VO : The Quantity Theory of Insanity. Sous-titre : Avec cinq autres propositions à l’appui. Six nouvelles, six expériences serties d’un humour tout british sur le thème de la douce démence qui nous habite. Lecture plutôt agréable malgré des longueurs ici et là de la part d’un écrivain qui aime installer un certain contexte qui vire progressivement à l’absurde.
Il était une fois…
Le Royaume-Uni regorge d’individus d’apparence normale soumis à l’absurdité et à l’étrangeté de leur monde environnant. Tandis qu’un brave gars fait la rencontre de sa mère censée être décédée, un médecin intègre un service psychiatrique où on se demande qui sont les plus fous. Mais ce n’est rien par rapport à une population indigène auto proclamée la plus ennuyeuse de l’existence ou un chercheur prêt à révolutionner ce que l’on sait des maladies mentales.
Critique de La théorie quantitative de la démence
Will Self est une référence en termes de littérature anglaise un tant soit peu originale. Point barre. Même s’il n’a pas autant pris son pied sur ces six nouvelles, Le Tigre peut tenter d’évoquer chaque texte en y développant sa royale impression. D’abord, Le Livre des morts de Londres-Nord pourrait fonctionner en binôme avec le roman Ainsi vivent les morts. Lorsque ce dernier titre prenait le point de vue d’une femme apprenant à vivre dans un univers « parallèle » avec les autres morts, la présente nouvelle s’intéresse aux réactions de son fils la croisant dans la rue. Improbable et un peu inutile, j’étais content que ça se termine – moins de 30 pages, ça aide.
Dans Service 9, Misha Gurney, une médecin émérite, est intégré dans une unité aux méthodes particulières pour traiter les patients. Misha a de plus en plus de mal à les différencier des praticiens (c’est le but du Service), jusqu’à ce que cette ressemblance l’atteigne. Sympathique, sans plus. C’est plutôt A la découverte des Ur-Bororos qui m’a régalé : le vocabulaire pour décrire une tribu amazonienne aussi chiante qu’un dimanche pluvieux en Angleterre (Bororos, to bore, vous saisissez ?) et le voyage sur place intellectualisé de Janner (sans oublier ses thèses branlantes) ont cet humour détaché et déjanté qui rend la nouvelle unique et plus aisée à lire que La théorie quantitative de la démence dont on entre dans le vif du sujet qu’à mi-chemin. Dommage parce que ça envoie du pâté. Rien que l’idée selon laquelle il y aurait une quantité de santé mentale donnée dans une société à un moment précis et les expériences à mener pour valider cette théorie ont ce mélange de sérieux et de n’importe nawak aussi déroutant que plaisant.
Ces nouvelles ne seraient pas aussi géniales sans l’écriture léchée et précise d’un Will Self qui, comme à son habitude, fait de l’orfèvrerie avec le vocabulaire. Que ce soient des mots rares (ou employés à contre-courant) ou des expressions qui se répètent dans la tête comme on fait tourner un bonbon acidulé dans la bouche – du genre « la surface de la psyché collective était comme le vieux coutil à rayures d’un matelas défraîchi » ou « la juxtaposition sujet-objet-prédicat semble refléter une cosmologie marquée par un dualisme conceptuel semblable au nôtre ».
Malgré ces qualités d’écriture confirmant le talent de l’écrivain britannique, une narration drôlatique (et immersive grâce à l’utilisation de la première personne du singulier) où l’absurde et la finesse jouent de pair, des idées intéressantes renvoyant aux autres nouvelles (références et personnages récurrents) où à d’autres œuvres de Self, une impression d’entraînement par un maître des mots, votre serviteur littéraire n’a guère apprécié ledit recueil. Pourquoi ? Tout simplement parce que parfois le verbiage de Will S. était trop prégnant, et les deux nouvelles de fin m’ont gravement fait chier. Monocellulaire et Attente, excessivement obscures à mon goût, ont eu raison de ma patience limitée. A vous d’entreprendre de saisir quelque chose d’utile, à part une ou deux saillies intellectuelles, à ces 80 pages.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La constante chez ce bon Self est la manière dont il traite l’instabilité mentale de ses contemporains. L’auteur prend des protagonistes d’une banalité confondante, si ce n’est pour certains leur accointance avec la faculté de médecine (option psychiatrie), pour les faire entrer dans des situations où le lecteur vient à douter de leur bonne santé psychique. Lentement mais sûrement, le Dr. Gruney, le fils éploré ou le héros de la nouvelle phare voient leurs univers respectifs prendre une tournure correctement bizarre, presque fantastique. Avec, comme point d’orgue, cette lancinante question : de quel côté est la sanité ?
La réponse à cette dernière question reste d’autant plus dans les airs que l’essayiste (j’utilise ce terme à escient) use et abuse de l’absurde et d’un humour pince-sans-rire qui peut décontenancer le lecteur. En effet, Will Self n’hésite pas à « dire de la merde » mais avec des termes et notions philosophico-médicales qui en imposent. Il se moque, avec un plaisir non feint, de la morgue et du pompeux des sociétés de savants de son pays, tourne en dérision les querelles de clocher de ces individus disposant d’une tête aussi grosse qu’un melon hawaïen (lesquels s’affrontent par le biais de conférences ou d’articles lus de personne), tout ceci avec une exagération à la limite du foutage de gueule – mais avec finesse hein. Hélas, dans les deux derniers textes, ça va tellement loin que même le lecteur peut se mettre à douter de sa capacité à comprendre ce qu’il se passe.
…à rapprocher de :
Le Tigre a lu (presque) tout du père Self, jugez plutôt : à lire absolument, les deux nouvelles dans Vice-versa. Mon idée du plaisir (un presque must) ; Les Grands Singes (pas mal) ; Dr Mukti (assez proche du présent recueil) ; No smoking (décevant) ; Umbrella (arf, pas fini) ; Ainsi vivent les morts (plussss que correct) ; The Sweet Smell of Psychosis (exigeant et déjanté).
– Autre auteur d’anticipation sociale qui s’est attelé à la vie après la mort, il y a Damned, de Chuck Palahniuk. Déception.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Je ne crois être capable encore de m’atteler à un tel roman sans pleurer au bout de 3 pages !
Mais j’y travaille !
Merci de la découverte et de tes conseils en fin d’articles !!
Qu’est ce qui te ferait pleurer après quelques pages dans ce genre de roman mon petit ?
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