« Tigre, tu as beau lire vite et bien, la vélocité avec laquelle tu écrits tes compte-rendus est plus que louche. Entre nous, dis moi comment tu fais. » Voici un extrait de conversation avec un petit éditeur indiscret (qui ne connaît pas mon vrai nom), je lui ai promis un billet sur ce sujet. Un Sutra à ne pas prendre au mot, je préfère prévenir.
Le Tigre a une armée ?
Depuis que j’ai ouvert (initié plutôt) ce blog, j’ai du jongler avec trois impératifs qui me prennent pas mal de temps. Déjà, chaque bouquin que je termine se retrouve immanquablement sur le site. Même les merdes les plus atroces qui m’ont tellement piqué les yeux que mon ophtalmo est très vite passé à la tranche d’imposition supérieure pour l’IR. Sans compter mettre en ligne le visuel (préalablement formaté). Ensuite, je tente de me faire plaisir en écrivant un peu n’importe quoi. Nouvelles, Sutras, Iconographie, DodécaTora, name it. M’éloigner de temps à autre du format des résumés me fait un bien fou.
Pour finir, en cas de retard sur une lecture, il m’arrive de piocher dans ma base de données quelques idées de résumé. Cette database est un fort impressionnant et obèse fichier .xls où des centaines de livres (titre, auteur, code isbn, éditeur, date de publication, commentaires du Tigre) sont en rang comme autant de petits soldats. Inutile de vous dire que tenter de produire un tableau croisé dynamique à partir de ce document ferait à coup sûr planter votre machine. Hélas, douze fois hélas, j’ai plus d’une fois inscrits des formules lapidaires en commentaires, du genre « pas mal, préféré un autre titre », « chiant » ou encore « ai zappé au bout de 4 chapitres ». Insuffisant.
Pourquoi ouvrir la circonscription féline ?
Je me suis rapidement aperçu que c’est sur la dernière activité qui me bouffait le plus de temps, et après un audit diligenté par moi-même j’ai conclu que c’était lors de cette étape de rapide relecture que le temps pouvait être largement compressé. Reconnaissons-le : après même quelques années vous savez si tel ou tel auteur a un style agréable, et avez même quelques souvenirs plutôt précis (une scène en particulier, une impression générale) de ce bouquin. Le relire ne fait que le confirmer, et sert avant tout à se rappeler l’identité du méchant, quelques anecdotes, voire le nom du héros.
En vue de compresser ladite étape, Tigre a refusé de lire encore plus vite. Le rythme de lecture rapide est déjà violent, aller au-delà implique de sauter des paragraphes entiers. A quoi bon ? Non, j’ai trouvé mieux. Bien mieux. Et si je sous-traitais à d’autres individus la phase de lecture, de synopsis (autre que le quatrième de couv’) et de résumé ? Si je demandais à d’autres de lire pour mon compte et en faire de jolis rapports d’une bonne douzaine de lignes au bas mot ?
Mais quelles seraient ces personnes ? C’est à ce moment charnière qu’il ne faut pas se rater quant au casting et prendre en compte quelques paramètres. Mes sous-traitants doivent notamment : ne pas être analphabètes (on dégage les moins de 8 ans) ; aimer lire (50% de la population en moins) ; avoir du temps ; être proches du Tigre en vue de leur prêter le bouquin (adieu le centre de subcontracting à Bangalore) ; savoir écrire un courriel pour me donner leurs résumés (quoique…) ; s’intéresser vaguement aux mêmes bouquins que moi. J’ai viré ce dernier paramètre, il faisait buguer mon ordinateur.
Et oui, j’ai entré toutes ces données dans un logiciel que j’ai temporairement piqué à une agence matrimoniale en ligne (au passage, je tiens à dire à ces gens que leur déclaration de fichiers à la CNIL n’a rien à voir avec les informations effectivement récoltées). Le résultat fut terrible : zero match. Mais une lueur d’espoir animait ma gueule féline, car une catégorie n’était pas loin de remplir tous les critères : les vieilles dames, veuves de préférence.
En y réfléchissant bien, c’est logique : imaginez ces veuves, souvent esseulées, qui aiment donc avoir de la compagnie, et passent leur temps à ressasser leurs voyages, coups d’éclats passés et progrès estudiantins de leurs petites enfants. Elles seront alors éminemment fières de participer à un projet d’envergure où elles laisseront une marque autant indélébile que prestigieuse sur le monde numérique de demain (là je parle du blog). Le plus délicat reste de les convaincre. La partie suivante ne sera que théorie (malgré l’absence du temps conditionnel), à la première personne de surcroît.
Comment mettre sur place l’armée tiresque ?
Comment, en effet, en arriver à ce qu’une dizaine (ou moins) de personnes d’un certain âge se prêtent à mon jeu ? Il faut les avoir dans la poche, et pour cela se rendre pratiquement indispensable. Préparer le terrain commence par leur dire bonjour dans la rue, demander de leurs nouvelles, puis progressivement les aider dans de menues tâches : porter leurs courses, changer les ampoules, purger leur radiateur, leur apprendre à envoyer un courriel, etc. A deux mois de ce rythme, je les ai rapidement dans la poche. Le plus pratique reste que les « cibles » habitent à côté de la tanière tigresque.
Ensuite, il faut la jouer très très finement. La gratitude débordante de l’ancêtre ne saurait se manifester par un petit biffeton ou un baiser tout mouillé sur ma joue. Non, je suis plus malin que ça. Repérant quelques romans dans sa bibliothèque, je lui demande innocemment si je peux lui en prêter d’autres assez semblables. En échange de cela et tout le reste, un petit résumé du titre serait le bienvenu. Soit je propose cash un courriel de son résumé qui sera plus facilement copié-collé sur QLTL, soit je fais preuve d’une rare intelligence : requérir ses impressions en prenant un café chez elle, en prenant directement des notes sur un notebook ou utiliser un dictaphone comme chez mamie B.
Enfin, il me faudra être relativement prudent en plus de mettre en place certaines règles triviales :
Premièrement, le bouquin devra avoir été préalablement parcouru par Le Tigre. Au pire, pour du Carlene Thompson, Sue Grafton ou autres romanciers à succès qui publient les mêmes formats d’histoire, en avoir lu un suffit amplement. Sinon c’est mentir à mon lectorat en faisant croire que je suis un serial bouquinovore. Pas mon genre. Et ça m’arrange qu’elles lisent des polars ou fictions que je qualifierais « les romans de maman », je ferai ainsi concurrence à la majorité des blogs littéraires.
Deuxièmement, il faut annoncer la couleur et expliquer, avec les mots que mamie est en mesure de comprendre, pourquoi Tigre souhaite absolument recueillir son avis. Comme les lettres de motivation, j’ai une phrase de base facilement adaptable à la situation : « Ma chère amie, je ne veux qu’avoir votre avis, lequel m’intéresse au plus haut point. Peu de personnes de mon entourage lisent avec la même acuité que vous, et vous seule saurez me rappeler la trame scénaristique ainsi que le gros spoil de la fin. Serait-ce trop demander enfin que vous m’instruisiez de quelques thèmes récurrents de cette majestueuse œuvre de Musso ? ». Sinon, je ne pense pas que cette charmante dame va se poser des questions relatives à son droit d’auteur, au pire la partie suivante vous dédouanera.
Troisièmement, le plus lourd sans aucun doute, est d’adapter en « tigre-prose » le texte ou le babillage de la dondon. Parce que se cantonner à un basique copier-coller sur ce blog équivaudrait à mettre du Richard Anthony dans une rave party. Il convient de travailler en profondeur, non pas mémé, mais ses phrases, voire toute la logique narrative qu’elle m’aura livrée. C’est pour cela qu’un entretien avec mes sous-traitantes me semble plus approprié, le boulot de traduction sera instantanément effectué. Vous comprendrez donc que jamais au grand jamais je ne leur donnerai l’adresse de QLTL.
Conclusion militaire
Pour le numéro du billet, Tigre s’est encore une fois pas vraiment foulé. En fait je me suis dit qu’après 83 ans il n’y a rien plus grand chose à tirer, en terme de productivité littéraire, de la part d’un individu. C’est méchant, bas et totalement arbitraire, mais il faut bien choisir un numéro.
Enfin, j’avais brièvement pensé donner comme titre à ce Sutra quelque chose du genre « L’armée des 12 guenons ». Toutefois, je me suis dit que si l’une d’elle me lit dans 10 ans, elle ne saisira pas l’allusion à un certain film de SF. En outre, Tigre risque de provoquer d’ultimes modifications testamentaires que je ne suis pas sûr d’aimer… N’est pas Vanier qui beut…
Le Tigre, tu bottes en touche la. Tu ne réponds pas a la question. Alors le Tigre c’est un individu ou un groupe?
Tu noteras qu’il n’y a pas de jugement de valeur. Au contraire même, un groupe serait chose étonnante tant le style et les références sont uniformes et finalement le tour fort bien joue.
Nous ne sommes que dans le domaine de la fiction, bien évidemment.
Pour la fameuse question, Le Tigre est un individu. Seul (enfin sur le blog). Et si on venait à me proposer un résumé, le filtre stylistique que je ferai subir à celui-ci prendrait plus de temps que le faire moi-même. Mais je vais sûrement trouver un moyen d’arranger cela.