autres pupilles dilatées.
Ça existe la monolecture?
Sans doute, c’est lorsque le Général revêtait son monocle pour monolire les mémoires de Churchill avec Momone aux casserolles. Mais merci, je vais également déposer ce nom.